Magazine Cinéma
I giorni dell’ira
Tonino Valerii
1968
Avec Giuliano Gemma, Lee Van Cleef
Le dernier jour de la colère est un western grinçant. Un western beaucoup plus dur que ne le laisserait de prime abord présager son équation première, Tonino Valerii + Giuliano Gemma = western virevoltant et bien troussé. Certes Giuliano nous fait un petit grimpé de poutre athlétique, mais il le fait seul, détesté de tous, avec son pantalon trop court et son Colt en bois pour seul rêve d’un avenir meilleur. Certes, Tonino Valerii nous offre un duel rigolo à base de vieilles pétoires qui pourrait présager la légèreté de ton de son futur Mon nom est Personne, mais l’intermède est bien court au milieu des grincements ambiants.
Car oui, passé le plaisir de regarder un western spaghetti correctement réalisé, avec des acteurs corrects et un budget correct, on constate que ça grince, ça déchante, ça désenchante, ça crépusculise ! Les brimades et le mépris dont souffre Scott Merry (Giuliano Gemma) au début du film sont lourdement appuyés, trop lourdement appuyés même, sauf pour nous autres aficionados du genre pour qui rien n’est jamais trop appuyé. Gemma, on l’a déjà dit, est plus à l’aise dans les rôles joyeux, mais malgré tout, ses yeux de chien battu et sa bouche tuméfiée restent gravés dans la mémoire. Et la ville de Clifton respire la pourriture même, tranquille en apparence, aucun coup de feu n’a été entendu depuis des années et le Shérif a perdu son revolver sans que cela ne l’inquiète le moins du monde. Mais Tonino Valerii montre que la violence peut prendre plusieurs formes, des vexations et injures récurrentes aux faibles (le bâtard, le borgne) à la corruption la plus totale. Le temps des fusillades est passé, mais la violence a changé de camp, ce sont désormais les petits notables qui sont les plus ignobles.
Arrive Talby (Lee Van Cleef, égal à lui-même, avec son faux sourire aux yeux plissés et coins qui retombent pendant qu’il mordille sa pipe), un pistolero survivant de l’époque des fusillades, bien décidé à s’installer d’une manière ou d’une autre. Talby va mettre un coup de pied dans la fourmilière en prenant la défense de Scott et entraînera la fuite de celui-ci. S’ensuit une relation père/fils, maître élève qui n’en est pas une, à base de « leçons » qui tiennent en une phrase, du style « quand tu tires sur un homme, achève le, sinon un jour, c’est lui qui te tuera » un poil trop naïves pour être totalement crédibles. On n’oublie pas alors que le western spaghetti est un genre populaire vieux de quarante ans, dont le premier degré sans faille peut faire sourire aujourd’hui alors qu’il offrait à ces films un succès phénoménal à l’époque. L’intéressant n’est pas alors cette pseudo-initiation, mais l’évolution des deux personnages, Talby révélant alors son ignominie (il est en fait pire que les notables qu’il persécute) et Scott oscillant d’abord vers le pouvoir grisant de son habileté aux armes et le désir de vengeance, pour retourner finalement vers plus de mesure et de justice. Le film ou Giuliano Gemma jouera un salaud n’est pas celui-là ! Néanmoins, c’est ce que l’on croit pendant un bout de temps, jusqu’à ce que le bon fond du personnage mentionné en début de film prenne le dessus.
A nouveau, la fin qui ressasse une à une les leçons précédemment citées sent fortement la recette scénaristique enfantine qui ne ferait plus recette aujourd’hui. Mais ça n’empêche pas ce film de grincer méchamment, par son scénario, par ses personnages et jusque dans sa musique de Ortonali, faussement enjouée et qui délivre de fréquents coups de cuivres assourdissants et brutaux. La ville corrompue, thème cher au genre, la fascination pour les armes (le revolver du Doc Holliday, les leçons de Murph), les décors proprets qui cachent mal la saleté des âmes, la saturation du soleil d’Almeria et ces trognes, toujours ces trognes, Al Muloch qui vient boire un coup et tabasser Giuliano Gemma avant de se faire descendre, le banquier et le juge, petits notables haïssables par leur couardise et leur cupidité, Benito Stefanelli qui vient faire une balade à cheval et puis s’en va, et la dernière « leçon » : « quand on commence à tuer, on ne peut plus s’arrêter » qui préfigure les excès de bodycount et la surenchère du genre, tous ces motifs incontournables sont en outre agrémentés de détails stylistiques savoureux comme ces tonneaux alignés que Talby ouvre les uns après les autres avant de mettre le feu, la lance à incendie des pompiers dont le fonctionnement est filmé en détail ou encore ce cheval qui mange dans un fourreau ou la recherche visuelle des décors du nouveau saloon, Tonino Valerii ne fait pas les choses à moitié, même si sa mise en scène n’atteint pas le niveau de Mon nom est Personne.
Car bien sûr il y a des défauts, des trucs pas raccords, des maladresses qui font tâche. Et je n’en citerais qu’une : lorsque Talby se fait traîner par les trois malfrats à cheval autour de l’arène, outre le fait que la planche sur laquelle il repose est un peu trop évidente, je regrette amèrement que la musique qui s’élève alors ne prenne pas toute sa place. Les trompettes s’envolent pour retomber aussitôt afin de laisser l’un des bandits formuler une ânerie inutile, puis le thème reprend son souffle comme sur une radio amateur ou l’animateur monte et descend le son en fonction de ce qu’il a à dire. Leone n’aurait jamais fait un truc pareil, il aurait sabré les commentaires des truands pour laisser toute sa place à la musique, et c’est ce genre de détails anodins qui s’ils avaient été évités, auraient pu hisser de nombreux westerns spaghetti au niveau des films de Sergio Leone.
Où le voir : L’excellent DVD Seven 7 bien sûr. Je vous conseille fortement de le regarder en version italienne. En effet, si vous le regardez en VF, toutes les scènes coupées à l’époque (et il y en a de nombreuses, au point que le film ne devait pas ressembler à grand-chose) resteront en italien sous titré. Vous avez donc une alternance forcée entre le français et l’italien. Mais ce n’est pas ça le plus gênant, à cause des scènes coupées, on observe des disparités entre la VF – qui a du être subtilement modifiée pour s’accommoder des scènes coupées – et la version italienne. Ainsi la référence à la leçon « Ne refuse jamais un défi » n’apparaît plus en VF lorsque Scott défie Talby de sortir du Saloon. A voir donc en italien, pour être au plus près de l’œuvre d’origine.