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Trafiquer l'esprit ?

Publié le 30 janvier 2020 par Anargala
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Je me demande s'il est juste de faire de l'argent en vendant des produits spirituels.

Je ne suis pas pour la mortification. Je suis pour le plaisir. Mais dans une certaine sobriété. La vie intérieure est nourrie de plaisirs en mouvement et en repos, mais selon un principe d'économie : le maximum d'effets avec le minimum de moyens. C'est cette parcimonie qui rend à l'expérience du plaisir son intensité. Autrement, on est dans la misère consumériste.

De plus, je n'ai jamais payé beaucoup en Inde, quand j'ai payé. L'initiation au Kalaripayattu ? 108 roupies. Les leçons avec mon maître Hemendra Nâth ? 100 roupies. Les leçons de chant dhrupad avec Sanyal ? 100 roupies. Les leçons avec une dizaine d'autres pandits ? 100 roupies la leçon. 100 roupies, soit 1,50 euros, brut.

Mon initiation dans la Shrîvidyâ ? Gratuit. A la déesse Parâ ? Gratuit. A la tradition Vîrashaiva ? Gratuit. A l'hindouisme (Âryasamâj) ? Gratuit. Mes cours de vînâ ? Gratuit. Mes leçons avec Mark Dyczkowski ? Gratuit. Etc. Comment pourrais-je vendre ce que j'ai reçu gratuitement ou presque ? Bien sûr, j'ai du donner autrement, en temps, en confort, en sécurité.

De plus, comment trafiquer ce qui n'a pas de prix, ce qui dépasse toute valeur finie ? Comment rendre l'éveil, si ce n'est par l'éveil ? Comment rendre la passion du savoir, si ce n'est par la passion du savoir ?

De plus, le fait de vendre quelque chose en fait une chose, un moyen, un instrument privé d'âme. Ainsi, l'eau que nous vendent Veolia et les autres n'est plus l'eau de la vie, mais une simple abstraction, un nombre de mètres cubes, de composition en aluminium, etc.

De plus, trafiquer le spirituel, c'est faire de soi un vendeur, obligé de séduire, donc de mentir. L'apparence prend le pas sur la réalité. Je deviens l'obligé de mes clients. Je me surprends à me censurer, de manière plus ou moins subtile. C'est un engrenage ou l'argument de la "pente glissante" ("Qui vole un oeuf, vole un boeuf") me semble pertinent, malgré que ce soit, en général, un sophisme. Mais il existe bien des études sur ce glissement du "profit raisonnable" ("Bah quoi ? Un peu de beurre dans les épinards ! Faut bien faire bouillir la marmite") à l'entreprise capitaliste dans toute son impitoyable froideur. Bref, devenir vendeur, c'est devenir esclave des clients et des mensonges que l'on invente pour les séduire. Le commerce corrompt. Comment ma parole peut-elle être libre, si je parle dans la crainte de blesser, d'embrouiller, de contrarier ou de laisser indifférent ?

De plus, comment demander de la richesse extérieure, alors que je clame que la richesse est à l'intérieur ? Ne devrais-je pas plutôt mettre mes actes en accord avec mes paroles ? Autrement, ne suis-je pas comme un pauvre qui irait vendre les secrets de la richesse ? Le trafic de spiritualité n'est-il pas, de fait, une réfutation de ladite spiritualité ? Si vraiment j'ai tout en moi, qu'irai-je demander quelque chose à quelqu'un ?

De plus, comment vendre ce qui n'a pas de limites ?

De plus, comment vendre ce que je ne possède pas ?

De plus, comment vendre ce que je ne maîtrise pas ?

De plus, comment vendre ce que je ne comprends pas ?

Mais, me direz-vous fort justement, "David Dubois vend des stages".

- Oui, c'est vrai.
A partir de maintenant, je décide que mes "stages" seront tarifés quelque part entre leur coût de revient (déplacement, logement, nourriture) et le SMIC, soit 71,05 brut la journée ou 1539,42 par mois ou 18473 euros annuels. Le SMIC me semble être un bon repère. Au-delà du SMIC, je tombe dans les profiteroles. Cela étant, je suis encore loin d'atteindre le SMIC, donc je dis plutôt ça en manière de concession. Mais je me demande si l'idéal ne serait pas de ne rien demander. Juste les frais. Ou alors, même pas les frais. Payer moi-même. Pourquoi les autres devraient-ils payer ? Ou alors, n'aller nulle part. Pas de frais hors de l'ordinaire. Si quelqu'un vient demander, c'est bien. Sinon, c'est bien : j'ai l'infini en moi. De quoi ai-je besoin ?

Mais, me dira-t-on encore, "tu as un corps qui a des besoins !"

- Certes, mais il y a d'autres moyens de satisfaire à ces besoins. Par exemple travailler la terre, ou du moins trouver un emploi en rendant un service.

"Mais la spiritualité est un service !"

- Non. Tout n'est pas à vendre. Le Marché essaie de nous habituer à l'idée que tout se vend. Et il nous vend tout : l'eau, l'air, l'espace, le temps, notre corps, la vie, le bonheur, l'éveil, la conscience ; il nous vend à nous-mêmes ! Tout se trafique. Et le Marché connaît un succès indéniable. Nous payons l'eau sans broncher. Nous achetons du silence sans poser de questions. Nous sommes si malléables.

"Mais alors, comment gagner sa vie ?"

- Le système actuel consiste à gagner sa vie en la perdant. Nous vendons, au fond, la seule chose que nous ayons ou que nous croyons posséder : nous, notre vie, notre temps. Être riche, c'est faire diversion : c'est pouvoir vendre autre chose que sa vie, pour enfin vivre.
Comment vivre sans prendre la vie d'autrui ? Je n'ai pas la solution à ce problème.

Je décide simplement de mettre un frein à mon appétit de profit. Certes, je n'ai jamais pris de risques en ce domaine. Ai-je risqué de m'enrichir en écrivant des livres ou en faisant quelques "stages" ici et là ? Je ne le crois pas. Et on pourrait- à juste titre, me reprocher de renoncer à ce que l'on ne m'a jamais offert. Sans doute.

Mais du moins, je souhaite éclaircir un peu ce sujet dont personne ne parle, sauf pour endormir nos consciences à coup d'arguments spécieux. Alors je décide de suivre un principe, celui de l'indépendance et de la sobriété, qui consiste à donner un peu de sécurité, en échange de plus de liberté.

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