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Anthologie permanente : Paul Valéry (3)

Par Florence Trocmé

Choix un peu atypique pour l’anthologie permanente d’aujourd’hui, en rapport avec la lecture en cours de la monumentale biographie de Paul Valéry que vient de publier Michel Jarrety aux éditions Fayard. Le passage choisi évoque la rencontre de Valéry et de Rilke, en Suisse, en 1924.Valéry rencontre enfin Rilke, le 5 avril 1924, lequel Rilke vient le chercher à la gare de Sierre puis l’emmène à Muzot ou il a installé, en haut d’une très ancienne tour à l’aspect de forteresse, son cabinet de travail et sa chambre.

« un très petit château terriblement seul dans un vaste site de montagnes assez tristes ; des chambres antiques et pensives, aux meubles sombres, aux jours étroits, cela me serrait le cœur. Mon imagination ne pouvait qu’elle n’écoutât dans votre intérieur le monologue infini d’une conscience tout isolée, que rien ne distrait de soi-même et du sentiment d’être unique. Je ne concevais pas une existence si séparée, des hivers éternels dans un tel abus d’intimité avec le silence, tant de liberté offerte à vos songes, aux esprits essentiels et trop concentrés qui sont dans les livres, aux génies inconstants de l’écriture, aux puissances du souvenir. Cher Rilke, qui me paraissiez enfermé dans un temps pur, je craignais pour vous cette transparence d’une vie trop égale qui à travers les jours identiques, laisse distinctement voir la mort »

Paul Valéry, extrait de "A Rainer Maria Rilke", in Reconnaissance à Rilke, Cahiers du mois, août 1926, n°23-24 et Petit recueil de paroles de circonstances, Le Plaisir du Bibliophile, 1926, p. 73-77, cité par Michel Jarrety, in Valéry, Fayard, 2008, p. 565.

Paul Valéry dans Poezibao :
Bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2,
notes sur la poésie 1, notes sur la poésie 2,
Paul Valéry, poète de la sensualité (par F. Sicre)

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LES COMMENTAIRES (1)

Par agnes
posté le 22 janvier à 14:48
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*"le luxe de la langue", *on a pu dire cela à propos de la richesse et de la maîtrise de l'écriture valéryenne.

Les personnes tentées par l'acquisition de certaine aisance, de certaine agilité dans les pratiques d'écriture liront sans déplaisir ce qu'Elena vient d'écrire dans les pages d'un forum consacré à Paul Valéry. Je cite :

"L'évolution de Valéry est une véritable leçon technique - je parle de l'évolution de son écriture.

"Il y a les poèmes de jeunesse, dans lesquels Valéry (comme ses contemporains) meuble un peu lourdement ses alexandrins d'adjectifs à tous les angles. La syntaxe est bien faible. Mais ces premiers poèmes, rassemblés vingt ans plus tard sous le titre Album de vers anciens contiennent du Valéry à venir. L' « ambre » par exemple, la « vendange », les « mouvements » du poème Anne appartiennent au lexique futur. La Jeune Parque__ se souviendra de la figure féminine charnelle, du sommeil vaporeux et de l'amertume marine.

"Les presque vingt années durant lesquelles Valéry ne fit plus de vers l'ont arraché (qu'il l'ait ou non voulu) aux tics poétiques de l'époque. Il pouvait regarder de loin ce qui se faisait un peu partout... Il s'étonna lui-même de revenir au vers après une si longue absence. "Qui me l'aurait dit, je lui eusse ri au nez !" En revanche il n'avait jamais cessé d'écrire ses fameux Cahiers. Tous les matins très tôt, "entre la lampe et le soleil", il notait, creusait, enchaînait ses réflexions sur tous les sujets qui excitaient son esprit curieux et inlassable - sciences, politique, poétique, psychologie, linguistique, esthétique... (Il le fit toute sa vie.) Je peux croire que l'efficacité recherchée de ces notes quotidiennes dut forger la qualité de leur expression, - et renforcer par la suite l'exigence de l'écrivain poète.

