Photographier la mort… Une pratique qui peut choquer, fasciner, déranger. Pourtant, au XIXe siècle, elle connaît un certain succès, en dehors des photographies médico-légales et de celles de criminels. En effet, elle se manifeste également sous la forme de portraits post-mortem, qui sont tout simplement des photographies de personnes décédées, plus ou moins mises en scène pour l’occasion. Dans un registre plus loufoque, nous avons également la photographie spirite, qui fait apparaître des esprits, invisibles à l’oeil nu… NB : Pour les portraits post-mortem, je tiens à préciser que malgré le tri que j’ai effectué, des images pourraient heurter la sensibilité de certains (rien de gore, je vous rassure).
Introduction
Le portrait post-mortem apparaît dans la seconde moitié du XIXe siècle, en Angleterre, sous le règne de la reine Victoria. Rapidement, cette pratique s’étendra aux États-Unis et au reste de l’Europe. La photographie à ce moment là est en plein développement (sans mauvais jeu de mot) et provoque des émules puisqu’avant, si l’on voulait se faire tirer le portait, il fallait passer par les services d’un peintre et avoir la bourse bien garnie. Celui qui est considéré comme l’inventeur de la photo est le français Nicéphore Nièpce, qui mis au point dès 1822 le principe de la photogravure (ou « héliogravure »). Ci-dessous, la première photo de l’histoire, produite par Nièpce lui-même, depuis sa fenêtre :
En 1832, avec Louis Daguerre (peintre de profession) associé à ses recherches, Nièpce réussit à réduire le temps de pose – alors de plusieurs jours – à une journée. Après la mort de ce dernier, Daguerre reprend seul les travaux de recherche et met au point en 1838 le daguerréotype. Pour la première fois, une reproduction directe et précise de la réalité est obtenue, comprenant une étape de développement à l’aide de vapeurs de mercure qui révèlent l’image capturée. Le brevet est déposé et c’est un succès : des studios de photographes poussent comme des petits champignons et tout le monde veut se faire tirer le portrait ! Néanmoins, seules les personnes aisées peuvent se le permettre, le processus étant long et coûteux. Les années suivantes, des hommes comme Hippolyte Bayard, Henry Fox Talbot, perfectionnèrent le procédé notamment en permettant l’impression sur papier et la reproduction d’une même image.
Le XIXe siècle et la mort
Mais alors, comment des gens au XIXe en sont-ils venus à faire photographier leurs morts ? Pour comprendre cette pratique, il faut avoir en tête que le rapport à la mort à cette époque est bien différent de celui d’aujourd’hui puisqu’au XIXe, elle était omniprésente. La mortalité est plus élevée – notamment du côté des enfants – car niveau sanitaire, on est pas encore au top et des maladies telles le choléra, la tuberculose, déciment les plus fragiles. La mort devient une obsession particulièrement aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Par le long procédé du deuil, de la veillée funéraire, on met alors tout en oeuvre pour tenter de dépasser cette mort très présente. Elle l’est même dans l’espace public : par exemple – pour la petite anecdote – des morgues sont ouvertes au public pour que tout citoyen puisse s’y rendre et tenter d’identifier un corps. Les macchabées (parfois en plusieurs morceaux) sont exposés dans des vitrines, alignés en rang d’oignon, de l’eau ruisselant sur eux pour évacuer les miasmes. Mais ce dispositif se transforme en foire à la saucisse : hommes, femmes, enfants, font la queue leu-leu, tournant les serviettes pour faire le plein de sensations fortes et commenter des crimes parfois affreux… Et si un cadavre a du succès (oui), il peut être exposé plus de 3 jours, contrairement aux autres qui ne dépassent pas ce délai. À Paris, une morgue de ce type était présente sur l’île de la cité.
