Le Procope est un monument parce que c'est le café le plus ancien de Paris. C'est un musée parce qu'il recèle un grand nombre d'objets liés à l'histoire du café puisque c'est là que cette boisson fut introduite en Europe.C'est un lieu de mémoire qui a conservé des marques du passage d'hôtes illustres dont certains ont même donné leur nom à une salle comme Denis Diderot, Frédéric Chopin, Jean-Paul Marat, Jean-Jacques Rousseau et la Fontaine ou Benjamin Franklin.
Il y a tellement de livres que c'est presque une bibliothèque et on apprend énormément de choses en jetant un oeil autour de soi. Et, ce n'est pas un détail, on y mange très bien.
Il doit son nom à son fondateur, le sicilien Francesco Procopio Dei Coltelli en 1686. au 13 rue de l'Ancienne Comédie dans le 6ème arrondissement.
A l'époque la Comédie était on ne peut plus active puisque la troupe de Molière était installée juste en face et l'illustre homme de théâtre fut un des premiers clients.
Ce qui est exceptionnel c'est que l'endroit a réussi à conserver son âme tout en vivant à un rythme très soutenu puisqu'on y sert 600 à 700 couverts par jour. On peut y venir seul sans y être mal à l'aise, en couple ou avec des amis. Mais aussi en groupe puisque par exemple le Salon Roosevelt du premier étage peut accueillir un banquet de 70 personnes.
On pourrait s'attendre à ce que les prix soient à la hauteur de la réputation et pourtant le menu reste très abordable, pour une qualité extrêmement appréciable ... et appréciée, expliquant que le restaurant se classe premier parmi les 19 grandes brasseries du groupe Bertrand auquel il appartient depuis avril 2016 (par l'acquisition aux Frères Blanc qui en étaient propriétaires depuis 1987), devant la Coupole, La maison du Danemark, La Lorraine ou Au Pied de Cochon même s'il ne s'agit pas de les comparer ou de les placer en concurrence.
Le groupe se développe en France et à l’international en propre et en franchise autour de son portefeuille d’enseignes et compte aujourd’hui plus de 850 restaurants dans le monde. Ses établissements sont en réalité complémentaires mais la lecture de cet article donnera peut-être quelques clés pour comprendre en quoi le Procope fait la différence parmi les brasseries et grands restaurants.
D'abord la volonté de son directeur, Eric Giroud-Trouillet, est de faire de ce lieu d’exception un endroit accueillant et chaleureux. Ce pari n'était pas facile et il est gagné. Je suis venue plusieurs fois au Procope, et même la première fois, alors que j'étais invitée à la remise du Prix Gulli, en 2018, j'avais constaté cet esprit de convivialité si surprenant dans un lieu chargé d'histoire.
J'avais remarqué les médaillons qui ornent la façade extérieure énumérant les personnalités ayant fréquenté l'endroit et j'avais été intriguée par les drapeaux, plus nombreux dans cette rue qu'à l'Unesco. Quelle belle manière d'honorer les douze principales nationalités qui prennent ici leur repas! Le personnel parle plusieurs langues et la carte existe en version italienne, allemande, japonaise, chinoise, russe, coréenne. Il y a aussi de grosses clientèles indienne et brésilienne.
On a le sens de l'accueil. Et de l'humilité. Le directeur m'a reçue pour l'interview dans sa blouse de travail. Il endossera la veste noire plus tard, au moment du service, auquel il participe chaque fois que nécessaire. La restauration est un métier où on accepte de travailler beaucoup, jusqu'à 14 à 15 heures par jour, mais où par contre il existe encore une vraie reconnaissance et une ascension promotionnelle possible dans ces métiers, en acceptant de changer de restaurant bien entendu.
On démarre au SMIC mais les salaires peuvent vite grimper et être multipliés par trois, voire par quatre. Celui (ou celle) qui a la détermination et l'envie de s'investir passera relativement vite
de commis de cuisine à chef de cuisine, ou pour la salle, de chef de rang à directeur. Une partie de la rémunération est toujours au pourcentage en salle où le travail demeure un travail d'équipe.L'organisation en salons instaure une certaine intimité et le client n'a pas le sentiment d'être assis au milieu de 250 personnes (400 places assises à la Coupole à titre de comparaison). Et s'il préfère manger dehors il peut choisir, en belle saison, une des vingt tables de la terrasse donnant sur la Cour du Commerce Saint-André-des-Arts, au pied des marches de la table que réservait souvent Jacques Chirac quand il était maire de Paris, dans le salon Procopio.





L'histoire du lieu
Tout commence avec l'introduction du café par des arméniens, rue de Tournon, à la foire Saint-Germain. C'est là que travaille, fraîchement arrivé depuis 1670 de sa Sicile natale, le jeune Francesco Procopio dei Coltelli. En 1686, il rachète l'établissement, qu’il fait luxueusement décorer et l'ouvre en 1689. L’établissement, qui portera un peu plus tard le nom de Le Procope, devient rapidement l’un des cafés littéraires les plus courus. Il concurrence même le café de la Place du Palais-Royal, fondé cinq ans plus tôt (et qui deviendra le Café de la Régence).Ce sera le premier restaurant en Europe à démocratiser le café en proposant son service à table dans une tasse en porcelaine. Le fils succèdera au père après sa mort.



