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Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisodes 10-11-12

Par Blackout @blackoutedition
Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisodes 10-11-12

Pour les livres de Richard Palachak, c'est par ici : KALACHE, VODKA MAFIA, TOKAREV

Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisodes 10-11-12

Photo de Simon Woolf

Le 43, épisode 10 : Enora et Miguel

J'ai sacrément bâclé la fin du fragment 9, où je vous ai raconté vite fait comment je me suis cramé les paluches avec les shooters flambés. Certes, Émilie s'est efforcée de me retaper comme elle pouvait, mais au fur et à mesure des soins qu'elle me prodiguait, d'énormes cloques sont apparues sur mes râteaux. Au bout d'une demi plombe, c'était une véritable orgie de bouffissures. Et c'est là qu'elle m'a sorti : « faut que t'ailles à l'hosto, Kalache. » OK, no problemo. Sauf qu'aux urgences des taules à macchabées, faut bien moisir quatre heures avant d'être pris en charge. Et je vous cache pas qu'à ce moment-là, je commençais à déguster. Retour case départ au 43 pour tenter l'ultime : Enora. Mais saleté de rom hongroise amputée d'une quille gangrenée par un gonocoque oro-génital, qui est cette fameuse Enora dont je parle tout le temps dans cette saison 3 ? Je l'ai rencontrée au 43. La belle italienne se faisait fricoter par Miguel, le compagnon de Linda. Au début, j'croyais que c'était une gueusaille du rade, attifée d'un débardeur blanc qui contrastait fortement avec sa peau cuivrée. Pourvue d'un désirable accent rital et de gros nibards éruptifs, elle attirait tous les saoulauds du 43, comme une ruche de vodka attirerait des ours polonais. Miguel n'était pas un ours polonais, mais une pine espagnole sur pinceaux, la cinquantaine, avec un accent castillan à couper au cure-dent. Eh ouais, le 43, c'était la tour de Babel de Besançon. En discutant le bout de gras double avec mes nouveaux amis de comptoir, j'ai découvert que la bella donna était une éminente oncologue experte dans le domaine de la radiothérapie. C'est sûr qu'au 43, un godet de gin à la main, personne ne pouvait imaginer que la miss avait BAC+8 et qu'elle préparait une thèse funky sur les effets secondaires des rayons X dans les cerveaux des moutards. On s'est tout de suite bien entendus, notamment parce que j'étais le seul poilu de Besançon qui ne voulait pas se la taper. L'italienne savait que je la considérais comme un zig et m'appelait son « grand frère. » Alors on traînait ensemble, et les bobards de feuillés nous prêtaient toutes sortes de relations intimes : frotte-cuir ou passion cachée... Mais je faisais plus office de repoussoir à lourdingues qu'autre chose. En réalité, l'amazone était goudou et ne s'en cachait pas. C'est sans doute pour ça qu'elle traînait dans un bar aussi mâlasse que le 43. Puis les fois où elle changeait de rade, c'était pour pécho de la chipette en solo. Et quand elle trouvait de la tête d'ail compatible à sa gousse, ben j'la voyais moins. Mais revenons à la soirée où je me suis roussi les pattes aux shooty frits. En sortant de chez mon inf Émilie, je retourne aussi sec au 43 pour prendre consult' avec le doc Enora. À la vue de mes deux gaufres à bulles, elle me chope par le bras en jurant : « Porca puttana troia !!! ». Direction ma caisse à savon jusqu'à l'hôpital, en mode conduite avec les avant-bras. Sur place, accompagné d'un médecin que tout le monde connaît bien, j'ai droit au traitement royal. Aucune attente, Enora défonce la double porte battante qui mène au service et gaule le premier toubi' venu. Elle lui montre mes grappins difformes et j'ai même pas le temps de dire mercredi qu'on me conduit dans un box et qu'une infirmière m'applique un linge anesthésique sur les raquettes. À cet instant, j'en chie comme un crucifié. Mais c'est peau de balle à côté de ce qui suit : des dizaines de piquouzes afin d'extraire les litrons de plasma contenus dans les bulles. Pendant ce temps, Enora enquille les petits noirs avec l'équipe de nuit. Ça dure des plombes et j'ui dois une fière chandelle sur ce coup-là. Par la suite, comme je l'ai évoqué dans la chronique 9, c'est l'enfer durant des lunes. Essayez d'envisager qu'on vous colle des moufles histoire de vous saper, de vous désaper, de vous laver, de conduire et de chier, de se torcher, de pisser, de bigophoner, de faire vos courses et de les payer. Le calvaire. Sans parler de la honte au 43 quand tous mes fralins de comptoir se payent ma tronche à la vue de mes putains de louches à merde !!! Sacré bon dieu de putain croate avariée de vérole albanaise, ça va pas m'empêcher de me piquer la ruche avec mon équipe de choc : Enora, Dédé, Karl, et... de plus en plus souvent... ce foutu bringueur de Miguel. Un après-midi, comme de coutume, on se pique le pif à coups de demis quand l'Espagnol me sort avec son accent à la Banderas : « yé raméné di vino vérdé dé Galici, yé vé lé mettre en préssionne mé fo l'adaptator pour ké yé lé raccorde à la pommp'. Alors toi, Kalache, ti vas vénir avec moi achété lé raccordor et deux kilos dé sardines ké yé vé té cuiséné dans ma salle sécréte di 43. Vamos ! » Ni une ni deux, on se retrouve dans la coccinelle noire de Linda en train de foncer dans les rues de Besançon pour organiser une orgie de sardines et de vino verde. Une crosse plus tard, nous voilà de retour au 43 le matos à la main. Miguel me conduit tout au fond du couloir longitudinal du bar et déboucle une porte dérobée derrière laquelle je découvre une cuisine de fortune. Enfin... rien de conforme aux normes d'hygiène et de sécurité standards. L'essentiel est constitué d'un long barbecue fait de demi-cylindres de tôle assemblés à l'arrache, et pi un lot de grilles surplombées d'une cheminée. Autour y a du bois, beaucoup de bois, quantité de bûches à faire des flambées de bouffardière. On pose les sardines au chaud, sur un plan de travail cradingue, et Miguel part s'attaquer au raccordement du fût à la pompe à pression. Quant à moi, je regagne ma bonne vieille terrasse histoire de me laver les dents à la kronembourg. Au fur et à mesure que mes camaros de troquet me rejoignent, les assiettes de sardines grillées et les coupettes de vino verde s'enchaînent à un rythme effréné. Ça devient vite le bordel : on en a plein les doigts et la tronche, on en fout partout et ça schlingue à faire dégueuler un rat crevé. Le pauvre Fredo vient prendre la relève au beau milieu d'une déchetterie sans nom. Damien nous rejoint au même moment.

