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Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisode 1-2-3

Par Blackout @blackoutedition
Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisode 1-2-3

Pour les livres de Richard Palachak, c'est par ici : KALACHE, VODKA MAFIA, TOKAREV

Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisode 1-2-3

Photo de Simon Woolf

Le 43, épisode 1 : Linda

C'était ma première fois dans ce rade. Y avait un jeune pochard en compagnie d'un camaro qu'a commencé à défier la patronne. Y voulait pas régler sa douloureuse et s'est mis à lui chier dans la malle. En deux coups les gros, la taulière a enjambé le comptoir et choppé le poivré par le colbac en lui crachant à la gueule : « vas-y maintenant, trou du cul, montre-moi que t'en as dans le slibard ! Kest'attends ? Tu ramènes moins ta gueule quand il faut se rentrer dans le bide. Pov'connard ! Dégage de mon zinc et que j'revois plus jamais ta sale gueule de bec-à-merde ! » Étonnamment, ni le resquilleur, ni son équipier, n'ont moufté. Les deux branle-kéké sont sortis la queue basse et le regard hagard, sous le riff d'une daronne qu'avait une énorme paire de balloches au derche. Elle s'appelait Linda et son bistrot... c'était le 43.

Le 43, épisode 2 : Fred

Toutes les trois secondes, on entend un client gueuler comme un cochon polonais : - Fred ! Une perche attifée d'une chemise à carreaux, d'un jean straight et d"un catogan nippon répond en beuglant : - Fais pas chier, Jean-Paul, si j'avais dix-huit bras, j'aurais neuf putain de poireaux ! Pour résumer le perso, Fred est un bouffard de trèfles à rouler, fan de Prince et bassiste chevronné. Ce barman atypique a pas mal roulé sa bosse et bagouine assez bien le tchèque pour qu'on s'entrave dans un mélange de slovaque et de bohémien. Cette particularité nous rapproche illico. Même qu'on s'amuse à raconter plein de conneries en slave devant les clients qui pigent que dalle. En début de soirée, Fred joue les Zatopek en servant dix pintes à la fois, déchtouillant les tables et les cendriers à la chaîne, actionnant mille fois d'affilée l'interrupteur qui ouvre les chiottes, dégreubant les choppes qui s'entassent dans l'évier, comme un essaim de moustiques équatoriens sur la peau laiteuse d'un poupard irlandais. On peut pas dire qu'il soit franchement sympa dans ces moment-là... pas désagréable non plus mais nerveux, stressé, à cran... devant supporter la gestion du bar à lui tout seul, l'Amigo et le PMU qui lui cassent les burnes, et les piliers de bar murgés comme des huîtres chargées de perles à cul. Juste un taf intenable, où l'état de frénésie convulsive est inévitable. Évidemment, des bruits de rats d'égout bavassent que le serveur gnouffe... sauf qu'aucun junkie ne serait capable d'abattre un millième du boulot de Fred. Aucun sobre abruti non plus, d'ailleurs. Le rythme de ce job est celui d'une rafale ininterrompue de kalachnikov. Néanmoins, y a un tournant surprenant dans ces soirées trimardes où la cadence ralentit, où ne reste plus qu'une dizaine de buveurs hagards, où Fred redevient Fred. Alors, il pousse le son de la stéréo à fond et transporte les pochards au firmament mélodique du Love Symbol. Il double ou triple les doses d'alcool dans les cocktails en fonction de son humeur, et lance de grands débats philosophiques volontairement grotesques, où ce serveur malicieux distille habilement profondeur d'âme et pitreries spirituelles. Enfin, vient la fermeture. Le taulier remballe la terrasse et ferme les rideaux. Reste plus que les potos d'un soir et ceux pour la vie, sous la même lumière tamisée de la camaraderie, clopant carrément sur le comptoir, noyés sous une chiée de pressions gratos. Un dimanche soir, un couple d'Américains se retrouve là, pris au piège. Ils ont les yeux écarquillés de deux gamins qui matent un porntube pour la première fois de leur vie (la comparaison est merdique, mais je me refuse à écrire Disneyland... bon ben, du coup, c'est fait). On dirait deux poulets qui ont trouvé une brosse à dents. Cette hospitalité clandestine offerte aux inconnus du dimanche soir est imbitable. Ils s'imaginent sans doute que ça se passe comme ça partout en France. Eh ben, bordel à cul moldave pour chiens syphilitiques à trois pattes, j'vous jure qu'il n y a qu'au 43 qu'on vit des conneries pareilles. Avec ce bon vieux Fred, uniquement.

