Chaque mois, dans ses 10 premiers jours, tout comme je le fais pour la littérature (dans les 10 derniers) et pour la musique (vers le milieu), je vous parle cinoche.
J'ai étudié/travaillé en cinéma et je le consomme encore assez goulûment.
Un film c'est toujours un voyage à très peu de frais. Je vous parle de l'un d'eux pour ses interprètes, sa facture visuelle, ses dialogues, son audace, son intensité, son script, parfois tout ça en même temps.
C'est le cas du bougre dont j'ai envie de vous parler.
FACES de JOHN CASSAVETTES
D'abord comédien, John Cassavettes joue au théâtre, puis à la télévision dans les années 50. À la fin des années 50, il tourne un film qui est une confession d'amour pour le jazz.. Il développe alors un style très personnel et qui détonne du cinéma d'alors aux États-Unis. Plus près des films de la Nouvelle Vague Française. Signant aussi les idées et finançant le film entièrement de sa poche, il fera improviser ses comédiens largement, afin de donner un aspect réel au film. Même la musique, de Charles Mingus et Shafi Hadi sera totalement improvisée sur les images.
Ses films seront presque toujours des ateliers de création et plus souvent qu'autrement, des tournages indépendants du système hollywoodien. Il aura quelques expériences "dans le système" mais, bourru, ce sera toujours malheureux comme aventure.
Acteur de cinéma, il réinvesti son salaire dans ses envies de films. Il en tourne deux autres qui ont moins d'impact, au début des années 60, puis en 1968, il choisit de ne plus improviser (il reviendra à la technique dès le film suivant) et de scénariser chaque ligne de son film.
Faces raconte la désintégration du mariage d'un couple d'âge moyen. Cassavettes nous présente plusieurs groupes de gens, des producteurs de films (d'un film appelé Faces) et de mulitples interactions entre le mari du couple, Richard (John Marley), voulant divorcer de son épouse Maria (excellente Lynn Carlin). Après une lourde dispute, le duo passe une nuit de cavale, Monsieur se rendant dans les bars où il fait la rencontre de Jeannie (Gena Rowlands) une femme de joie, qu'il ramènera au logement, pendant que Maria consulte d'abord ses ami(e)s afin de se tenter de se remettre de l'échec amoureux de son couple, ce qui implique aussi quelques dérives, comme l'arrivée d'un playboy (Seymour Cassel) qu'elle a aussi rencontré dans un bar.
La tension, commencée à deux, passera de l'intime au plus large. Décuplant la montée dramatique.
5 films de Cassavettes, sur ses 12, seront largement tournés dans la résidence du couple Cassavettes/Rowlands. Celui-là sera l'un d'eux. Si Cassavettes fait suivre un scénario précis pour la première fois, il continue de tourner entièrement sans le support des studios. Il finance son film par ses cachets dans les films The Dirty Dozen et Rosemary's Baby. Il commence l'écriture du film en 1965 et en fait un scénario de 252 pages. Il en fera un premier tournage de 4 heures avec des rushes jetées par les grands tournages Hollywoodien, qu'il récupère. Puis en fait un montage de 3h05 pour le Festival de Toronto.
Trop épuisant pour le spectateur, presqu'étouffant car, en harmonie avec le titre, il cadre toujours de très près, ces merveilleux comédiens, ce qui nous donne une avalanche de gros plans sur les visages des artistes. Il remontera pour une version finales de deux heures dix minutes.
Étrangement, ce sera une version de 147 minutes, presque jamais montrée nulle part, qui sera livrée À la Library of Congress , dans le registre des films nationaux, quand le film passera à la postérité. Cassavettes ne faisant jamais qu'à sa tête.
Charlton Heston, éternel cancer dans le bon fonctionnement social, est alors le président de la Guilde des artisans du cinéma Hollywoodien. Il leur mettra le bâton dans les roues à peu près partout. Il les rencontrera même à quelques reprises afin de rappeler qu'ils ne paient pas les cotisations de leur association pour le tournage et la distribution.
Cassavettes se moquera de lui de bout en bout et ne paiera jamais rien.
Tout vient de sa poche de toute manière.
Heston est doublement insulté quand le film est triplement nommé aux Oscars, Cassels sera nommé dans la catégorie du meilleur acteur dans un rôle de soutien, Lynn Carlin, dont s'est le premier film, sera aussi nommée dans la même catégorie chez les Femmes et John Cassavettes sera nommé pour le meilleur scénario original.
Faces triomphe de réalisme en nous montrant ce qui semble moins des comédiens que de vraies personnes dans la vraie vie. On a l'impression d'être une mouche autour de leurs interactions. L'intensité y est toute "Cassavetienne" c'est-à-dire fiévreuse, et les interprétation sont magistrales de toutes parts.
Tendre, honnête, sans compromis (Cassavettes lui-même en faisait peu), le film examine de très près les manières dont nous vivons parfois nos relations à deux.
Pour le meilleur et pour le pire.