Bon, c'est le blogueur qui parle même si depuis que j'ai fini cet ouvrage, il y a quelque temps, j'ai envie de produire une chronique chiadée sur le livre de Sylvia Serbin. Il y a beaucoup à dire. Mais j'ai un peu tardé en raison du lancement d'un autre site. Chroniques littéraires africaines...
Histoire, géographie et méthode de narration.
Bref, je commencerai par les bonnes choses qui caractérisent ce texte et elles sont nombreuses pour le lecteur que je suis. Avant d'aborder les personnages historiques extrêmement passionnants de cet ouvrage, j'aimerais souligner la méthode employée par Sylvia Serbin sur le plan de la narration. Systématiquement, elle plante rigoureusement le décor, le contexte social et politique au moment du règne ou de l’influence du personnage qu’elle va traiter. Ce qui donne à cet ouvrage une envergure particulière. En effet, le lecteur se retrouve en pays Ashanti lors des conflits de succession après la mort d’Oseï qui va entrainerau 18ème siècle la migration de Pokou et de sa suite vers un territoire au-delà de la Comoé, fondant ainsi le peuple baoulé. Ou à Madagascar à la fin au courant du 19ème siècle avec la reine Ranavalona confrontée à la poussée coloniale française. Ou la belle Kassa qui défie l’empereur Manding au 15ème siècle. Que dire encore de la Reine Zinga du Matamba et de Ndongo qui y régna au début du 17ème siècle du côté de l’actuel Angola. La description de la funeste prophétie de Nongqause en pays xhosa est encore un exemple particulièrement troublant. Ce cas particulier montre que l'auteur peut proposer une posture critique évitant ainsi le piège du texte à thèse. La liste n’est pas exhaustive. Les adversités sont différentes. Les zones géographiques aussi. On va jusqu’aux Antilles avec la figure singulière de la Mulâtresse Solitude.Chaque fois, avec un talent de conteuse, Sylvia Serbin nous fait passer d’un contexte à un autre et prenant soin de nous plonger dans ces atmosphères si peu accessibles qu’on emprunte souvent à la tradition orale ou aux témoignages de voyageurs orientaux ou occidentaux. C’est avant tout un livre d’histoire. Il y a une volonté chez l’auteure de nous restituer des organisations sociales pré-coloniales, des luttes de pouvoir, des résistances contre le commerce des esclaves que ce soit par les Maures pour le Walo par exemple - et le terrible sacrifice des femmes de Nder que Semou MaMa Diop a tenté de remettre en scène par un roman - ou la traite Atlantique. Mais aussi les luttes contre les portugais dès le 16ème siècle avec Zinga ou Kimpa Vita, un siècle plus tard. Le cas de la prophétesse Alice Lenshina, beaucoup plus récent, à la tête des églises lumpa qui vont être écrasées par Kenneth Kaunda après s’être opposées au système colonial britannique. Je dois dire que si je connaissais certaines de ces histoires dramatiques puisque ces situations s’inscrivent pour la plusieurs dans d’épisodes d’agressions violentes, j'en ai découvert beaucoup d'autres. Cette description systématique nous renvoie à ces rapports brutaux qu’a connus le continent Africain avec les Portugais, les anglais, les français ou les boers.
Les héroïnes en question
Naturellement, tout cela, au-delà d’instruire le lecteur, a le mérite de lui permettre de mieux saisir l’impact positif (souvent) ou négatif de ces femmes de pouvoir, d’influences ou ces résistantes. On en perçoit encore mieux le caractère symbolique ou réel de certains choix de femmes comme Zingha, Ranavalona ou Mme Tinubu. C’est aussi la possibilité de se représenter des figures connues mais trop fantasmées comme les guerrières Amazones d'Agbomey : leurs faits d’arme, leur faillite. Les attitudes de ces femmes interpellent forcément. Comme lorsque Ranavalona Ière qui tente de préserver le système féodal malgache, les strates sociales de l’île et ne va pas hésiter à renvoyer britanniques et français en Europe en 1835.« Agacée par ce qu’elle perçut comme une insupportable intrusion, Ranavalona expulsa en 1835 tous les Blancs de son royaume : négociants, marchands, missionnaires, chefs d’entreprises, fonctionnaires, planteurs - et même son ami Jean Laborde, qui ne reviendra dans le pays qu’après la mort de la reine. » (p.117, éd. MeduNeter)Le cas de Ranavalona III sera encore plus dramatique. La neutralisation de son influence et son exil forcé par Gallieni vers l’Algérie après une défaite militaire. Cette situation est très proche de l’action de Faidherbe contre le Walo et sa souveraine Ndete Yalla. Sur ces figures, il y a une remarque à faire. Contrairement aux hommes au pouvoir, les figures féminines présentées par Sylvia Serbin ne composent pas avec l'ennemi. Là où le cas malgache est intéressant, c’est l’attitude des hommes au pouvoir beaucoup plus conciliante, collaborant de manière plus naturelle avec les puissances impériales de l'époque. Le cas de Nzinga est particulièrement révélateur, elle qui élimine son frère, au pouvoir, trop mal organisé pour faire face aux incursions régulières et belliqueuses des portugais. Elle luttera vaillamment contre ces derniers pendant une quarantaine d’années.