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(Note de lecture), revue L'étrangère, n°50, par René Noël

Par Florence Trocmé

Pouvoirs des mains

L'Etrangère n°50
Les photographies d'Agnès Geoffray, trois et quatre mains jouant à l'élastique en couverture et sur deux pages, n'évoquent pas tant les mains positives et négatives de Barceló ou du Paléolithique que les peintures-sculptures de Gerhard Richter. Mains vives de Persona, de Cris et chuchotements de Bergman surgies de toutes les prothèses, du feu dérobé à nouveau par un Prométhée d'aujourd'hui qui participent des poèmes et des essais du cinquantième numéro de L'Étrangère, revue de création et de critique pour les vingt ans, soit un cinquième de celui-ci, du vingt-et-unième siècle.
Leviers, les revues expérimentent les formes par fécondations mutuelles de la chair et des forces telluriques, cosmiques. Paul Klee, en particulier lorsqu'il s'attache brièvement aux expériences modernes de la création musicale... ne note-t-il pas, parallèlement aux autres champs de la création artistique, l'importance une fois de plus de tenir pour édificatrice l'exigence de coexistence de multiples dimensions dans un même complexe de réalisation ? écrit Pierre-Yves Soucy, donnant ici une des clefs de lecture possibles de L'Étrangère où les médiations réciproques des arts créent l'inconnu.
Christian Ruby continue ses travaux d'archéologie des constructions et constitutions des publics, des citoyens, étudie ici les émergences des opinions dans les écrits de Rousseau plus ou moins sincères et intéressées résultant pour partie des conflits du philosophe avec la société. Je reprends langue quant à moi avec l'école d'Iéna ou ce laboratoire central que représente le Zibaldone écrit Christophe Van Rossem, publiant ici des extraits de ses fragments. Les poèmes d'Alain Andreucci faits de vers bouturés par un point à chaque ligne créent les tunnels par où les mémoires récentes aux allures de mythes, déjà, échappent du lierre, des friches de l'oubli omniprésent, vorace. Marie Etienne arme le rêve chair et muscle du poème en sœur de K. devant la loi, les pieds sur les quais d'Amerika. Pierre Voélin explore les frontières où les langues et les géographies créent l'immédiat quand José Acquelin joue le monde aux dés, ses vers diptyques et autres poèmes francs du collier larguent à vue les idoles et les idéologies. Séverine Daucourt-Fridriksson affûte le cri d'enfance les deux pieds dans l'impossible. Temenuzhka Dimova observe de loin la cage que ses vers désenclavent à mesure qu'elle remonte le cours des jours. Elodie Simon établit le cadastre de ses progressions vers du non-inscrit. François Lallier et Jean-François Besançon bordent et inspectent les milieux, peu intimidés par les mutilations des imaginations, injectent leurs rythmes dans l'ordinaire des jours.
René Noël

Deux extraits (choix de la rédaction)

Et comme tout cela brûle de fumée noire brûlera.
Avec le manche de l’outil avec la langue râpeuse.
Qui polit l tombeau où tu fus inquiète d’y relire.
Des noms plus anciens que toi ce que cela toi roi remonte.
De terreurs propices et belles comme se demandant.
Si vraiment les morts sont aveugles s’ils ont fini assurément.
De consumer en nous les corps désirables.
Les corps de catastrophe le néant montueux venu dans la nombreuse voix ventrue.
Comme une fée sur ton berceau de sable s’y était assoupie.
(Alain Andreucci, p. 70)
*
30. Je veux dire que la grande poésie a toujours partie liée avec la rhétorique, trop tôt, trop vite abandonnée.
31. Yves Bonnefoy, à Jean-Paul Michel, à la toute fin du siècle dernier : « Vous voudrez bien me pardonner la coloration rhétorique d’un propos sur la poésie. En fait la relation de la rhétorique et de la poésie me fascine. » (Le devoir de maintenir le livre s’impose dans l’intégrité, 1996-2016, Bordeaux, William Blake & co Edit., Lettre du 6 octobre 2000, p. 14-15).
32. Une poésie qui ne pense pas est un corps sans âme. Oui, c’est ici un athée qui s’exprimer.
33. Toute pensée, fatalement, erre au sein d’un discours.
(Christophe van Rossom, p. 130)
L’Étrangère n° 50
196 pages, Illustration d’Agnès Geoffray, 24 €, 2019
Ce numéro 50 de la revue propose un ensemble de textes placés sous le signe de la complexité de la création poétique lorsqu’il s’agit de rejoindre les aspects les plus sensibles de l’acte créatif en insistant sur ses multiples et singulières composantes. Volume varia avec un index des 50 premiers numéros de la revue.
Table des matières : Pierre-Yves Soucy : « Une simultanéité à plusieurs dimensions » ; Élodie Simon : « Sous les thrènes » ; José Acquelin : « Chevalier du sablier et autres poèmes » ; Marie Étienne : « Train de nuit » ; Alain Andreucci : « Muses obtuse » (extrait) ; Séverine Daucourt : « entravée » ; François Lallier : « L’Orage » ; Temenuzhka Dimova : « Poèmes rescapés » ; Christophe Van Rossom : « Dans les forges d’Héphaïstos » ; Pierre Voélin : « pierres – au-delà du gué » ; Jean-François Besançon : « Ce qui naît vagissant des essaims suspendus » ; Christian Ruby : « Une écriture-cri : les Dialogues de Jean-Jacques Rousseau » ; table des matières de la revue L’étrangère des numéros 1 à 50 inclusivement.


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