"A plus de quarante ans Valéry revint donc au vers – aux vers plutôt ! - avec difficulté, commençant d'abord par réunir, puis reprendre, retoucher, corriger voire réécrire tous ses premiers poèmes en vue de la publication que Gide avait souhaité en faire (dans sa Nouvelle Revue Française). Il voulut composer une quarantaine de vers d'adieu à la poésie. Ces quarante lui devinrent un quasi-enfer quotidien durant quatre années (1913-1917), d’où sortirent finalement le long monologue (cinq cent douze vers) de La Jeune Parque. (Il faut lire, si l'on est intrigué par cette douloureuse "remontée au jour" poétique, les lettres que Valéry écrivait à ses amis - Pierre Louÿs, André Gide... - durant cette période, dans ce Paris anxieux que les armées allemandes approchaient de plus en plus, dans ce calvaire d'un autre ordre de réalité qui était celui de la Grande Guerre.)

"Chose malgré tout amusante - mais aussi chose sérieuse, qui peut plaire aux lecteurs les plus techniquement intéressés par l'évolution de l'écriture valéryenne, comme de toute écriture d’ailleurs... En l'occurrence : le poète confesse qu'à ce moment pénible, c’est la redécouverte de Racine – à travers les récitations qu’il faisait faire à ses enfants des tirades apprises pour le collège - , qui lui apprit lui devenu adulte de quel ordre relevaient précisément les difficultés du poème qu'il s'efforçait d'écrire. Jamais probablement, sans ces récitations, il n'aurait exhumé Racine de ses propres souvenirs de collégien. Surtout surtout : jamais non plus, il n’aurait si profondément pris conscience de la nature et de la qualité de l'art de Racine ! (La leçon m’a toujours semblé fabuleuse.)

"Ce qui étonnait beaucoup Valéry, était d’abord l'impuissance dans laquelle il se trouvait, devant tout fragment de Racine, d'en modifier heureusement le moindre mot.

"Il s'étonnait encore, que Racine se soit refusé les facilités d'un vocabulaire plus exotique (de Ronsard à Racine, la réduction quantitative du lexique est très sensible). Non, Racine n’use guère que des "charmes" "larmes" "rigueur" "lois" "cruauté" "amour"... pour déployer avant tout la mobile virtuosité de son génie syntaxique et musical. Nul ne donne plus que lui relief à ses figures verbales, sans cesse renouvelées, dans un si constant souci de l'harmonie phonétique.

"La difficulté d'écrire une longue suite d'alexandrins sans les béquilles de mots trop étrangers au contexte, mais en variant constamment les tropes, est extrême. Valéry sentit intérieurement le "délice" de cette exigence (non plus intellectuelle que sensorielle) canalisée, tendue, soutenue et virevoltante, tout à fait proche de ce qu’il cherchait en composant. (De fait beaucoup de poètes chéris dans sa jeunesse en perdirent un peu d'éclat...) (Chut !)

"Récompense encore : « Chaque fois que j’améliore, renforce la qualité proprement phonique, phonétique, de mon poème, sa puissance sémantique, signifiante, se trouve augmentée… » Cette observation renvoie à quelque réflexion sur l’origine du langage. (Aveu : tout ce que j’écris là, c’est un poète et metteur en scène qui me l’a révélé. Je travaille avec lui par périodes. Quand il dit du Racine, du Valéry, j’ai l’impression que j’étais passée à côté de quelque chose de familier sans l’avoir jamais regardé vraiment, en fait sans le voir. J’ai l’impression bizarrement très agréable d’un sens complémentaire apporté par la propriété timbrée du son, que la diction détaille sans en avoir l’air… Comme s’il y avait des strates, une profondeur ou un relief indécelable à la lecture de surface (qui se laisse emporter par le sens et l’histoire.) Bref !

"Valéry a reçu cette leçon racinienne en pleine figure, il ne l’a pas assimilée d’un coup.