Le 43, épisode 11 : Damien

D'après moi Damien est schizo, mais rien d'officiel. Un peu comme Franco, on ne sait pas grand-chose sur lui, sauf qu'il n'y a rien de volontaire dans tout ça. Même lui ne sait pas grand-chose sur lui-même. On suppose qu'il est devenu cinglé suite à la prise d'une pill hallucinogène aux alentours de ses vingt ans. Le mecton serait resté chéper à vie comme Obélix étalé dans un chaudron de sugar magique. À première vue, le type est décontracté, modéré, pacifique et plutôt beau gosse, goupiné de sapes à la cool... avenant, pour résumer. Quand il vient s'asseoir à notre table au 43, il prend toujours la même pose : les avant-bras sur les cuisses, les épaules rentrées, la fiole basse qui balaye sans cesse de droite à gauche, tel un animal inquiet. Malgré ses cheveux gominés en arrière, ses joncailles de fortune et sa touche de marlou romano, sa risette intimidée pourrait presque attirer la pitié. Perso, ç'a toujours été une crème avec moi. Dans son appartement de l'Île aux Mouettes, y me faisait griller du lard fumé du Haut-Doubs tandis qu'on torchait des packs de bibines à la pelle. Et le Haut-Doubs, c'est sa campagne d'origine, le royaume des bûcherons comtois. Des semi-remorques humains de deux mètres pour cent-vingt kilos, dont le taux de matière grise est inversement proportionnel à la force de leurs battoirs. En gros, ça pullule d'effrayants cornichons géants qu'il ne faut surtout pas faire chier. Certes, Damien n'en a pas la sauce, mais à la vue des photos de son dabe, on comprend qu'il a reçu l'éducation traditionnelle du bourre-tarin des gorilles de la brousse comtoise. Il a dû bien déguster, ce qui pourrait également expliquer son détraquage à force de coup de manche de pioche dans la tronche. Le gonze aime bien dragouiller les frangines, sans faire le lourdingue pour autant, mais quand un boulet vient lui chercher des crosses en plein fleurtage, Bruce Banner se transforme en incroyable Hulk. Envahi par une incontrôlable montée d'adrénaline, il dérouille tout ce qui bouge, pris d'une frénésie de barjot. Dans ces moments-là, même les videurs n'arrivent pas à en faire façon, sentant qu'ils ont plus affaire à un vrai chourineur qu'à un simple bagarreur du dimanche. Il est arrivé qu'il allonge un cogneur et que ses collègues négocient pour qu'il quitte les lieux sans faire davantage de dégâts. Le problème avec ce genre de gars, quand on fait ce boulot, c'est qu'on sait jamais ce dont il est réellement capable. Y suffit d'un cutter in the pocket et c'est la saignée de cochons généralisée. Poussés par l'adrénaline, les chtares de surin partent comme des flèches de Cherokees. Les videurs expérimentés le savent et le sentent, pertinemment pour Damien qui, durant une longue période de crise parano, se fixait une machette dans le dos avec du ruban adhésif. Inutile de préciser que tous ces troubles psychotiques ne facilitent guère les démarches pour trouver du taf, et vu que Damien se soigne à la one-again, sans traitement ni suivi, ça m'étonnerait qu'il touche l'AAH. Aux dernières nouvelles, il a mis la main sur un turbin digne d'une comédie des frères Farrelly : conduire un camion publicitaire à longueur de journée dans tout Besançon. Sa mission : montrer partout le logo et le slogan de l'entreprise qui l'avait embauché. Même