Magazine Cinéma

Le Belge et la Bête

Par Darkstein

Foerster. Un auteur qui parle aux jeunes de quarante ans qui, comme moi, piquaient les Fluide Glacial du tonton aux chiottes (les Fluide, pas le tonton). Je dévorais l’humour décalé de Maester et ses phylactères à tiroir, les bluettes de Goossens ou les aventures punk et délirantes de Larcenet. Et puis je découvrais Philippe Foerster, son encrage que ne dédaignerait pas le Frank Miller de Sin City, ses sombres récits entre roman noir et quatrième dimension, rappelant parfois les pulps de « Tales from the Crypt ». Sombres, cruels, trash parfois, tranchant avec l’esprit « Fluide » (comme il y eut, en son temps, un « esprit Canal »). Aussi à l’aise avec des récits plus « traditionnels » et en couleurs, tels « Gueule de Bois » ou une aventure trépidante de Pinocchio devenu adulte, Philippe Foerster a pour lui une gentillesse et une humilité qui lui font honneur.
Avant de succomber aux horreurs littéraires de Stephen King et consorts, Foerster fut mon initiateur à l’imaginaire de l’horrifique. Partageant avec lui le goût du macabre et les racines belges, il me fait aujourd’hui l’honneur de répondre à quelques questions saugrenues.

Stein : Philippe Foerster bonjour ! La première question qui me taraude : Pourquoi ? Pourquoi l’Horreur, pourquoi Fluide Glacial a-t-il accueilli vos premiers récits ?
Philippe Foerster : Bonjour aussi. Ça c’est passé il y a bien longtemps, dans une lointaine galaxie où le service militaire existait encore. Donc, j’effectuais mon service militaire et le soir je dessinais des projets BD. Durant une permission, je me suis rendu à Paris, dans le but de faire le tour des rédactions des journaux et des éditeurs, un de ces projets sous le bras.
J’ai été voir (A Suivre), Pilote, etc. Andréas (NDLR: auteur allemand de bandes dessinées), qui habitait alors Paris, que j’avais été saluer à cette occasion, m’a conseillé d’aller voir Fluide Glacial, affirmant que l’histoire que j’avais faite pouvait leur plaire… Mais moi, je n’y croyais pas. Je pensais que cette histoire (« Dernière Porte au Sud ») n’étant pas du tout drôle, bien que relevant du graphisme humoristique, serait d’emblée rejetée. Mais je me suis laissé persuader et j’ai été à la rédaction de Fluide, par acquis de conscience en quelque sorte. Le magazine était alors géré par Jacques Diament qui m’a gentiment reçu, bien que n’ayant pas pris rendez-vous. Il a lu l’histoire et hésité :

« Je ne peux pas décider moi-même pour ce genre de truc… Faut que je montre ça à Gotlib… Ça pourrait l’intéresser, même si ça ne rentre pas tout à fait dans le cadre de l’humour Fluide Glacial… Faut que je garde les pages… Gotlib passe dans quelques jours. »
Mais comme j’avais d’autres rendez-vous, j’ai dit que je préférais garder mes planches et repasser une autre fois ! Les pages étant au lavis, je ne pouvais pas non plus laisser de copies valables… Je suis donc reparti comme un con… Je suis revenu chez moi et dans ma caserne, j’ai refait une deuxième histoire et la première ayant été refusée partout, j’ai envoyé les deux à Fluide. Après, j’ai reçu une lettre me disant que Fluide publierait, si j’acceptais, les DEUX histoires. La lettre était signée Diament… et Gotlib !

Non seulement ça avait plu, ce serait publié mais pas par n’importe qui : Marcel Gotlib ! « Dans la joue jusqu’au cou » comme aurait dit ce dernier ! J’emploie toujours la formule de Roberto Benigni quand il a travaillé pour Fellini pour décrire ce moment : « C’est comme un charpentier qui serait engagé par Saint Joseph ! » J’ai écrit et dessiné quelques autres histoires, puis Diament m’a demandé d’être présent dans le journal tous les mois… Et c’était parti. J’ai pu faire dans un journal rigolo des histoires tristes et sombres (avec tout de même une petite touche d’humour) pendant des années. Ils ont sorti 11 albums compilant ces histoires d’humour noir, parfois très noir.

Maintenant, pourquoi des histoires d’horreur, je ne sais pas… C’est ce qui me touchait le plus en littérature et en cinéma, et je pensais pouvoir être capable de creuser ce sillon. C’est la façon de voir le monde qui me semble la plus pertinente. Comme, une fois que Gotlib avait choisi un auteur, personne n’intervenait plus du tout dans le contenu des histoires, il n’y avait aucune censure d’ordre commercial ou autre, j’ai pu faire ce que je voulais, comme je le voulais… Et en remettant toujours une couche supplémentaire de noirceur. Mais comme c’était pour Fluide, je me suis toujours efforcé d’y mettre une petite touche d’humour, ce qui n’était pas plus mal ; ça allégeait quelque peu ce côté sinistre à tout-va.

