Evidemment, Página/12 se marre !
Hier, le gouvernement sortant de l’Argentine a publié par décret les nouvelles modalités de l’avortement légal (dit avortement non pénalisable) : c’était un petit chef d’œuvre d’hypocrisie (1) mais cela avait le mérite de proposer une solution momentanée à l’actuelle impasse législative montée en mayonnaise par Mauricio Macri qui avait envoyé au Congrès un projet de loi ouvrant la voie à la dépénalisation de l’IVG, tout en disant que lui-même était hostile, ce qui ne manqua pas de créer une bataille idéologique qui a renforcé les anti-IVG qui se disent "pro-life", les mêmes qui soutiennent par ailleurs les idées folles de la ministre de la Sécurité (et du président) qui prône la présomption de légitime défense dès qu’un policier fait usage de son arme et tue quelqu’un dans l’exercice (ou hors de l’exercice) de sa mission de service public…
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Aujourd’hui la population argentine se partage entre les foulards bleu-ciel (anti-IVG) et les foulards verts (pro-dépénalisation).
Le président élu, Alberto Fernández, a récemment déclaré qu’il allait ouvrir le droit à l’avortement, n'hésitant pas à affronter l'opposition de l'Eglise, dont une bonne partie du magistère l'avait soutenu pour sa politique sociale et sa préoccupation pour les pauvres, victimes de la crise économique qui frappe le pays, surtout depuis deux ans (le candidat s'était bien gardé de se prononcer sur le thème d'une manière aussi claire mais son électorat ne laissait aucun doute sur la position qu'il prendrait). Fernández considère en effet qu’il s’agit non pas d’une question morale mais d'un sujet de santé publique, les femmes pauvres étant soumises à des pratiques clandestines d’une redoutable dangerosité. Depuis plusieurs années, les scandales se sont accumulés : des femmes mortes à cause de faiseurs/ses d’ange et des petites filles (12 ou 11 ans) obligées par des adultes (médecins, « bonnes âmes » bien pensantes, juges mâles) de garder leur enfant, qui sont nés gravement prématurés et qui n’ont pas vécu.
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L'opinion publique a beaucoup évolué en une dizaine d'années sur ce sujet. Lorsque Cristina Kirchner avait pris ses fonctions présidentielles, elle se disait profondément hostile à la dépénalisation et puis les mouvements féministes et sanitaires ont fait leur travail militant et la majorité argentine semble avoir maintenant accepté l'idée de retirer aux juges tout pouvoir sur cette question considérée comme intime. Cristina elle-même, alors sénatrice et bientôt vice-présidente, a prit la mesure du changement et elle s'était prononcée en faveur du projet de loi envoyé par Macri, auquel il n'a finalement manqué que quelques voix pour être adopté.
Donc pour une fois, Mauricio Macri avait pris une décision pas idiote. Mais il a dû retirer le décret devant la fureur des anti-IVG, qui forment une partie de son électorat résiduel. Publiées le matin, les nouvelles normes ont été annulées le soir même.
Evidemment, cela fait jaser dans les chaumières et dans la presse à vingt jours de la passation de pouvoir entre les deux présidents, sortant et entrant.
Pour aller plus loin : lire l’article de Página/12 sur le nouveau scandale à droite lire l’article de Página/12 sur les normes annulées lire l’article de La Prensa (journal catholique de droite) lire l’article de Clarín lire l’article de La Nación
(1) Selon ces nouvelles normes, il aurait suffi à une femme voulant avorter de faire une déclaration sur l’honneur selon quoi elle était victime d’une relation sexuelle non voulue pour qu’un praticien hospitalier puisse pratiquer sur elle une IVG sans qu’aucun juge ou aucune autre autorité ne puisse s’y opposer. Ces normes créaient une présomption d’innocence pour la femme en tenant compte du fait que la jurisprudence a établi depuis environ un siècle que la grossesse provoquée par un viol ou un inceste pouvait être interrompue. Encore fallait-il qu’un juge reconnaisse le lien de cause à effet entre la grossesse et le viol, ce qui obligeait la femme ou la petite fille à comparaître dans des délais très courts devant un magistrat, qui, assez souvent, ne reconnaît pas le bien-fondé de la demande, y compris contre des fillettes violées par un membre de leur famille. Avec les nouvelles normes, toutes les femmes pauvres ou pas très riches, n’ayant pas les moyens de se rendre au Canada ou en Europe pour avorter légalement ni vu ni connu, auraient eu une amélioration de leur espérance de vie.