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(Anthologie permanente), Frédéric Jacques Temple, La Chasse infinie et autres poèmes

Par Florence Trocmé

Frédéric Jacques Temple  La Chasse infinieLa collection Poésie/Gallimard consacre un de ses derniers volumes à Frédéric Jacques Temple.
Prière d’insérer :
Bientôt centenaire, Frédéric Jacques Temple, né en 1921 à Montpellier, est sûrement un des poètes les plus atypiques du siècle qu'il a traversé, indifférent aux modes et avant-gardes successives, gardant obstinément le cap, dans le sillage d'un Cendrars dont il fut proche, d'une poésie de l'ouvert, de la traversée des lieux et des espaces. Et si beaucoup de ses poèmes sont dédiés à quelque ami, poète ou peintre, ce n'est sûrement pas pour faire apparaître un réseau de relations mondaines, c'est parce que le principe même de sa poésie relève de la rencontre, que la poésie se justifie comme occasion du lien fraternel, comme une conversation continue et le déni de toute clôture dans sa propre singularité. Ami d'Edmond Charlot, d'Henri Miller, de Lawrence Durrell, de Joseph Delteil, de Pichette ou de Gaston Miron, combattant engagé en 1943 dans la campagne d'Italie, journaliste, homme de radio, voyageur impénitent sur terre et sur mer, de San Francisco à Saint Pétersbourg, de Dublin au désert du Néguev, Temple nourrit son œuvre d'une vie qui est étreinte insatiable du monde.
RINÇURES POUR A.R.
   à Alain Borer

Une rivière verte lente basse et jaune
où le frêle bateau défait de ses amarres
ivre de liberté se crut sur l’Amazone
telle est la Meuse. Et celle ville grise autour
n’a pas de port. Et cette âme n’a pas de havre
à Charleville. Elle s’est posée sur la mer.
   à Christian Hubin

Nous sommes allés voir quoi
sous la pluie au cimetière
de Charleville chercher qui
sous la dalle n’a plus son or ?
Dites, qu’ont-ils fait de la jambe
fourbue noircie par les déserts ?
(p. 80)
LA FLEUR INVERSE
   à Roland Pécout

J’erre sans fin avec Max Rouquette
dans les décombres du château
où la ronce a l’odeur funèbre
du lys de France
fleur adverse
dont l’ombre s’étale souveraine
sur la tombe de Rimbaut d’Aurenga
à qui je parle
une langue adverse.
(p. 236)
DE MON VILLAGE (EXTRAITS)
Bouses

De larges flaques de soleil
odorantes, flavescentes,
étoilaient les chemins
quand passait vers la rivière
la procession des bœufs
harcelés de mouche
Calvaires

A tous les carrefours
ils se dressent
ciselés par des inconnus
qui ne se disaient pas artistes.
Les suppliciés aux visages naïfs
figés dans les douleurs extrêmes
marquent l’arrêt pour diriger
Dieu seul sait où
le voyageur
(p. 23
Statue-menhir

Un jour dans les broussailles
millénaires,
fouinant pour placer des collets,
j’ai découvert la pierre droite
sur laquelle j’ai reconnu
le relief de mon propre visage.
Dolmen

Sa porte d’ombre
ouverte aux quatres vents
ne garde plus ses énigmes,
mais son mystère
l’épreuve du temps
demeure.
Murets

Des hommes
réduits en poussière
ont porté une à une
ces pierres sèches
blanchies au grand soleil
des siècles,
pour monter ces murets
gardiens de la mémoire
(p. 240)


PISTOL DOWN
   à Marcel Cornillon
   guerrier paisible

Sur ton harmonica
tu chantais Pistol down,
Pistol down,
l’âme glauque du Volturno,
les oliviers de Venafro,
Pistol down let that pistol down,
un pistolet contre la cuisse,
tu chantais les oiseaux muets de l’hiver,
le bivouac de Venafro,
le sang noir
des rochers de l’Inferno.
Ô sédiments de mémoire,
tous les parfums de l’Arabie
n’effaceront jamais...
Maintenant
silence.
(p. 269)
   Acquafondata, janvier 1944
Frédéric Jacques Temple, La Chasse infinie et autres poèmes, préface de Claude Leroy, Poésie/Gallimard n° 548, 2020, 368 p., 9,50€.


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