Chapitre 1
Et je vois le sourire, et je revois le soupir, le visage, mon visage, sage comme une image, les yeux, mes yeux, toujours à fleur de peau. Je revois le trajet à travers villes et champs. L’oubli de toute chose, si ce n’est l’instant présent et la joie de le déguster. Et je revois la lumière, la clarté à travers la vitre, dans le bus, des jeunes étudiants comme moi, mes frères humains, entre 12 et 18 ans, les uns assis, les autres debout, tassés, riant, conversant, vociférant, ne se rendant compte de rien, ignorant tout de la grande faucheuse qui un jour assurément les moissonnera.
Tous les temps sont là, contenus dans leur corps et dans leur tête, hier, aujourd’hui et demain se profilant à l’horizon lointain et diffus.
C’est la pause, on rentre à la maison, la matinée m’a semblé une éternité, l’après-midi s’annonce très long très long très long.
Je suis assis, la tête posée contre la vitre, dehors le grand soleil d’hiver, les voitures, les routes, déjà j’aimais les routes, les chemins alanguis, le doux balancement du moyen de transport public, bus, train ou bateau, pourvu qu’il me fut donné de rêvasser et de regarder les êtres et les lieux passants.
J’aimais broder des phrases , m’imaginer dans tel ou tel rôle, partir à la recherche de ma douce et tendre, l’idéaliser telle que je voulais, que m’importait la réalité, je me rendais compte de la vanité de l’existence, je savais que le temps allait passer sur moi et inéluctablement me compresser, écraser mes certitudes les plus secrètes, tout ce que je voulais faire, tout ce dont je rêvais, tout serait anéanti dans la machine à broyer, la machine à arracher les cœurs.
Je ne feignais pas l’insouciance, mais je désirais l’aventure, je voulais que chaque jour soit nouveau, chaque lumière éclatante et chaque être surprenant.
Je voulais toujours être ébloui, bouleversé, aspiré, je pensais évasion, je pensais amour, je pensais jeunesse.
Idéaliste j’étais, romantique, crédule et maladroit. Je n’étais pas encore résignation et complaisance.
Qui suis-je, demandais-je au miroir, avant de lui crier : casse-toi, déguerpis, ne me renvoie plus jamais ce cliché qui n’est que l’ombre de moi-même, laisse-moi parcourir le chemin seul, ressentir la douleur, savoir que tout comme le jour la souffrance est temporaire. Que chaque chose a sa raison d’être et de devenir.
Je m’asseyais à une table de café, et je commençais à écrire une histoire qui se voulait entraînante, mais qui surtout jaillissait de mon envie de respirer. J’étais dans le bus, je ne savais rien, mais c’était bien.