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(Note de lecture) Cinéma de l'affect, de Sandra Moussempès, par Anne Malaprade

Par Florence Trocmé


Sandra Moussempès  cinéma de l'affectÉcrire le mouvement est le propre du cinéma. Écrire les voix serait le propre de la poésie telle que Sandra Moussempès la conçoit depuis que ses livres chantent les incendies, les fillettes, les idylles, les ombres peintes, et autres sunny girls ou télépathes… Le sous-titre de ce dernier ouvrage précise qu’il s’agit de restituer des Boucles de voix off pour film fantôme. Soit, donc, mettre en musique, sampler, organiser des voix dont les corps sont absents. Ce n’est pas tant le film qui est fantôme que tous les êtres vivants qui, désormais disparus, réapparaissent entre eux et nous sous la forme d’ « ectoplasmes » — le mot est très fréquemment employé dans les sept sections qui constituent ce long métrage sonore. Son scénario : décliner toute la gamme de voix que les défunts entêtés savent encore moduler jusqu’à nous.
La voix parle, chante, envoûte et désenvoûte, hante, parfois jusqu’à l’occupation. Le plus souvent humaine, elle est la source et l’origine de multiples expériences sonores qui donnent lieu à la musique et à la poésie, au cinéma et au théâtre, à la performance et au concert. « J’ai commencé à chanter quand j’ai senti qu’il fallait se taire. » Si la voix off s’impose et peut être identifiée, la voix in est finalement plus problématique, tant Sandra Moussempès est consciente du fait qu’on n’est jamais l’auteur de sa propre voix. Celle-ci est le produit mixte (mixé ?) de nombreuses voix antérieures, parallèles, jumelles, éloignées dans le temps et l’espace. Celles des aïeuls, celles des modèles, celle des idoles. Et il faut aussi compter avec toutes ces voix féminines de l’écrit que la poète cite, parmi lesquelles Emily Dickinson, Mary Shelley et Emily Brontë. Le volume s’ouvre d’ailleurs sur ces vers d’Emily Dickinson qui disent ce qu’être habité veut dire : « Bien plus sûre, la nocturne rencontre/D’un Fantôme extérieur/Que l’affrontement de l’intime —/Cet Hôte plus froid ».
Le livre évoque tous les appareils — « machines à embaumer » — qui, plus ou moins dépassés et désuets, permettent de capter, voire de capturer ces tessitures. Boîtes vocales, répondeurs téléphoniques, magnétophones, K7 audio, dictaphones, appareils d’Edison, gramophones, caméras vocales : autant de boîtes à outils qui apparaissent désormais comme de véritables trésors sonores. Il rappelle également que certaines expériences paranormales sont susceptibles de faire renaître ces voix d’outre-tombe. Spiritisme, séances de transe, états hypnotiques, traversées somnambules, exorcismes, pratiques liées au yoga parviennent à excaver des voix oubliées ou enfouies. Se distinguent des voix chéries — celle de Jacques Moussempès le père, celle d’Angelina Pandolfini l’ancêtre, celle de l’amant, celle d’Artaud — que Sandra Moussempès parvient à décoder, mais aussi à réinventer. Si les mots, parfois, travaillent à la place du poète, les voix, souvent, travaillent dans et avec la poète : malgré elle, et comme à son insu. Stroboscopiques, elles illuminent la mémoire par intermittences, et flashent les pages d’un livre vocatif. Les cordes sensibles sont très souvent des cordes vocales.
Anne Malaprade
Sandra Moussempès, Cinéma de l’affect, Éditions de l’Attente, 2019, 104 p., 13€.
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