
Cela fait un mois que Dans les forêts de Sibérie est à l'affiche au Théâtre de la Huchette et qui d'autre que William Mesguich aurait pu s'emparer de cette expérience exceptionnelle pour la faire revivre sur la scène ?
Je ne me risquerai pas à dire lequel des deux est le plus habité par ses passions.
Sylvain Tesson (Prix Renaudot 2019 pour La Panthère des neiges) avait fait le choix de s’isoler au milieu de la forêt sibérienne, en bordure du lac Baïkal, pour y réapprendre le bonheur de la lecture et goûter pleinement le plaisir de la réflexion solitaire.
Il s'était promis de faire cette retraite avant ses quarante ans. Il lui fallut sept ans pour monter le projet qui fut tout sauf un coup de tête.
Et si la liberté consistait à posséder le temps ? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence - toutes choses dont manqueront les générations futures ? Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.
Son livre éponyme a été publié en 2012 chez Gallimard. Il a été récompensé du Prix Médicis essai et il a convaincu beaucoup de lecteurs que la métamorphose était possible par l'immobilité davantage que par le voyage. Ce livre a changé ma vie m'a dit une amie.
William Mesguich incarne cet homme qui est encore pour partie resté dans la cabane. Ce n'était pas facile parce qu'on pouvait penser ce roman inadaptable au théâtre. Comment rendre compte de la solitude, de la température extrême, de l'immensité de la nature et aussi de la détresse de considérer les conséquences de son choix de vie par un message sur le téléphone satellitaire ? William le fait avec le talent qu'on lui connait.

L'humour reviendra avec l'énumération de la liste du matériel, et plus tard avec une blague russe. Ce registre n'est pas très habituel dans le jeu de William (même s'il est capable d'excellence en comédie et je pense en particulier à Chagrin pour soi où je l'avais trouvé prodigieux). Il apporte une respiration à un texte qui pourrait être lourd à soutenir, en particulier quand il adopte une position christique.
L'adaptation de Charlotte Escamez a probablement imposé d'accepter des coupures car le texte aurait été trop long pour être donné dans sa totalité. Il était essentiel, et c'est réussi, de placer quelques respirations et d'instiller un certain suspens quant à ce qui peut se passer, aussi bien en terme de bonnes que de mauvaises surprises : il y a morsure plus douloureuse que la solitude.
Le propos écologique est lui aussi fidèlement rendu. La poésie s'invite sous la forme d'une mésange. La cheminée de la maquette de l’isba fume. On y est et on s'allège nous aussi du barnum de la vie parisienne !