"Malgré le succès du poème publié il considérera toujours la Jeune Parque comme un exercice (cf. la dédicace du poème à André Gide). Les poèmes du recueil Charmes ont profité des « muscles » acquis par ce travail, de l’aveu même de l’auteur. Le Cimetière marin (le plus fameux poème) est encore lourd d’un riche vocabulaire. Il ne doit son état actuel qu’à l’impatience de Jacques Rivière qui l’arracha quasiment au bureau de Valéry, qui souhaitait le travailler encore et encore… « Ce que je fais ne me semble jamais assez mien » déclarait le poète.

"Les Fragments du Narcisse en revanche – trois fragments publiés de 1922 à 1926 – sont une réussite assez étonnante. Le monologue est bien plus fruité, plus riche de diphtongues, de voyelles nasales, et plus coloré que celui de La Jeune Parque. On y trouve des vers « XVIIe » remixés moderne, à savourer par tous les pores, intensément… Comme un … soleil (?) :

"(Narcisse parle, penché sur le miroir d’eau)

(…) Profondeur… Profondeur… Songes qui me voyez, Comme ils verraient une autre vie, Dites : ne suis-je pas celui que vous croyez ? Votre corps vous fait-il envie ?

Cessez, sombres esprits, cet ouvrage anxieux Qui se fait dans l'âme qui veille ; Ne cherchez pas en vous, n’allez surprendre aux cieux Le malheur d’être une merveille : Trouvez dans la fontaine un corps délicieux...

(…) Mais ne vous flattez pas de le changer d’empire. Ce cristal est son vrai séjour ; Les efforts mêmes de l’amour Ne le sauraient de l’onde extraire qu’il n’expire…

PIRE. Pire?… Quelqu’un redit Pire… Ô moqueur ! Écho lointaine est prompte à rendre son oracle ! De son rire enchanté, le roc brise mon cœur, Et le silence, par miracle, Cesse !... parle, renaît, sur la face des eaux… Pire?... Pire destin !... Vous le dites, roseaux, Qui reprîtes des vents ma plainte vagabonde ! Antres, qui me rendez mon âme plus profonde, Vous renflez de votre ombre une voix qui se meurt… Vous me le murmurez, ramures !... Ô rumeur Déchirante, et docile aux souffles sans figure, Votre or léger s’agite , et joue avec l’augure… Tout se mêle de moi, brutes divinités ! Mes secrets dans les airs sonnent ébruités, Le roc rit ; l’arbre pleure ; et par sa voix charmante, Je ne puis jusqu’aux cieux que je ne me lamente D’appartenir sans force d’éternels attraits !

"Ecoutez encore ceci, qui annonce déjà le Valéry plus âgé, décanté, plus abstrait :

Mais moi, Narcisse aimé, je ne suis curieux Que de ma seule essence ; Tout autre n’a pour moi qu’un cœur mystérieux, Tout autre n’est qu’absence. Ô mon bien souverain, cher corps, je n’ai que toi ! (…) Est-il don plus divin de la faveur des eaux, Et d’un jour qui se meurt plus adorable usage Que de rendre à mes yeux l’honneur de mon visage ? Naisse donc entre nous que la lumière unit De grâce et de silence un échange infini ! (…) Mais la fragilité vous fait inviolable, Vous n’êtes que lumière, adorable moitié D’une amour trop pareille à la faible amitié !

"Vous n’êtes que lumière, adorable moitié D’une amour trop pareille à la faible amitié ! Wow ! un inédit de Racine ?

"Mais je vous parlerais de Valéry sans fin."

Nous te comprenons Elena ! Et pour ceux d'entre nous curieux de prolonger les réflexions linguistiques, poétiques, phonétiques, je soumets moi les liens suivants : http://www.achyra.org/francais/viewtopic.php?t=1593&start=60 http://www.toutelapoesie.com/RAP-2-RUE-t20278.html http://polartblog.blogspot.com/2008/06/sonnet-contemporain.html

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