Le portrait photographique post-mortem
Au XIXe, on meurt « en famille », au coeur de la maisonnée. Prendre en photo un proche décédé, est alors une étape qui paraît plus « naturelle » qu’aujourd’hui. Cette ultime photo était un moyen de garder une trace de la personne disparue, ce portrait pouvant être le seul que la famille possédait. Il y a deux types de mise en scène : 1) le mort est allongé, paraissant simplement endormi ou tranquille dans son cercueil. 2) la personne décédée « pose » de façon à paraître vivante, un ou plusieurs proches présent(s) à côté d’elle. Nous pouvons qualifier ces portraits post-mortem de « photographies commémoratives ». En effet, elles agissent comme un support de deuil pour les proches du disparu. Ils prennent conscience petit à petit et de façon durable de la mort de la personne, la photo agissant comme la preuve d’un présent qui ne sera plus (l’image de la mort est fixée, irrévocable). Au XIXe, les photos sont rangées dans des albums, laissés à la disposition de chacun dans les pièces à vivre, ou bien exposées sur les murs de la maisonnées, ou encore envoyées à des amis, de la famille ; il en va de même pour les portraits post-mortem ! « Joyeux Noël, bisous de mamie qui s’en va »
Mort ? Simplement une petite sieste
La photo d’une personne décédé est l’ultime preuve de l’existence de cette dernière. Cela est particulièrement fort pour les enfants en bas-âge (1/5 mourrait avant l’âge de 5 ans) dont les parents n’ont que très peu profité… Les enfants étaient la plupart du temps représentés en train de dormir, le sommeil rappelant leur innocence face à la mort, soudainement « fauchés ».
Plus vivants que morts
En cette seconde moitié du XIXe, la thanatopraxie (embaumement pratiqué pour ralentir la décomposition de façon physique et esthétique) est en pleine progression. Les corps, qu’ils soient exposés aux veillées funéraires, ou pris en photo, sont plus présentables. Ainsi, cette pratique combinée à une soigneuse mise en scène d’une personne décédée, permet de rendre la mort plus tolérable pour les proches de la victime. Les corps peuvent être assis sur une chaise, un fauteuil, ou… debout ! Pour ce faire, une sorte de tuteur en bois, ressemblant à un porte-manteaux, est placé derrière le mort pour le maintenir en position. Il peut « poser » seul ou entouré de ses proches (ambiance…). Les yeux sont ouverts à l’aide d’éléments insérés et la bouche, qui se relâche après le décès, est légèrement cousue pour être maintenue en place.
Allez, c’est parti pour notre grand jeu, ci-dessous, qui est la personne décédée ?
Elle est à droite ! On peut apercevoir le pied du « porte-mort » entre les deux pieds de la jeune fille. Autre technique pour deviner à coup sûr : si une personne a des yeux faits au stylo bic, elle est dead, cherchez pas. C’est le cas de la jeune fille ci-dessous. Le photographe a noirci ses pupilles, pensant la rendre plus « vivante » (elle a juste l’air d’être sans âme.)
Le professionnel pouvait également rosir les joues du mort pour donner l’illusion d’un corps encore plein de vie (mais la photo est en noir et blanc, nous ne sommes pas dupes).
Les enfants plus jeunes posent assis sur un siège ou sur les genoux d’un parent.
Si vous voulez continuer à jouer à « qui est mort sur la photo ? » un détail pourra vous être utile. Parfois on peut tout simplement le deviner en remarquant la personne qui est la plus « nette ». En effet, même si le temps de pose ne s’étend plus sur plusieurs jours comme aux débuts de la photo, il faut quand même attendre de longues minutes avant de pouvoir se mouvoir, sinon on est flou. Donc forcément, un mort paraîtra plus net si ses proches ont légèrement bougé. Cela explique également le fait que peu de personnes de cette époque là sourient sur les photos.
À la fin du XIXe siècle les familles ne sont plus obligées à faire appel à un professionnel pour réaliser leurs propres photos. En effet, l’américain Georges Eastman, fondateur de Kodak, conçoit en 1888 la première « pellicule », offrant 100 prises de vue. Les plaques de verre sur lesquelles s’imprimaient auparavant les prises de vue sont progressivement remplacées par les rouleaux de celluloïd. Une fois la pellicule terminée, pas besoin d’effectuer de longs procédés chimiques, l’apprenti photographe l’envoie à Kodak qui la développe ! Tout un chacun peut alors prendre lui-même une photo d’un proche décédé ; cette pratique se faisant uniquement dans le cercle familial, devient alors plus intime. C’est au début du XXe, que le portrait post-mortem commence à s’essouffler, notamment avec la mise en place de lois visant à protéger la vie privée, dont celle des morts.