Stein : Si vos écrits abreuvent le lecteur de corps et de visages déformés qui n’ont rien à envier à Jérôme Bosch, ils n’oublient pas pour autant la dimension humaine. Comment naissent vos victimes ?
Philippe Foerster : Les idées viennent d’un peu partout… Un fait divers, une métaphore dans un bouquin, une expression langagière (par exemple : « On est ce qu’on mange » m’a inspiré l’histoire « De l’Autre Côté »), un film dont une image m’a marqué, et j’extrapole toute une histoire à partir de cette image (la tête-araignée du film The Thing de John Carpenter m’a inspiré « L’Araignée Mélomane »), etc.

Stein : Quelles sont vos dernières plaisantes découvertes littéraires qui pourraient influencer vos oeuvres futures ?
Philippe Foerster : Ma dernière grande découverte, dans le domaine du fantastique est celle de Féérie pour les Ténèbres de Jérôme Noirez… Un livre génial… Une superbe écriture… Je pense que les futurs bons écrivains fantastiques vont venir de France et d’Europe (je pense à Noirez, mais aussi à China Miéville qui est anglais…) Les américains commencent à vraiment être tous trop formatés sur le moule Stephen King… Il n’y a plus d’entité, de personnalité présentant un univers propre, à la Lovecraft ou Bradbury… Y échappait Lucius Shepard, le « Joseph Conrad » de la science-fiction, mais il vient de mourir ! Mais bon, je ne sais pas si à mon âge on peut encore être influencé ; je deviens trop vieux pour ça et, de plus, toutes mes influences ne viennent pas du genre fantastique… Je suis en train de relire Flannery O’Connor, écrivain(e) sudiste américaine. Si j’étais écrivain, je voudrais écrire comme elle ! Elle était géniale, impitoyable et super drôle.

Stein : Lovecraft ensuite. Dans votre dernière parution, Le Confesseur Sauvage (aux éditions Glénat), il est fait référence plus qu’implicite à Howard Philip Lovecraft concernant ce personnage octopode (si l’on en croit la critique du « Calamar Noir« ). Quels ont été vos premiers pas dans la folie cosmogonique de Cthulhu et ses frères ?
Philippe Foerster : Lovecraft… Je l’ai découvert quand j’avais quatorze-quinze ans… J’avais lu tous les Jean Ray et la traduction d’Edgar Poe aux mythiques éditions Marabout et Lovecraft était toujours cité comme le « troisième grand du fantastique », mais dans la province belge où je résidais, il était introuvable… Ce n’est que quand je suis parti habiter Bruxelles que j’ai pu m’en procurer un, en « Présence du Futur ». J’ai immédiatement été subjugué et je me suis immergé dans ce monde poisseux et angoissant. Le reste de mon argent de poche a du passer dans l’achat d’autres volumes… Puis je l’ai lu et relu… Mais je ne pense pas pouvoir le rajouter dans ma liste « Influences ». Je n’y ai pas pioché grand chose, c’est un univers trop particulier… L’église que squatte le « Confesseur Sauvage » s’appelle Saint-Chtuluh, mais c’est plus un clin d’oeil à un emblème du genre fantastique qu’autre chose, ce n’est pas une utilisation véritable de la sphère lovecraftienne… Même chose pour les tentacules du père Irradieu, ça fait partie des clichés liés aux mutants… Fallait qu’il y en ait un avec des tentacules, et pourquoi pas le personnage reliant toutes les histoires ?

Stein : D’autres auteurs qui auraient voie au chapitre ?
Philippe Foerster : J’en ai déjà cité pas mal. Mais pas l’essentiel : Philippe K. Dick. Il est à mon avis incontournale dans le domaine fantastique / science-fiction. Il poste toutes les questions essentielles et, cerise sur le gâteau, peut s’avérer drôle… Plus littéraire, Thomas Pynchon. Pas classé dans le genre fantastique… Mais il y touche souvent (comme à tous les autres d’ailleurs) Immense, inclassable, mais plein d’humour lui aussi… Sa description du Londres du blitz est à la fois très réaliste, grotesque, pleine de personnages bizarres ou tordus et parfois tellement étrange qu’on touche au fantastique pur… C’est lui-même un personnage fantastique, vu que personne ne l’a jamais vu… Il n’existe pour ainsi dire aucune image de lui… Sauf dans les « Simpson », où il apparait masqué d’un sac en papier !

Stein : Et pour finir, petit portrait chinois : Si vous étiez une musique ?
Philippe : Une musique de Tom Waits. « Poor Edward » par exemple (NDLR : Alice, 2002)
Stein : Un personnage de fiction ?
Philippe : Oncle Creepy (NDLR : le « narrateur » des histoires d’horreur du magazine Creepy paru entre 1964 et 1983 et relancé depuis 2009)
Stein : Une figure du XXe siècle ?
Philippe : George Romero.
Stein : Une bière ? (On est belge ou on ne l’est pas !)
Philippe : La Mort Subite.

Encore merci à Philippe Foerster pour sa participation !

Entrevue initialement parue dans l’e-zine culturel Ecce N°5 (Juin 2015)


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