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Fallait-il qu’elles trissent !

Publié le 07 octobre 2019 par Morduedetheatre @_MDT_

Fallait-il qu’elles trissent !

Critique de Cyrano, d’après Edmond Rostand, vu le 3 octobre 2019 au Funambule Montmartre
Avec en alternance Iana-Serena De Freitas, Lucie Delpierre, Nataly Florez et Marjorie De Larquier, dans une mise en scène de Bastien Ossart

En tant que critique, il y a des choses que vous devez accepter : si vous conseillez avec bienveillance un spectacle et qu’on vous en conseille un en retour, vous pouvez, vous aussi, essayer de faire confiance à la personne qui vous préconise telle ou telle pièce. J’ai souvent besoin de quelques piqûres de rappel pour enfin me rendre aux spectacles recommandés par des copains. Mais là, après les insistances successives de Théâtre Côté Coeur et A Bride Abattue, je me suis dit que quand même, je n’allais pas rater une mise en scène de ma pièce préférée aussi vivement conseillée. Donc sans rien lire, sans rien voir, direction la petite salle des Funambules Montmartre dans laquelle je rentrais pour la première fois.

Oui, Cyrano est ma pièce préférée. J’en aime chaque tirade, chaque vers, chaque virgule. Il faut dire que lorsqu’on dessine un personnage aussi haut en couleurs et qui a décidé d’être « admirable en tout, pour tout », mieux vaut savoir écrire les vers en conséquence. Notre personnage donc, amoureux de Roxane, sait qu’il ne peut espérer de retour de ses sentiments en raison de ce long nez qui le précède en tout lieu. D’ailleurs, Roxane se confie auprès de lui : elle aime Christian, qui a récemment rejoint les cadets où Cyrano officie. Cyrano décide alors de servir leur amour et de le vivre lui-même à travers ce jeune homme en lui prêtant ses mots pour conquérir celle qui fait vibrer leurs beaux yeux.

Fallait-il qu’elles trissent !

J’A-DORE. J’adore ce genre de surprise. J’adore m’attendre à aller voir Cyrano, me rendre compte une fois dans la salle que devant moi ne se trouvent que trois comédiennes et qu’à elles trois elles composent l’ensemble de la distribution. J’adore sentir en moi l’étonnement – et une pointe d’agacement, cela va sans dire – devenir intérêt quand la pièce commence. Je souris d’abord devant le superbe pastiche de la tirade des nez qui fait office d’annonce contre les téléphones portables, puis je suis embarquée une nouvelle fois dans cette pièce que j’adore.

La proposition de ces trois comédiennes tient son étrange pari : elles jouent la pièce avec un mélange d’inspiration Comedia Dell Arte dans les codes de jeu et plutôt asiatique dans la création visuelle, jonglant avec les différents personnages, trissant parfois certaines tirades, le tout avec une extrême fluidité. On sent un travail précis sur la gestuelle qui accompagne avec brio l’histoire de notre héros dont certains passages semblent presque chorégraphiés. Le travail sur les masques est aussi très réussi, on aurait presque aimé que tous les personnages soient joués masqués – je ne sais pas si je suis la seule à avoir vu Voldemort dans le masque de De Guiche, mais j’avoue que ça a bien fonctionné sur moi. Le traitement de Cyrano est particulièrement impressionnant : les trois comédiennes se passent le masque au grand nez et chacune donne à Cyrano un accent différent. Successivement optimiste et désespéré, amoureux ou solitaire, belliqueux ou poète, le fait de tripler l’incarnation du personnage met en valeur sa pluralité, ses doutes, ses complexes, ses envies, ses tourments.

Si j’avais un seul bémol, c’est ce que je reproche toujours lorsqu’on se tourne vers la Comedia Dell Arte : la manière de jouer bride l’émotion. Mais c’était à mon avis intrinsèque au choix de l’adaptation, et sur sur plusieurs points. D’abord parce qu’en jouant cette pièce à trois, il faut forcément couper. Or, pour parodier Cyrano, mon sang se coagule en pensant qu’on en peut sauter une virgule. Je reconnais la prouesse de leur exercice et j’ai d’ailleurs passé un bon moment, mais je savoure trop les vers de Rostand pour être entièrement happée par un Cyrano en accéléré. Ensuite parce que la Comedia Dell Arte est tellement codifiée qu’elle appelle à une certaine technique presque incompatible avec l’émotion. Et c’est seulement quand ce processus se repose que l’émotion peut naître, comme c’est le cas dans la scène finale.

Une chouette approche de l’oeuvre de Rostand qui plaira à petits et grands !

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Fallait-il qu’elles trissent !


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