s'il s'arrêtait pour se pinter dans un bistrot, tant que le camion restait visible, on pouvait considérer qu'il bossait. Le seul problème de Damien (non, pas le seul... là je dis de grosses conneries), c'est qu'il est toujours rincé comme un verre à bière, et j'entends par là qu'il est fauché comme le blé. Donc forcément, le râpé ne traîne pas souvent dans les rades. Et quand il s'y pose, c'est en mode parano. Ce qui l'intéresse avant tout, c'est avoir de la compagnie. Juste un demi lui suffit pour ne pas qu'il soit tricard, alors il le sirote à petit feu pour ouvrir le bec en paix, le plus longtemps possible. Faut dire qu'il a la causette sympa pour un schizo, légère, fendarde et jamais casse-couillles. Eh oui, Damien est un bon camaraaaaaahhaaaaaaadeuux ! Damien est un bon camarade ! Néanmoins, revenons maintenant au décor de cette saison 3 des fragments de nuit : le 43. Comme je l'ai raconté dans la chronique précédente, Fred prend la relève dans une déchetterie sans nom, les tables dégueulassées d'ordures de sardines écœurantes et empestées, puis les consos inopinées de vino verde merdique à gérer. Bref, pour lui, qui est déjà tendu comme un string de granny obèse en début de service, la soirée s'annonce mal. Contrairement aux clients du 43, pour qui c'est la fiesta. Momo sort la gratte et Dédé se met à beugler du Johnny si profusément que Fred est à bout de nerf en moins de rien. L'orgie de pouascaille pourrie, le rythme délirant des commandes et le tapage nocturne inhumain, prompt à rameuter toute la flicaille du quartier, c'en est trop pour lui. Connaissant la bête, j'vois bien dans son regard qu'y veut tous nous égorger. Diable merci, vers medianoche, on décide de bouger au « Poilu », un bar gay sympa, situé rue Lons-le-Saunier, juste en bas de chez Karl. Et là, tout s'enchaîne très vite. Un pochard oublie sa bouteille de Teq, Enora s'en saisit et on repart avec. Sur le chemin, on ramasse un sac à vin dont l'espérance de vie sur la chaussée se résume à celle d'un poussin beurré sur l'autoroute du soleil. Par acquis de conscience, on le traîne à sa bagnole en faisant trois fois le tour du centre-ville, parce que ce manche à couilles a oublié où il s'est garé. Après lui avoir piqué ses clés, on l'allonge sur la banquette arrière histoire qu'il tombe dans les bras de la Morphée des rétamés. Enfin vers une heure moins le quart, Damien se rend compte qu'il a oublié son portable au 43. Du coup, on trace avant que Fred ne ferme et débarque au moment où il tire les rideaux. Damien lui sort calmement : - Scuse, Fred, j'ai oublié mon portable à l'intérieur. J'peux aller voir vite fait ? - Non, je suis en train de fermer. - J'en ai pour deux minutes, t'inquiète. - Jt'ai dit qu' je fermais ! lui balance Fred complètement ratatiné par cette putain de soirée ingérable. Recta, Damien le chope à la gorge, le décolle et le plaque contre la porte vitrée de l'entrée, qui explose le plâtre du mur arrière sous le choc. Le boucan de la charge et la bramante de Fredo, qui se voit déjà en train de crever, alerte tous les patrons des bistrots voisins. Dédé s'interpose afin d'éviter la sharklade et rassure les témoins pour ne pas qu'ils appellent les condés. Résultat des courses : le mobile est perdu, Fred ne pardonnera pas, et Damien... Ben Damien... l'est tricard.

