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Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisodes 19-20-21

Par Blackout @blackoutedition
Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisodes 19-20-21

Pour les livres de Richard Palachak, c'est par ici : KALACHE, VODKA MAFIA, TOKAREV

Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisodes 19-20-21

Photo de Simon Woolf

Le 43, épisode 19 : les trois petits cochons (partie 1)

Il y a des piliers du 43 dont je ne sais pas grand-chose. Ils sont là, tous les jours, aux mêmes heures, à cul sur la terrasse... et je les jointe automatiquement. Puis, comme à force de Kro, la langue nous démange, on finit toujours par y aller de sa salive. Et je sais que je me répète, mais c'est pour ça qu'on attrape le virus du 43. Le premier des petits cochons dont je vais vous parler s'appelle Ferdinand. C'est d'ailleurs le seul des trois dont je connais le nom. Je dis « trois petits cochons » comme je pourrais dire « Riri, Fifi et Loulou », car ce mec est loin d'être petit. C'est un gros sac de tripes couronné d'une vilaine tête de mérou à lunettes, qui ferait accoucher une femme enceinte en dégainant sa tronche. Il est complètement déjeté, mais il en a gros dans le cigare. Un jour, ché plus pour quelle foutue raison, j'ui dit que ma doche fait de la peinture sur porcelaine et qu'elle est toujours en quête d'une fête artisanale pour cameloter son bazar. Il manque de pisser dans son froc tellement ce chocolat l'intéresse. Il s'avère justement que Ferdinand a le feu sacré de la braderie des Chaprais. Chaque année, il fourgue des tonnes de films cultes à des amateurs de kino d'auteurs. Il maille un max avec son business de receleur, bien qu'il n'en ait pas le profil. Y met sa main au feu qu'il déniche des perles extrêmement rares et qu'y revend le bordel en se faisant trois euros de marge dessus, ce qui lui fait six cents euros de bénef la journaille pour deux cents galettes écoulées. Mais merde et remerde de nom de dieu de bordel à cons d'enfant de putain de chiottes à foutre allemand, keski m'a pris de carrer mes miches à côté de ce perroquet raseur. Et le v'là parti dans de la broderie de cake à la graisse d'oie sans fin, autour du dernier film de Popolini, dont la fameuse scène érotique avec l'actrice Helena Wangler a clairement été pompée sur le genre néo-nastique fondé par Karl Humbert, qui avait fait la même prise cinq ans avant Rocco Pompol' avec la sublime Lolo Benaccia, rendue célèbre dans le premier film de Vladimir Spektakov, « le sens caché de l'infini des choses bleues », où l'on sait pertinemment que le haut de l'affiche tenu par Lolo n'est pas étranger à sa liaison avec le réalisateur, un génie désaxé qui s'est tapé plein d'autres actrices par la suite, dont Felina Galiano, Yun Kiunji, Emma Strendt, ou encore la sublimissime Angela Cruz, en 76, qui a crevé l'écran dans « l'Odyssée de Tarzan au Vietnam. » Certes, Ferdinand est un Caïd du grand écran. Il doit certainement être piquant, mordant, suffocant pour les passionnés. Mais pour un gars comme moi, il est usant. C'est comme s'il expliquait la théorie des cordes à un mongolien. Par politesse, je l'écoute un moment et puis je craque, j'attends qu'il finisse sa phrase et me barre. Mais une phrase de Ferdinand, ça peut durer longtemps... très longtemps... très très très longtemps... Tous les jours... aux mêmes heures... à cul sur la terrasse. Et je le jointe quand même.

Le 43, épisode 20 : les trois petits cochons (partie 2)

