Virginie Poitrasson publie Une position qui est une position qui en est une autre aux éditions LansKine.
Une position qui est une position qui en est une autre
Raconter une position c'est un peu la trouver. Une place à prendre, que l'on voudrait acquise. Il y a eu ce rêve. Dans un rêve on a toujours une position plus extraordinaire. Cette fois-ci, je me trouvais en Irlande, dans un petit village portuaire, au milieu d'un brouillard soit léger, mais suffisamment humide. Une petite anse abritée et entourée de maisons de briques colorées donnant toutes sur une mer grise et comme déchainée. J'étais dans cette chambre désuète, datant d'un début de siècle, la fenêtre grande ouverte, les rideaux frémissant du vent passant, assise sur une petite chaise en bois, faisant face au paysage marin, à cet horizon fermé des vagues. Là, était assis à côté de moi Samuel Beckett. Sa stature. Ses cheveux blancs épais. Son regard d'une intensité pour laquelle je frémis encore. Et ses larmes qui coulaient, coulaient longuement sur ses joues. Sur notre droite, se trouvait posée sur la commode la photo de sa mère décédée. Il a pris son portrait pour le contempler et a commencé à me parler d'elle avec une émotion qui ne peut être ressentie que les yeux fermés. Pourtant je gardais les yeux ouverts. La fragilité de sa parole, l'intimité tremblée de sa voix, sa respiration remplie de l'air du large. Et j'étais là, dans l'inattendue position privilégiée d'un partage. D'une écoute entière, de toute sa personne. La personne à qui confier. Intarissable, il parlait, toute ouïe, je recevais.
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P.....1, P.....2, P.....3
Clairement, elles ne m'appartenaient pas. Elles m'avaient toujours fait défaut, en effet, et ne pouvaient être retenues. Je le savais dès le départ. J'avais beau les avoir réceptionnées, déballées, et ayant ouvert chaque boîte, les avoir classées à l'intérieur, je ne pouvais les atteindre. Il y en avait, en plus, des sacs entiers. Le livreur avait mis plusieurs heures pour tout décharger. Après des jours de classement minutieux, après les avoir eues une à une entre les mains, il ne m'en restait que le geste répétitif et bienfaiteur d'en prendre une, de la reconnaître, de me rappeler et de la mettre dans la bonne boîte. Maintenant, elles étaient là, quasi toutes rangées, classifiées (j'aurais pu aussi les numéroter), et rien, rien ne s'ouvrait. Pas de ligne d'horizon, pas de nouveaux champs, juste ma respiration régulière, tenue, qui attendait encore que ça se dégage. Il fallait, je le savais, que je les abandonne, là, tel quel... C'était sûrement la meilleure chose à faire. Surtout ne plus convoquer ce qui était perdu. Cela faisait partie du travail de dégrisement. Je devais tout faire pour m'en départir. Une bonne fois pour toute. Et ceci malgré la question obsédante : est-ce se désappartenir que de s'en départir ?
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(...)
Bateau
mon
rêve
multiple
et
toi
L’in-
térieur
à
souffle
de qui
le vent
Cette
plume
par-dessus
laquelle
tu
m’as
presque
fait
basculer
Je
suis là-haut
dans
l’air
Et
je
n’ai
jamais
demandé
à Monsieur
météo
si
c’était
juste
Alors
nous
é-
tions
à part
l’un
de
l’autre
Il
pleut
des
viol-
ettes
Rien
sauf
le bleu
du
ciel
d’ici
à
maintenant
Quelqu’un
m’a
arraché
hors
de
tes
bras
Ainsi
ce
n’est
pas
ça
tu
n’es
pas
ainsi
Surtout
plus
toi
que
personne
d’autre
Virginie Poitrasson, Une position qui est une position qui en est une autre, éditions LansKine, 2019, 80 p., 14€, pp. 15, 17, 66-69.
Sur le site de l’éditeur : Ce livre composé de six parties questionne de différentes manières l’amorce de la pensée : Comment la pensée se construit-elle ? Comment reconstruire son cheminement ? Comment la création s’enclenche-t-elle ? Qu’est-ce qui l’active, la réactive ? Quelle(s)position(s) prendre pour produire, pour écrire ? Une position qui est une position qui en est une autre propose comme point de départ cet énoncé : Raconter une position, c’est un peu la trouver. Et ce, avec un esprit vif tout en questionnement et ritournelles, avec humour, distance et dérision. En questionnant l’amorce de la pensée, ce livre s’attaque à la face nord de la langue, sans chercher à résoudre, ni à simplifier. Par le biais d’anti-scènes notamment, ce texte restitue des rêves, des scènes issues de l’inconscient, là où la langue nous échappe complètement. Se mêlent à la fois la gravité (état sauvage) des actes et une certaine légèreté due à leur répercussion dans la langue qui les réordonnance.