Un lieu où s'écrivit l'histoireCe qui ne fait aucun doute c'est que les intellectuels se retrouvaient au Procope pour confronter leurs idées. Quel grand homme ne l'a pas fréquenté ? Les noms de Voltaire, Rousseau, Diderot, d’Alembert, Alfred de Musset, George Sand, Frédéric Chopin, Paul Verlaine (une plaque indique la table qu'il occupait avec Rimbaud, sous le tableau de Piron), Anatole France, Gambetta, Benjamin Franklin reviennent régulièrement. Plus près de nous Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir (qui s'installait sous le tableau de Jean-Jacques Rousseau, dans le salon du même nom) ou Jean-Pierre Chevènement qui a sa table dans Salon Diderot.





La Révolution française y a laissé des traces. Comme je l'ai mentionné plus haut, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est reproduite sur les murs du Salon Procope.























Un livre ouvert
Les citations courent le long des plafonds et des poutres. J'en ai déjà donné quelque-unes mais chacune mérite qu'on s'y attarde.Ainsi on peut lire sur un mur du Salon Chopin :C’est une folie à nulle autre seconde, de vouloir se mêler de corriger le monde(Molière, le Misanthrope)Allez dire à votre maitre que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes(Mirabeau à l’Assemblée Constituante le 23 juin 1789)
Salon Diderot : sur la première poutre :Les sensations ne sont rien que ce que le coeur les fait être (Rousseau)Le Faux est susceptible d’une infinité de combinaisons, mais la Vérité n’a qu’une manière d’être(Rousseau)Sur la deuxième poutre :Et nous n’aimons rien tant que ce qui nous ressemble (Molière)Quand on se fait entendre on parle toujours bien(Molière-Les Femmes savantes)Dans le salon La Fayette : Travaille. Un grand exemple est un puissant témoin. Montre ce que on peut faire en le faisant toi-même (André Chénier- L’Invention)Que la loi soit terrible est tout rentrera dans l’ordre(Danton- 22 septembre 1792)Soldats, je suis contents de vous ! (Napoléon 2 décembre 1805)Et dans un couloir : Et pour fermer chez vous l’entrée à la douleur. De vingt verres de vin entourer votre coeur (Molière)
Une tradition littéraireLe Procope a été choisi pour la cérémonie de remise des Prix de l'Humour noir depuis 1954, et du Prix Jean-Zay, depuis 2005.Pour rendre hommage aux philosophes du siècle des Lumières, le groupe Frères Blanc, propriétaire de 1987 à 2016, avait lancé en 2011, le Prix Procope des Lumières, destiné à récompenser l’auteur d’un essai politique, philosophique ou sociétal, écrit en langue française et paru en librairie pendant l’année en cours. L’ouvrage primé devait mettre en avant une réflexion nouvelle, voire polémique, sur notre temps, dans la tradition de l’esprit critique, des libertés et de l’humanisme du XVIII° siècle.décerné par un jury présidé par Jacques Attali.

Le Prix Gulli, récompensant un ouvrage de littérature jeunesse y est remis depuis 2012, dans le salon Franklin mais d'autres sont discutés dans l'intimité du salon Marat.


Le jury se réunit en juin pour sélectionner des livres. Sont finalistes cette année, A la table de Carinne Teyssandier,Itinéraire d’un chef pâtissierd’Aurélien Rivoire etLes recettes préférées de Johnny, de Jacqueline Benoit . Ils seront départagés par un jury composé de journalistes et de chroniqueurs culinaires le 5 novembre prochain. Le lauréat sera annoncé le 19 novembre. L’une de ses recettes intégrera la carte du café Procope pendant un an.En 2018, ce fut l’ouvrage de Frédric Anton et Christelle Brua, La cuisine à petits prix, aux éditions du Chêne, qui avait fait l’unanimité. L'ouvrage est disponible à la vente au restaurant qui a mis non pas une mais deux recettes à sa carte (voir plus bas).En 2017 le jury avait désigné La Cuisine des 5 Saisons, de Pierre Gagnaire, aux Éditions Solar, et on avait mis à la carte son Filet de lieu jaune pommes tandoori et crème caramélisée. Un restaurant
Le personnel a été formé à la convivialité et a le sourire facile. Il est important de reconnaître les habitués. Etre une force de proposition sans jamais imposer, faire en sorte que le client ne regrette pas sa dépense et reparte heureux est un art qui s'y exerce avec Passion et Amour.





J'ai dégusté les deux recettes reproduites à l'identique du livre du chef triplement étoilé au Guide Michelin Frédéric Anton : le Risotto crémeux aux artichauts croustillants, accompagné d'une filet de daurade royale. Puis la Tarte au citron meringuée de Christelle Brua.

Un verre de blanc de Côte du Rhône, fruité, au goût de poire accompagna parfaitement le poisson, généreusement relevé de cerfeuil et d'aneth, et dont la cuisson était parfaite.



Le Procope
13 rue de l'Ancienne Comédie - 75006 Paris - 01 40 46 79 00Ouvert tous les jours