Le 43, épisode 12 : Lilian

Y a pagaille de zicos sur Besac et on en trouve une paille au 43. Le premier que je me cloque s'appelle Lilian, un gratteux foireux qui flânoche dans tous les rades histoire d'empaumer de la gonzesse avec son style rasta cool et ses chansons pourraves. Un mélange à gerber d'une instru de Mylène Farmer en pleine TS avec la voix d'un Michel Sardou en phase terminale. Et le mecton peut pas s'empêcher de brailler comme à l'abattoir en décapant son jambon tel un ébéniste enragé. J'pige pas pourquoi personne ne lui dit rien car de mon point de vue, faudrait créer une loi qui interdise de lui refiler une guitouse entre les pognes. Le pire dans tout ça, c'est qu'il trouve un public, une greluche à lever, de la thune et des tiges à gratter... car le keum est toujours à fond de câble, à mengaver du chapeau dans les rues de Besac en bramant ses compos cafardeuses. Y s'arrête au 43 quand il mouchaille deux trois nénettes attablées en terrasse, avec sa râpe bien en évidence. Il accoste à la taxe et s'octroie le droit de rejoindre la coterie, jusqu'à ce qu'une godiche le supplie de plumer la dinde. Alors il sort sa guimbarde et entame le massacre. En y réfléchissant bien, ce pied dégage une telle confiance en soi qu'il illusionne les gourdasses en faisant passer ses étrons pour des lingots d'or. Sauf que Fredo n'est pas un crétin du jeudi, d'autant plus que le foin désolant provoqué par Lilian dévaste l'ensemble de la rue Versot. La rachème pour le 43, sans compter la mouille de voir débarquer la condaille à chaque instant. Pi même en dehors des gourdes hypnotisées par je ne sais quelle foutue diablerie, c'est la charcuterie pour les loches des autres clients. Donc, faut pas en vouloir par principe au Fredo quand il boucle un peu plus tôt, surtout s'il s'agit du seul moyen de mettre fin au supplice collectif. Depuis la fermeture définitive du 43, Lilian sévit au Barulaze, un troquet situé à l'autre bout du centre-ville. Manque de pot, c'est l'un des seuls autres zincs où les poivrots peuvent encore échanger quelques mots entre eux, à condition que le boucher de la chanson leur épargne les feuilles. Enfin, faut que j'arrête de m'acharner sur cette brêle de Lilian et que je vous parle d'un vrai guitariste, un vrai de vrai, pur et doux : Momo.

Richard Palachak

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