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Depuis le 1er Janvier 2008, il est interdit de fumer dans tout lieu public et au travail: loi libératrice pour les uns, les non-fumeurs enfumés depuis des décennies, loi inique pour les autres, les fumeurs qui évacuent leur stress grâce à ce geste si simple, si commun, tellement passe-partout...sortit un briquet, une clope, l'allumer et en tirer une bouffée de volupté.
Fabrice Valantine, brillant chasseur de tête, appartient au club des irréductibles fumeurs au grand dam de son épouse. La pression des non-fumeurs devient de plus en plus forte, au bureau seul le patron brave encore l'interdiction; aussi, un jour, Fabrice cède-t-il, malgré son scepticisme, à la demande de sa femme: consulter un hypnotiseur, la coqueluche "hype" pour arrêter enfin de fumer! La séance semble avoir réussi: Fabrice n'éprouve plus l'envie de fumer.
L'ambiance au bureau est tendue: le patron parle de se retirer des affaires et les paris sur sa succession vont bon train. C'est à Fabrice que Hubert Beauchamps-Charellier décide de passer le flambeau lors d'un tête-à-tête. La joie n'est que de courte durée: FBC est retrouvé mort dans son bureau. Le conseil d'administration nomme en urgence Franck Louvier, un jeune loup, dynamique et aux dents longues dans la plus pure lignée des "killers" du monde des affaires! L'enfer commence pour Fabrice qui se retrouve relégué dans un placard: il craque et se grille une cigarette. La stupeur de Fabrice devant l'absence absolue de plaisir est égale à son incompréhension du phénomène: il a envie de fumer mais la cigarette ne lui apporte plus d'apaisement ni de plénitude.
L'invraisemblable se produira lors d'un incident domestique: Fabrice a un voisin coutumier de violences conjugales sur son épouse; cet homme misérable et abject, après avoir envoyé sa femme à l'hôpital suite à un passage à tabac trop virulent, bricole un jour l'embrasure d'une fenêtre de son appartement. Fabrice s'aperçoit que le reflet de sa montre gêne un peu l'abominable voisin, en équilibre précaire à sa fenêtre, et si le miroir du salon était de la fête et débarassait l'immeuble du voisin? Fabrice remet le miroir en place, allume une cigarette et ressent un extraordinaire plaisir entre les volutes de tabac et le corps inanimé du voisin....Fabrice vient de commettre un meurtre parfait et de retrouver intact, sous l'adrénaline de l'acte, le plaisir intense du fumeur. Révélation surprenante, lumineuse et indicible, premier pas vers le paradis perdu du fumeur.
Fabrice suit son instinct et étoffe son tableau de chasse au fil des mois jusqu'au jour où un grain de sable enraye le déroulement des évènements.
"Fume et tue" est un roman noir à l'humour dévastateur qui réussit le tour de force de rendre sympathique héros, un Robin des Bois des temps modernes (ses victimes ne sont que des ordures et des salauds patentés), et de rire de la loi anti-tabac.
Antoine Laurain s'exerce, en filigrane, à une satire des moeurs sociales et économiques tant dans la sphère privée que dans le monde du travail (la description de Franck Louvier et ses sbires à la "Men in black" est particulièrement savoureuse et grinçante).
Une lecture jubilatoire où l'ambiance drôlatique laisse percer l'inquiétude dans les volutes tabagiques d'un fumeur qui ne rêvait que d'une seule chose: la paix, au bureau et à la maison, en compagnie de ses cigarettes. Une question me taraude: aurait-il été intéressant que la morale ne soit pas sauve? En effet, j'ai vraiment apprécié le côté provocateur et iconoclaste du personnage et du sujet de l'intrigue aussi du coup la fin m'a-t-elle paru un brin trop sage.
"J'allumai la dernière benson qui me restait avant de ressortir dans la nuit en quête d'un paquet, comme ces grands fauves qui errent dans la savane endormie à la recherche d'une proie. Le geste. Il ne me restait plus que le geste comme présence rassurante. Craquer un briquet, allumer le tison, tenir la cigarette entre le majeur et l'index, porter le filtre à mes lèvres. Jusque là tout allait bien, après tout s'effondrait. la fumée fit son aller-retour dans les poumons et, là, rien. Je décidai de l'éteindre après quelques bouffées." (p 163)