Magazine Beaux Arts

Exposition « Sinuosités » Suzy Lelièvre – Montpellier

Publié le 15 novembre 2019 par Philippe Cadu

Du 15 novembre au 21 décembre 2019 - Vernissage vendredi 15 novembre à partir de 18h

www.galeriealma.com

L'amplitude d'un signal sinusoïdal correspond à une pression sonore, au déplacement d'une corde qui vibre ou encore à une onde électromagnétique. Ces mouvements imperceptibles sont retranscrits graphiquement par des lignes courbes et continues prenant l'apparence d'une vague.

Dès l'entrée de la galerie, à l'échelle de notre corps, on aperçoit un bas-relief bleu à la trame ondulatoire. La matrice incarne un signal qui introduit et irrigue l'exposition. Les travaux déclinés par Suzy Lelièvre se caractérisent par des mouvements, gestes et formes répétés, nœuds distordus et ré-investis.

Souvent inspirée par les mathématiques, l'artiste formule des énoncés, des postulats plausibles. On trouve au mur d'autres boucles, des épingles agrandies et tendues qui créent immédiatement un effet mécanique : les anneaux tournoyants semblent suivre une grille, se plier et se déplier à partir de celle-ci.

Si les formes déployées sont souvent énigmatiques, certaines effleurent une lecture plus fonctionnelle de l'objet. On distingue un ruban en bascule. En son centre, pourrait être accueillie une sphère. Évidé de celle-ci, le volume est posé au sol, en attente d'activation. Le va-et-vient du balancier est à peine suggéré, comme dans la plupart des travaux de l'artiste où elle extrait des matrices pour définir ses processus de travail.

Cette stratégie empruntée à la pensée de Michel de Certeau dans L'invention du quotidien définit les règles du jeu.

À l'intérieur, des tactiques opèrent : l'utilisation de structures emblématiques auxquelles Suzy Lelièvre fait subir des déformations continues révèle une démarche à la fois sensible et rationnelle. Ainsi, Certains motifs sont ainsi directement reliés au réel. Ici, une structure sinueuse faite de sable est posée sur une table au milieu de la galerie.

En arrière-plan, le paysage côtier et sableux du pourtour méditerranéen. On y laisse parfois glisser en fines cascades le sable fin entre ses doigts. Les petits talus se déversent alors dans un bruit étouffé.

Déployées sur une surface plane, les silhouettes coniques sont hissées sur un socle qui accueille l'amoncellement successif des grains de sable. Là, on devine d'autres ronds formés par l'action d'une coulure où la cire et le sable s'enlacent et viennent recouvrir à chaud la surface d'un moule.

La sérialité est pour Suzy Lelièvre une manière de percevoir le monde en figeant les différentes phases d'une évolution. L'œuvre est appréhendée comme un instant parmi d'autres.

L'artiste dit " naviguer à vue ", en modulant des objets devenus gauches qui détournent notre rapport au réel. Le motif répété permet à la fois de déplier des architectures - régulières ou irrégulières - en modifiant un paramètre afin de redessiner les contours de l'équation première. Ces combinaisons sont testées, éprouvées par des maquettes en papier.

En résultent des expériences " perceptuelles " constitutives de la mémoire d'une forme. Les surfaces se dédoublent ou sont réinventées, grattées, creusées, dé-matérialisées.

À l'image de la série de dessins réalisés pour l'exposition, fragments d'une trame de tissu contenue dans un cadre ? Quelle est l'échelle de cette grille aux courbes sensuelles ?

Alors, nous passons du mur à la surface plane et d'autres éléments " en creux " apparaissent, étranges petits blocs distordus et incisés.

Selon un procédé de capitonnage (technique utilisée dans la tapisserie d'ameublement qui vise à garnir un objet à travers plusieurs points d'entrée ou de piqûres), l'artiste s'aventure aux antipodes du contrôle du matériau ou d'une visée perfectible.

Elle décortique la technique depuis l'intérieur, la dévoile voire la sublime en transférant une mousse vers la matérialité fragile de la porcelaine. Le résultat déploie un nouveau lexique, une géométrie courbe, malaxée par l'artiste.

Suzy Lelièvre revendique une pratique collaborative qui convoque de multiples savoirs : la céramique, l'ingénierie, la ferronnerie, la tapisserie, le bricolage...

L'artiste se situe aux confins d'une créativité partagée et en devient l'alchimiste qui fusionne aussi bien les connaissances que les matériaux, composant un canevas lâche et perméable

Élise Girardot, novembre 2019
Critique d'art, membre de l'AICA


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Philippe Cadu 34619 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte