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L’ornithologie, c’est la guerre

Par Pmalgachie @pmalgachie
L’ornithologie, c’est la guerre Les livres de Jean Rolin, souvent, nous prennent par surprise. Même et peut-être surtout quand le titre est explicite. Le traquet kurde, par exemple. N’importe quelle encyclopédie, au hasard, Wikipédia, fournira la liste de tous les traquets, du traquet motteux au traquet de Perse, en passant par le traquet à tête grise et celui à queue noire. Les Œnanthes, si l’on préfère le nom scientifique. Encore le traquet kurde (ou Œnanthe xanthoprymna, au choix) n’est-il pas le mieux documenté puisqu’il n’a pas droit à sa page personnelle. Jean Rolin devait le savoir puisqu’il fournit, au début de son ouvrage, un superbe dessin de l’oiseau – car, oui, nous ne l’avions pas encore dit, il s’agit d’un oiseau – dû à Brian Small. Il précisera, un peu plus tard, le poids de l’animal, de 20 à 25 grammes, dont l’image ne permet pas une estimation. Voici donc le personnage principal. Moins connu que Britney Spears, certes, dont l’absence illuminait les pages du Ravissement de Britney Spears. Mais pourquoi pas cet oiseau puisque Jean Rolin a forcément les moyens romanesque de l’utiliser pour nous séduire ? Le narrateur, dans les premières lignes, se trouve devant « une jonchée de petits oiseaux morts, inodores, vidés de leurs entrailles et bourrés de coton, les yeux blancs, les couleurs de leur plumage un peu ternies, sans doute, mais pas au point que l’on ne puisse reconnaître dans ces dépouilles les choses vivantes qu’elles ont été. » Quelle apocalypse est-ce là ? Pas du tout : nous sommes au Bird Room du Museum britannique d’histoire naturelle, où les oiseaux morts sont étiquetés avec soin. Parmi les informations portées sur l’étiquette, le lieu de la collecte et le nom de la personne qui a trouvé l’oiseau. Sur les quatorze traquets kurdes rangés là, cinq sont attribués au colonel Richard Meinertzhagen. Il ne sera pas, dans cette histoire, le gentil ornithologue de service : très vite, ses actes sont qualifiés de « méfaits » et, quelques lignes plus loin, le voici convaincu de vol dans la salle où nous nous trouvons. La guerre entre scientifiques, ce n’est pas nouveau. Plusieurs d’entre elles ont nourri la littérature de sujets saignants où l’ambition humaine fait fi de la rigueur supposée régner dans ce milieu. Il ne manque pas non plus de goût pour la victoire chez certains ornithologues, et ce Meinertzhagen, un sale bonhomme au fond, est capable de toutes les traîtrises pour mettre son nom à côté d’un ridicule petit piaf – mais assez rare pour provoquer le désir singulier d’hommes passionnés par les oiseaux et par la gloire. Dans ce qui devient une véritable enquête, le narrateur, c’est-à-dire à coup sûr Jean Rolin lui-même, part sur le terrain, se livre à des observations au cours desquelles l’inattendu n’est jamais à exclure. Ou le prévisible : quand on se promène près de la frontière kurde, dans des paysages occupés par les combattants du PKK, une paire de jumelles peut être considérée comme l’outil d’un espion plutôt que d’un ornithologue amateur… Ils sont ainsi, les inconscients : ils prennent des risques inconsidérés pour… pour quoi, au fond ? Observer un traquet kurde, ou écrire quelques pages de haute volée ? Les deux vont de pair, comme vont de pair, souvent, dans le récit de temps plus éloignés, toujours à propos des oiseaux, la traque d’une espèce peu commune et des activités moins licites liées aux intérêts de pays curieux d’en savoir plus sur des territoires à surveiller. Voilà pourquoi le détestable Meinertzhagen croise le célèbre Lawrence d’Arabie, qu’il prétend avoir fessé dans le couloir d’un hôtel. T.E. Lawrence lui rendra d’ailleurs cette fessée en décrivant Meinertzhagen qui prend le même plaisir à « tromper son ennemi [ou son ami] par quelque astuce peu scrupuleuse qu’à défoncer un à un, dans un coin, les crânes d’une troupe d’Allemands, avec son casse-tête africain ». L’ornithologie passait pour une passion calme ? Jean Rolin nous détrompe avec virtuosité.

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