
J’en ai ma claque toutes ces questions d’identité. Je me regarde dans le miroir, et je ne me reconnais pas, l’image qui est projetée est irréelle, opaque. Mais cette étrange diffraction ne m’importune pas, je considère que cela n’est pas grave. Ce qui compte, c’est cette vie qui coule dans mes veines, qui constitue un véritable mystère pour moi, auquel je ne suis franchement pas apte à apporter une réponse décisive. Ces derniers temps, je prends un immense plaisir à lire des histoires imprimées sur du papier ou récitées dans un podcast. Il y a des phrases qui me séduisent, des phrases qui sont comme des tremplins, des escaliers, des clefs, des portes qui s’ouvrent et me permettent d’accéder à des lieux distincts et d’être en compagnie de personnes qui agissent, qui ressentent, qui combattent. Des êtres en lettres et en papier, qui sont comme des lueurs dans la nuit, comme des silhouettes fugitives s’échappant dans les ruelles sinueuses de ma ville. Il y a la des couleurs, des saisons, soudain me voilà plongé au cœur du XIXe siècle. Soudain, me voilà parti à l’autre bout du monde. Et tout ce qui m’entoure se dissipe légèrement. C’est comme si je marchais dans l’air, mais sans marcher, sans utiliser mes pieds, c’est comme si je marchais dans cinq territoires inexplorés, loin loin de ma finitude. Oui j’aime les histoires, il me semble qu’elles sont beaucoup plus que des illusions. Je me demande pourquoi nous avons besoin d’habiller les choses et les gens autour de nous, de jouer à des rôles, d’attribuer des fonctions, de voir un début un milieu et une fin dans chaque situation. Lire me fait du bien, contrairement au scroll fastidieux et mécanique sur les écrans, source d’anxiété et d’abrutissement. Alors en cet automne 2019, alors que je m’approche chaque jour un peu plus de mon automne existentiel, j’essaye de ne pas en faire des tonnes, je n’ai plus rien à prouver, je n’ai plus personne à étonner en cet automne 2019. Les films et les feuilles mortes qui virevoltent sur la chaussée génèrent une musique étrangement belle. On dit feuilles mortes, et pourtant elles bougent, elles tournent sur elles-mêmes, elles
font des petits froissements, elles se laissent caresser et se laissent caresser par les rayons solaires, elles n’ontjamais eu l’air aussi jeunes aussi frêles aussi pleines d’espoir. Les feuilles mortes font partie du cycle éternel des choses qui bougent, qui descendent et qui montent, qui naissent et qui renaissent et qui meurent et qui remeurent. Il y a cette pensée aussi, il est temps de penser à un au revoir non lacrymal.Mes souvenirs d’enfance, mes lectures des histoires extraordinaires qui faisaient vibrer en moi une corde invisible. Une corde qui ne m’a jamais lynché, qui m’a toujours donné du fil à retordre, et c’est tant mieux, je ne peux pas rester inactif, il faut constamment que les choses s’animent autour de moi. Je me demande comment je m’en sortirai un jour prochain, quand mes jambes ne pourront plus me porter, quand mes yeux ne pourront plus m’envoler, quand mes oreilles ne pourront plus résonner en moi.Oui, mais non, je ne devrais pas conclure ce billet par une note aussi triste, aussi mélancolique, aussi résigné. Le grand mystère de la vie n’a pas fini de me surprendre et d’ouvrir des portes pour moi. Il y a quelque chose au-dessus de mon être qui me dépasse, et c’est pour ça qu’il faut que je continue à imaginer des choses, c’est pour ça qu’il ne faut pas donner d’importance à cette image que me renvoie maladroitement le miroir.Envoyé de mon iPhone.