Magazine Culture

(Anthologie permanente), Liliane Giraudon, le travail de la viande

Par Florence Trocmé

Liliane Giraudon  le travail de la viandeLiliane Giraudon publie le travail de la viande aux éditions P.O.L.
Lire cette note de lecture d’Anne Malaprade.
Maïakovski n’aimait pas
   les pommes cuites
   ne buvait pas mais fumait
comme un fou il jouait
   au poker et sortait armé
toi dans ton exposé à la maison
   du cinéma de Leningrad
   en mai 1936 tu expliquais
je travaille tout à fait comme Maïakovski son crâne lui servait de carnet son entrepôt était toujours rempli non parce qu'il faisait le plein non ce n'était pas ça il s'agissait tout simplement d'un processus le plein se faisait automatiquement

c'est ce que tu te tuais
   à leur répéter
pour toi le poète était
   une espèce de sismographe
qui éprouvait
   les secousses du sol
et c'est vrai que nous écrivons
   avec nos pieds
obscurément je l'ai toujours
su même lorsque
   dans ma jeunesse
il m'est arrivé de porter
   des talons qu'on appelait aiguilles
   combien d'années
   d'entraînement
les fragments pour l'entrepôt
   passent des pieds
   jusqu'à la cervelle
combien de migraines
   et parfois d'insomnies
pour cette accumulation
   muette la plupart
du temps invisible
parce que oui on peut
   le dire souvent la chose
se fait sans nous dans
      notre dos ou sous nos pieds
et si elle ne s’accomplit pas
   le poème demeure
   un simple petit
   ossement décoratif
disposé là et sans usage.  
(p. 71-73, extrait de « Fonction Meyerhold »)
///
« O.K. Une rose peut être blanche et cette fleur est aussi un fruit. Ce qu'elle dit n'est pas ce qu'elle dit.
Ici entre Stein grammairienne et son « Je dis que le sens m'intéresse. Le sens m'intéresse. Ce n'est pas ce que je dis. Le sens m'intéresse ».
Sauf que moi, quand on me dit « ça signifie que », ça cesse de m'intéresser.
Ça fixe l'intérêt au point où ça tombe.
Ça meurt aussi sec. Ou tout comme. C'est mort.
Alors elle revient et elle dit ‘Oubliez la grammaire et pensez aux patates.’
Un chien est attaché.
Une femme est plaquée au sol.
Une main est tordue.
Un ongle est incarné.
Penser aux patates revisite l'article indéfini. Du coup tout s'éclaire.
L'activité du poème n'est pas incessante mais elle peut se faire sans nous.
Parce que quand je lis-écris c'est souvent nous. Ou plutôt on. Et génialement la Stein poursuit. Et elle dit (et c’est fort, c’est comme une profession de foi), elle dit : « Je crois aux dupliqués », et elle ajoute, et c'est, oui, très fort, elle ajoute ‘Vous ne pouvez répéter un dupliqué vous pouvez dupliquer.’
Ce qu'il faut, oui, ce qu'il faut c'est parvenir à penser la différence entre ‘répéter’ et ‘dupliquer’.
À la limite. Car c'est bien une affaire de limite.
Pas de sens mais de vue. De vision.
Quand c'est nous qui cessons de voir.
Quand écrire c'est supprimer celui ou celle qu'on est. Ou croit être.
On cesse de se voir. On s'anéantit.
On se néantit pour laisser passer autre chose.
Dans le mince. L'inextricable. On lutte.
On lutte pour s'effacer (soi et l'autre comme autant d'autres, ceux du jour qui se pondent autour, comme le font toutes les poules, celles qu'on programme en vue de l'omelette à consommer, omelette prévue pour l'estomac des lecteurs-consommateurs qui ne peuvent devenir, qui ne seront jamais des lecteurs (de vrais lecteurs), ceux qu'orchestrent les non-critiques que sont devenus les non-journalistes qui se sont mis à faire des livres qui n'en sont pas, ce qui donne au bout du compte une non-littérature ou un considérable, un dominant tas de merde qui empuantit tout le devant et jusqu'à l'arrière, jusqu'à la coulisse de ce qui s'appelle la vie littéraire et qui fait qu'on n'en peut plus, qu'il faut pour continuer à écrire se boucher le nez, fermer les yeux en y appuyant les poings, hurler, hurler parfois à n'en plus pouvoir dans le silence de sa tête pour simplement faire le vide de ces odeurs-là, se dégager de ce que dans les universités ils se sont mis à appeler ‘une histoire de la réception’ ».
(p. 129-130, extrait de « L'activité du poème n'est pas incessante »)
Liliane Giraudon, le travail de la viande, POL, 2019, 16€, 154 p.
Regarder Liliane Giraudon parler de son livre sur le site des éditions P.O.L.
Liliane Giraudon dans Poezibao :
extrait 1, lien vers Mon Rimbaud, Marquise vos beaux yeux, fiche de lecture, une lecture chez Michèle Ignazi, extrait 2 (Mon Rimbaud), extrait 3 (hier…), extrait 4, La poétesse (par A. Malaprade), Hôtel (par F. Trocmé), extrait 5, un article d’Alain Paire, ext. 6, entretien avec Sandra Raguenet, le retour d’Arkadina, feuilleton : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,  fin (avec PDF de l’intégralité), ext. 7, "Les Pénétrables" par Alain Paire,  "Les Pénétrables" (par Anne Malaprade), ext. 8, ext.9, ext 10, "Madame Himself", par Anne Malaprade, Liliane Giraudon s'entretient avec Catherine Weinzaepflen, [entretiens] Liliane Giraudon avec Frédérique Guétat-Liviani, ext. 11, [note de lecture] Liliane Giraudon, "La Sphinge mange cru", par Anne Malaprade, [note de lecture] Frédérique Guétat-Liviani, Colas Baillieul, Liliane Giraudon, "Rafle", par Florence Trocmé, ext 12, [Note de lecture] Liliane Giraudon, "Le Garçon cousu", par Anne Malaprade, (anthologie permanente) Liliane Giraudon, "consigner les coïncidences", (Archive) "Marseille Postcards" par Liliane Giraudon et Jean-Jacques Viton, (note de lecture) Liliane Giraudon, "L'amour est plus froid que le lac", par Anne Malaprade, (Anthologie permanente) Liliane Giraudon, revue "faire-part", (Entretien) avec Yvan Mignot, par Liliane Giraudon : "Traduire Khlebnikov", (Brèves de lecture), Christiane Veschambre, Silvina Ocampo et Liliane Giraudon, (Entretien) avec Frédérique Guétat-Liviani, par Liliane Giraudon, (Notes sur la création) Liliane Giraudon, écriredessiner


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines