Magazine Cinéma

Les cruels

Par Tepepa

I crudeli
1966
Sergio Corbucci
Avec : Joseph Cotten, Norma Bengell, Julian Mateoas

Tout tourne autour d’un cercueil. Jonas, officier de l’ex-armée confédérée rêve de reprendre la lutte. Pour cela, aidé de ses trois fils et de deux acolytes, il massacre dans la joie et l’allégresse un détachement Yankee qui convoyait des dollars. L’eau du fleuve devient rouge sang, les armes à feu chantent et produisent leur écho spaghetti style. Les deux acolytes y passent aussi, car ils n’ont pas la foi. C’est la spaghetti attitude, pas de modérés, quelques hommes suffisent à anéantir un bataillon, le nombre de morts époustouflant est une convention comme l’était l’exagération du nombre de combattants dans les chroniques médiévales. La petite famille sudiste cache l’argent dans un cercueil afin de l’acheminer tranquillement à bon port et reprendre la lutte. Cacher quelque chose dans un cercueil, que ce soit de l’argent ou un homme en fuite n’est jamais une bonne idée, il y aura toujours un moment ou un représentant de l’ordre zélé demandera à l’ouvrir. Pour éviter ce genre de déconvenue, Jonas a pensé à tout : il a engagé une femme pour tenir le rôle de la veuve du virtuel macchabé. Mais ça ne suffira pas à prévenir les péripéties multiples, la folie des hommes et le sens tragique de la spaghetti attitude.
Thème connu de la revanche du Sud, autorité familiale (Joseph Cotten, regard fanatique impeccable), déchirements familiaux, frère un brin psychopathe (adepte de la baïonette) que l’on protège malgré tout, tout est connu dans ce western, mais tout est différent. D’abord parce qu’il n’y a pas de héros au sens propre (ou sale d’ailleurs) : le petit groupe est le personnage du film, tous sont des crapules, sauf l’un des frères qui semble un peu moins salaud que les autres. Pas de pistolero qui, bien que bourru, représente le bien. La deuxième veuve (la première, alcoolique y passe assez vite) est un personnage moral, qui comme dans les westerns classiques, essaye de faire ce qu’elle peut pour empêcher les hommes de s’entretuer. Elle y arrivera presque d’ailleurs, lors d’un petit twist scénaristique très bien vu dans un fort Yankee. Mais la spaghetti attitude veut que le destin des hommes les rattrape quoi qu’il arrive, dans un final baroque boursouflé. Jonas rampe dans la boue séchée et craquelée, normal, on est dans un Sergio Corbucci.
C’est un Corbucci, mais pas un Corbucci comme les autres, et c’est aussi pour ça que ce film est différent. Jean-François Giré indique dans son livre (L’excellent Il était une fois le western européen, à re-paraître prochainement) qu’il s’agit probablement d’un western de commande. Ceci donne un cachet « classique » au film, c'est-à-dire que si on retrouve bien la noirceur des autres films « sérieux » du bonhomme, c’est par petites touches, presque invisibles pour les néophytes. La linéarité du scénario et l’absence d’exagération font que le film se suit comme un petit western tranquilou avec ses péripéties ad-hoc et ses retournements de situation appropriés, mais sans en avoir l’air, Corbucci nous fait quand même du Corbucci. Et curieusement, on y prendrait presque autant de plaisir que dans ses films réputés (Le Grand Silence et Django en tête) ou la noirceur, le pessimisme, l’hiératisme et le climat (boue, neige) atteignent un degré tel que ces films tournent à l’exercice de style déshumanisé. Dans Les cruels, la noirceur et le pessimisme sont là, mais ils ne sont pas assénés à coup de crosse, les personnages ne prennent pas la pose d’oiseaux vengeurs désincarnés malgré leur destinée qui les mène droit au cimetière, le désert minéral participe à l’ambiance morbide, mais de façon moins appuyée que la boue ou la neige. Tout ceci fait que le film se suit le cœur beaucoup plus léger que Django ou Le Grand Silence, mais que l’émotion ressentie lors du final n’en est que plus réjouissante. Moins de Corbucci dans un Corbucci permet donc parfois d’apprécier d’autant plus le style Corbucci.



Au rayon des petits plaisirs purement dans la tradition du western spaghetti, on a des gros plans sympas (comme ce chardon en avant-plan), l’attention portée au détail (le convoi des Tuniques bleues qui traversent un cours d’eau, avec un soldat qui mouille sa chemise pour guider les bêtes, la partie de poker qui se suit comme un mini-récit), les petites attentions gothiques (le cimetière avec ses croix bigarrées et penchées un soir d’orage) et bien sûr une foultitude de seconds rôles pour jouer au « qui qui joue qui ». A ce jeu là, on a donc Aldo Sambrell qui vient montrer son grand sourire deux minutes avant de finir au bout d’une corde, Al Mulloch (le tout premier visage du Bon la brute et le truand) qui vient faire le pitre deux minutes avant de finir embroché et Benito Stefanelli que j'ai eu du mal à reconnaître en joueur de cartes avec des lunettes (je ne suis pas très fort au « qui qui joue qui »). Un bon petit western spaghetti donc, avec une bonne petite musique d’Ennio Morricone (déjà entendue sur Le jour du jugement) qui permet à ce western méconnu en France (car inédit jusqu’alors) de s’envoler jusqu’au nichoir des « pas le film du siècle, mais incontournable pour les fans du genre ».

Où le voir. Je me suis visionné la version anglaise d’excellente qualité (anglais bien compréhensible). Mais il y a une VF qui a été déjà diffusée sur les chaînes satellitaires, et le DVD Studio Canal avec VF is due in July 2008. Si cela sort vraiment en juillet, je risque bien de me l’acheter, mais pour l’instant, il est tout aussi possible qu’il ne sorte jamais.

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