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Trois stars

Publié le 26 décembre 2019 par Morduedetheatre @_MDT_

Trois stars

Critique de Trois Femmes, de Catherine Anne, vu le 18 décembre 2019 au Lucernaire
Avec Catherine Hiegel, Clotilde Mollet, et Milena Csergo, mises en scène par Catherine Anne

C’est sur le nom de Catherine Hiegel que je me suis rendue au Lucernaire. C’est étrange, mais la comédienne a une place toute particulière dans mon sanctuaire théâtral alors même que quand je regarde mes anciens articles marqués de son nom, je me rends compte que j’ai souvent été déçue ces dernières années. C’est peut-être pour ça que, inconsciemment, je n’attendais aucune fulgurance de ces Trois Femmes. Je n’en ai été que plus transportée.

Trois femmes, trois générations. Catherine Hiegel est Madame Chevallier, une vieille dame riche, épouse d’un Monsieur Chevallier qui a fait fortune par son usine et lui a laissé sa richesse, mère d’une Geneviève qui ne donne que peu de nouvelles et grand-mère d’une petite Amélie qu’elle n’a pas vu depuis près de vingt ans. Clotilde Mollet est Joëlle Muhler : elle a été engagée par Geneviève pour veiller sur sa mère la nuit et se satisfait de cette nouvelle situation : elle a retrouvé un mari et une situation après un accident dont on n’aura pas de détail et touche régulièrement du bois pour que sa vie continue ainsi. Milena Csergo est Joëlle, la fille de Joëlle, elle est jeune et elle a encore l’espoir que sa mère semble avoir délaissé. Elle a des rêves, des grands rêves, et la rencontre de Madame Chevallier lui donne des idées : c’est du côté de cette dame que se trouve l’argent, le pouvoir, et donc la promesse d’un avenir. Pourquoi alors ne pas se faire passer pour sa petite-fille Amélie ?

J’ai peut-être perdu l’habitude de voir des petites formes et d’en être pareillement impressionnée. J’ai été totalement happée par cette histoire, ces histoires, leurs histoires. La pièce est vraiment très bien ficelée, on la suit comme une véritable enquête avec un désir ardent de connaître le dénouement. Et à plusieurs reprises on pense le deviner : il n’en est rien. La pièce se plaît à faire des détours, à nous amener là où notre imagination n’allait pas. J’avais très peur d’être déçue par la fin, il n’en fut rien : elle est parfaite. Et – je tiens à le souligner car c’est trop rare – le décor est simple, intelligent, et utile. Il est pensé comme un élément de la pièce, comme un personnage, et pas comme un simple meuble. Il habille le propos, il l’accompagne et insinue les évolutions des relations avant même que les dialogues la traduisent pour les spectateurs. C’est bon de voir un décor pensé, alors chère Elodie Quenouillère, vous avez toute mon admiration.

Et parlons d’elles, de ces trois femmes, de ces trois comédiennes. Le rôle de vieille misanthrope délaissée convient à merveille à Catherine Hiegel qui assène ses punchlines avec la gouaille qu’on lui connaît – elle ajoute d’ailleurs à sa palette de légères intonations à la Pierre Arditi qui n’ont pas été pour me déplaire. Mais elle est aussi la femme blessée, lassée, et profondément triste, seule et abandonnée, que l’argent ne suffit pas à combler. C’est légèrement caricatural comme propos – les riches dans leur solitude et les pauvres dans l’amour de leur famille – mais théâtralement ça fonctionne très bien. A ses côtés, la jeune Milena Csergo n’est pas en reste et défend son personnage avec brio. Sa Joëlle a les yeux qui brillent mais derrière l’espoir qui luit dans ses prunelles on aperçoit de sombres jours pas encore cicatrisés. La fougue de la jeunesse, la maturité de ceux qui ont déjà vécu, la naïveté de l’enfance et l’égoïsme de l’injustice se mêlent dans ses mouvements, dans ses intonations, dans les coups d’oeil qu’elle lance parfois à sa vraie mère, parfois à la fausse. Mais c’est Clotilde Mollet qui m’a clouée. A chacune de ses interventions, la boule dans ma gorge grossissait, jusqu’à exploser lorsqu’une dispute éclate avec sa fille. Elle est la dignité faite femme. Je n’avais jamais vu une telle incarnation de l’honneur sur scène. Sa composition est extrêmement fine, ce léger accent vosgien parfaitement maîtrisé parfait la forme quand tout le fond passe par des regards, des silences et des gestes. Du grand art.

Quatre superbes femmes portent ces Trois Femmes haut, très haut. On y court !

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