Le temps des festivals

Une œuvre réussie se signale sans doute à sa puissance mystérieuse, faite d’apparences et de rêves, par laquelle elle nous arrache à la trivialité et aux nécessités de notre existence. Un opéra, une mise en scène, un concert sont formidables lorsque par la magie de leurs artifices ils enlèvent le spectateur à lui-même et recouvrent provisoirement sa réalité de leurs illusions.

Illusoires semblent en effet les grandes passions, héroïques ou déchirantes, le défilé elliptique et cadencé des actions et les accents excessifs des comédiens sur scène, ou encore le sublime énergique ou nostalgique d’une musique orchestrale. L’œuvre semble nous offrir l’apparence enivrante de notre existence transfigurée.

Mais la fonction de l’art se réduit-elle à délivrer ce baume salutaire et mensonger ? Nul philosophe plus que Nietzsche ne s’est insurgé contre cette conception de l’art comme fuite, illusion, mystification. Car pourquoi toujours opposer l’existence à ses métamorphoses possibles ? Cette opération magique par laquelle le spectateur quitte son siège et s’oublie dans la représentation lui ouvre en même temps les yeux. Il faut toute la grâce de l’art pour faire comprendre à l’homme qu’il est lui-même un matériel éphémère, modifiable, que son être, comme une œuvre, n’est que ce qu’il en fait ; qu’il en est, comme l’artiste, l’auteur-compositeur.

Ainsi se moquait-il de ceux qui font de l’art un « à-côté divertissant », « un tintement de grelots dont pourrait se passer le sérieux de l’existence ». Pour les hommes courageux et volontaires, qui font de leur existence un devenir et non un être, l’art est l’activité métaphysique de l’homme. Cela veut dire : l’art ne détourne pas de la vie, mais délivre le secret de son essence – comme multiplicité d’apparences successives, et nous invite sans fin à la transformer.

Vivre est une œuvre – mais nous en avons aussi peu conscience que les guerriers sur la toile ont conscience de la bataille représentée…