Quand Ferdinand se pochade en discutant boutique au 43, y a toujours un gros mastoc en queue de terrasse. Une motte de saindoux double-mètre et maniérée, mal fichue d'un t-shirt crassingue et d'un vieux short merdouilleux. Le mec a la touche typique de la patate américaine, version bouée de sauvetage bisontine. Il est toujours apinoché seul à sa table, à brandouiller son smartphone en s'amusant comme une petite folle. Et à chaque fois qu'il me gaffe, y manque jamais de me saluer tel un castor : - Eh salut ! C'est toi l'écrivain ? - Ouais... - Faut qu'on fasse une émission ensemble. Tiens, j'te refile ma carte. Le kinder est l'animateur phare d'une station nommée Radio Bar-Mitzvah, ce qui affiche d'emblée la bondieuserie de l'asperge FM. Et vu que j'en ai rien à carrer, de ça comme du reste, j'ui dit banco. Alors on taille un ours autour de mon dernier bouquin (qu'il n'a pas lu et qu'il ne lira jamais) et il est super emballé. Le dondon jubile un court instant et se remet à cul sur sa chaise histoire de se blinder de pintes et de pignoler à nouveau son portable. J'avoue que dans ces moments-là, j'ai plus l'impression qu'il veut me prendre le petit par la route de derrière qu'autre chose. Ou l'inverse... En tout cas, chacun boit le lait qu'il veut tant qu'il ne bourre les couilles de personne. En revanche, ce qui me scie chez Radio Bar-mitzvah (on va l'appeler comme ça), c'est le nombre incalculable de pintes qu'il est capable de se farcir. Même Jacques, qui en a vu des vertes et des pas mures, n'en revient pas. Y doit tirer cinq litres de pression par heure afin de nourrir le poupart. Ensemble, on s'en paye une tranche sur le seuil du 43, à s'imaginer que le suiffeux nous pète à la gueule. M'enfin, même si l'gars ne se mouche pas du panard, il est pas mauvais dans l'fond. C'est juste qu'à chaque fois qu'il me voit, parfois trois ou quatre fois par mois, il me sort tel un castor : - Eh salut ! C'est toi l'écrivain ? - Ouais... - Faut qu'on fasse une émission ensemble. Tiens, j'te donne ma carte. Du coup, mon larfeuille est rempli de cartons Radio Bar-Mitzvah et on s'en paye une tranche, avec Jacques... sur le seuil du 43... à s'imaginer que le larfeuille nous pète à la gueule.

Le 43, épisode 21 : les trois petits cochons (partie 3)

Voici le moment de vous parler de mon dernier petit grognant. Auparavant, j'ai tiré le portrait de Gérard, le pire des foutriquets, et d'Ali, le fin du fin. Mais il y a aussi des loups blancs, tels que Doudou, dont je vous parlerai demain, et les « je ne sais qui », inconnus au bataillon, dont personne ne s'occupe ni des dents ni des lèvres. C'est le cas de mon troisième petit cochon, que je vais nommer l'hébreu par commodité, puisqu'il pète un boulard imbitable à chaque fois qu'il passe au 43. Je l'associe à mes deux autres petits gorets car il passe aux mêmes heures qu'eux. L'hébreu ne parlote avec personne. Y passe la porte du 43, s'accoude au bar et enchaîne les babys d'antigel brutal. Et quand il aboule sa bidoche au rade, il est déjà sacrément rétamé. Jacques le détronche et se coupe le sphincter en quatre avant de le servir. Mais vu que l'hébreu tient sur ses guibolles et qu'il est capable de bouger sa langue, il le recharge à crevaison. Le pire dans tout ça, c'est que le gars n'a rien d'un clodo. L'hébreu porte un costard-cravate en accordéon pi la mallette de placardier qui va avec. À l'évidence, il fait sa première mi-temps au taf ou dans un autre assommoir. Une autre cravate l'attend certainement quelque part ailleurs, autour d'une poutre, vu la détermination qu'il met à se faire péter la sous-ventrière. Néanmoins, ça ne dure jamais bien longtemps. Une demi-heure à tout casser. Je ne saurais dire si c'est lui qui rend son tablier ou Jacques qui met fin au massacre. En tout cas, l'hébreu strangule sa dette et trisse sans broncher. C'est là que tous les clients du 43 ont le trou du cul en pincette, à voir l'alcoolo faire du traversin dans la rue Broudhon. Il vire tel une fusée sur la route et plonge soudainement sur le trottoir. Y rentre dans le lard d'une bagnole en chaloupant pi l'gars pique à nouveau du nez sur la chaussée. Ce manège nous tient l'affiche jusqu'à ce que le gus déblaye le terrain. Conclusion collective : chacun sa merde. L'hébreu rejoint doucement les verts pâturages, son âme lui a déjà brûlé le cul. Finalement, mes trois petits cochons ne sont pas si différents. Ce sont des ombres aux figures de bière qui merdouillent et donnent du vague dans une vie qui se chie dans un cercle. Ils viennent et reviennent toujours à la mangeoire du 43, toujours plus syphilo, toujours plus truffes, toujours plus salingues, toujours plus morveux, toujours plus miteux, toujours plus merdeux, toujours plus gloutons, toujours plus garces, toujours plus galeux, toujours plus dégueulbifs, toujours plus cons, toujours plus cinglés, toujours plus canailles, toujours plus chacals, toujours plus cafards, toujours plus cochons... et ma figure de bière qui merdouille et donne du vague dans une vie qui se chie dans un cercle... avec fierté... tous du même acabit... à la belle étoile de la crèche du 43.

Richard Palachak

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