La photographie spirite
Profitant de cette vague mortuaire, certains professionnels ne vont pas se gêner pour surfer dessus… C’est le cas avec les photos « spirites ». Des photographes vont faire croire à des personnes endeuillées qu’ils pourraient photographier leur proche décédé. Né dans les années 1860, le spiritisme est une pratique qui consiste à communiquer avec les esprits. Tables tournantes, écriture automatique (un fantôme prend possession de l’esprit et de la main de celui qui écrit), médiums possédés, et… photographies d’entités se multiplient. En cette seconde moitié du XIXe, nombre de personnes s’enthousiasment pour cette pratique, notamment des artistes et intellectuels, tel Victor Hugo qui organisait des séances chez lui.
Celui qui produisit la première photo spirite est l’américain William Mumler. En 1861, alors qu’il développe un auto-portait, il voit apparaître à ses côtés sur la photo, la silhouette fantomatique d’une jeune fille ! Rapidement, il se rend compte qu’il a tout simplement mal nettoyé sa plaque photographique et donc que la prise de vue précédente y est encore légèrement présente. Amusé, il la montre à son cercle d’amis mais un petit filou l’envoie à la presse et c’est l’excitation nationale : un fantôme a été capturé en photo ! !
Des dizaines de personnes commencent à affluer à son studio pour qu’il tente de photographier leurs proches disparus. Au lieu de dire « non mais calmez-vous les prolos, c’était juste un problème technique », il va chercher à s’en mettre plein les fouilles. Avec son épouse, il établit un stratagème : elle rencontre la famille endeuillée, leur pose des questions sur le mort – notamment sur son apparence physique – et rapporte tout ça à son mari. Ensuite, Mumler, reprenant le principe de double exposition de sa 1ère photo, prenait une plaque usagée où apparaissait quelqu’un, retouchait à la peinture cette personne selon les descriptions physiques rapportées par sa femme. Puis il glissait la plaque retouchée dans son appareil et prenait en photo la personne endeuillée. Au développement, MAGIE le proche décédé apparaissait aux côtés de cette dernière ! Pour ne pas éveiller les soupçons, parfois, il faisait genre que l’esprit ne voulait pas apparaître et la personne rentrait bredouille chez elle. En temps normal, il demandait 25 cents pour un portrait classique ; là, pour une photo d’esprit, il montait à 10 dollars ! Pourtant, sa renommée est grande, et même la veuve du président Lincoln fait appel à ses services :
L’escroc finit par être démasqué en 1869, mais suite à son procès, il sera acquitté… Un autre sans scrupule, Édouard Buguet, photographe officiel de La Revue Spirite, au début des années 1870 en France :
Il sera également arrêté, en 1875, condamné pour escroquerie. À sa sortie de prison, il reprendra la photo, mais cette fois-ci pour tourner en ridicule le spiritisme. Il aura également son public, friand de petites choses cocasses :
L’article est terminé et pour cajoler notre petit coeur éprouvé, voici quelques photos de la fin du XIXe où ceux qui tapent la pose se lâchent un peu :
Si l’article t’a plu, n’hésite pas à t’abonner à la page Facebook pour être tenu au courant des prochaines publications : https://www.facebook.com/mieuxvautartquejamais/
Le blog a aussi un compte Instagram, où des anecdotes tirées des articles sont en stories et publications : instagram.com/mieuxvautartquejamais/
Sources :
- Mignacca Stéphanie, Photographies commémoratives post mortem américaines du XIXe siècle : mises en scène et mises en sens du cadavre, Université du Québec à Montréal, juin 2014
Excellent mémoire disponible : ici - Collectif, Histoire de la photographie de 1839 à nos jours, Taschen, 2012
- Cours de Robichon François, Histoire de la photographie (1839-1970), Université de Lille 3, 2015
- Vidéo, Le Bizarreum, Histoire : Les photographies post mortem – Cabinet de curiosité, disponible : ici