Le 43 - épisode 3 : Jacques

Y a pas grand-chose à jacter sur Jacques, et c'est justement l'un de mes exercices favoris en tant qu'écrivain : chier de l'encre à propos de rien. Jacques et Fred sont les deux barmans du 43, sauf que la comparaison s'arrête là. Jacques est un grand dondon lent comme un paresseux chloroformé, souvent collé d'aprèm, étant donné que l'affluence est plutôt calme à ces heures. Ceci dit, le gros papa se tape aussi des soirées, sans ne jamais pousser le tempo pour autant, sans ne jamais se laisser déborder, sans ne jamais faire attendre les clients trop longtemps. J'entrave que dalle à cette étrange diablerie. C'est comme si le rythme des commandes se calait recta sur celui de papou Jacquot, qu'a même le temps de tenir le crachoir en reluquant les petites minettes qui défilent rue Versot. Sinon, y a une aura substantielle qui se dégage de ce gargantua quinquagénaire : l'esprit du rock and roll. Car le rock'n roll, c'est toute sa vie... Une montagne à chier partout de concerts et de rencontres avec les plus fameux blousons noirs... et les plus mabouls aussi. Les Hells et Johnny, moultes braqueurs et fagots, Dick et Eddy... Jacques a tout vu, tout entendu, tout vécu, du point de vue d'un musico, mais il reste particulièrement discret sur les anecdotes qui valent le jus. Parfois, des « reviens-y » lui échappent, mais c'est pas le genre à se la pommader. Notamment parce que les années folles ont sacrément fait morfler le pépère. Y s'est coltiné un cancer du foie, ou de l'intestin, ou je sais plus quel putain d'organe qu'il me semble aberrant d'avoir oublié. Les bains d'emmerdes, Jacques n'en parle pas. Tout ce qui me vient à l'esprit en pensant à lui, ce sont ses grosses paluches qui remplissent des pintes, ses repas rock'n roll, constitués de brichton, de saucifflard et de frometon, ou sa carrure colossale qui obstrue carrément l'entrée du 43, lorsqu'il s'égare dans ses pensées sur fond d'un bon vieux morceau d'ACDC. Un jour que je remonte la rue des Franges, un boucan de tous les diables s'amplifie au fur et à mesure que j'allonge le pas. Je tombe sur mon Jacquot vêtu de ses immuables frusques de vieille canaille : son futal noir, sa chemise rouge et son gileton goudron. Lunettes de soleil sur le bec, harmonica à la main, il se tient debout face au micro de la terrasse du M2, un PMU situé à cent mètres du 43. Il est accompagné de Mohammed à la gratte, à moitié rétamé sur une dossière. Et ça beugue dans tous les sens. Malgré le feeling Hendrixien de Momo, ça défourre plus de pains qu'une boulangerie du dimanche matin. De son côté, Jacquot brame tel un plâtrier bulgare affecté d'un impayable accent franc-comtois, et le pire dans tout ça, c'est que tous les standards du rock'n folk US agonisent, des Stones en passant par Chuck Berry. Un jambon désaccordé, des solos d'harmonica boucanés, pi la voix nasillarde du Boudha Kinder... rien de tout cela ne laisse imaginer le souffle ineffable qui, malgré les brioches de Momo, la voix pourrave de Jacques et l'environnement branledouilleur de la rue des Franges... répand dans les cœurs l'esprit mystérieux du rock'n roll.

Richard Palachak

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