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(Feuilleton) Enquêtes, par Siegfried Plümper-Hüttenbrink, #3, Viator ubique

Par Florence Trocmé

ENQUÊTE (3)
Viator ubique.

Et les hommes vont admirer les cimes des monts, les vagues de la mer, le vaste cours
des fleuves, le circuit de l’océan et le mouvement des astres et ils s’oublient eux-mêmes.
Saint Augustin – Confessions (Livre X).
1

Pétrarque
Je lis. Je relie. Je hasarde des raccords plus que douteux et me perds en conjectures. C’est ainsi qu’au hasard de mes lectures j’ai dû croiser Pétrarque avec un exemplaire des Confessions de Saint Augustin sur lui en guise de viatique pour l’accompagner  dans son Ascension du Mont Ventoux. Une ascension qu’il relate dans une lettre adressée sous forme de confession à son ami Dionigi di Borgo, et où il laisse libre cours à son désarroi et son mal-être. Depuis dix ans, n’ayant eu de cesse de goûter des mondanités de la cour papale avignonnaise qu’il qualifie de “gouffre dévorant que rien ne peut combler“, il en est plus que las. Et s’il ne tenait qu’à lui, il préfèrerait se retirer en ermite, s’isoler en face à face avec soi-même, et faire enfin silence en cogitant à fond son bréviaire de vie en solitaire. Se sentait-il être parvenu en fin de vie mondaine ? En tout cas à un tournant de sa propre vie et qui va lui être signifié par le livre qu’il porte en main alors qu’il s’apprête à escalader ce Mont venteux qui dut hanter sa prime enfance, vécue dans le Vaucluse. Avant d’amorcer son expédition, il prend encore soin de l’inaugurer en fin lettré qu’il est par la lecture d’un passage de Tite-Live relatant une expédition lors de laquelle Philippe de Macédoine, “parvenu au sommet de l’Hémus, en Thessalie, aurait cru voir deux mers, l’Adriatique et le Pont-Euxin“. Mais l’anecdote reste sujette à caution, encore qu’elle ne soit pas sans annoncer la vue en surplomb que Pétrarque aura de sa propre vie à l‘issue de son ascension.
2
Au matin du 26 avril 1336, muni de son exemplaire des Confessions, il se met en chemin depuis Malaucène et croise un vieux paysan du cru qui tente de le dissuader dans son entreprise, lui annonçant que le lieu est stérile, sans âme qui vive, et qu’il ne fait que vous égarer l’esprit. Mais Pétrarque passe outre à sa mise en garde. Sa décision est prise. Elle lui est un fatum auquel il ne saurait déroger. Il lui faut traverser cette épreuve qui ne peut qu’être initiante quoiqu’il advienne. Il se hissera pas à pas jusqu’au sommet du site qui dut surplomber son enfance. Il méditera aussi, en se frayant en pénitent son chemin de croix dans cet amoncellement de rocaille inculte et qui l’amènera ultimement à son sommet aux confins du monde habité. De là, il nous dit s’être soudain mis à voir au loin, en visionnant la trouée fluviale du Rhône et le cours de sa propre vie d’égaré. Dans sa détresse, ne sachant plus que faire de sa propre personne, il eut recours au livre des Confessions de son cher Saint Augustin, dit l’avoir ouvert au hasard, et pour y lire une phrase qui vint répondre de sitôt au désarroi qui le minait. Il précise qu’il se mit à lire cette phrase comme si elle lui avait été adressée en main propre. Tel un envoi sous pli et qu’il co-signera. Faisant vœu de se lier en esprit avec celui qui l’aura comme écrite à son intention, pour son salut. Sur le ton de la remontrance, elle incrimine l’inepte vanité de toutes choses et cette « passion inutile » qu’est l’être humain au vu du paysage que Francesco Petrarca devait avoir sous les yeux à 1910 mètres d’altitude et dont il nous dit qu’il s’étendait au loin jusqu’au littoral marseillais.
3
Une fois reclus dans son Vaucluse natal, Pétrarque ne cessera plus de migrer dans sa tête. « N’habitant nulle part, je suis étranger partout » - aura-t-il coutume de dire. Viator ubique - voyageur en tous lieux. Et pour qui la pérégrination se poursuivra par voie livresque et épistolaire sur ses vieux jours. Ayant décidé de se véhiculer non plus par mer, ni par terre, mais en paroles avec les destinataires de ses lettres, et rien que par l’esprit à l’aide de ces vade-mecum que lui furent ses livres.

Illustration : Pétrarque peint par Andrea del Castagno, Galerie des Offices, Florence


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