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(Anthologie permanente), Le Bouquet inutile, de Jean Pellerin

Par Florence Trocmé


Jean Pellerin  le bouquet inutileLire cette présentation de Jean Pellerin (1885-1921)
Sonnet

Je veux courir en Bièvre et je boucle mes guêtres
Mais, quand je poursuivrai l’ase ou la perdrix grise,
Viendrez-vous pas ici chasser la Peine, assise
Au seuil empoussiéré de la maison sans maîtres ?
Je vous réserverai – vous connaissez les aîtres –
Cette chambre carrée où vous plaît une frise
Multipliant la nymphe hostile à l’entreprise
– Où le rosier grimpant a cerné la fenêtre.
Vous aurez le miroir qui sait votre visage
Depuis longtemps déjà, le lit, le paysage
Et le jardin noyé, ce soir, de brume basse.
Vous aurez le verger, les raisins de septembre.
Et la maison, le parc, la cueilleuse, la chambre
Enchanteront mon rêve aux loisirs de la chasse.
*
Quotidiennes

   À Tristan Derème.
C’est vrai, j’aurais pu devenir
   Fabricant d’élégies…
Je ne sais que me souvenir
   De notoires orgies.
Mais je veux écrire – à Paris,
   Un roman exotique.
– ? – Certes, vous aurez des houris
   Dansant sous le portique !
Je peindrai l’eau, le ciel, le port
   Et le désert « immense »
À l’heure grise où l’on commence
   À crier Paris-Sport.
*
Veneris Dies

Femme de deuil et d’opprobre,
Je veux tes mains pour mes fièvres,
Tu sauras m’ouvrir les lèvres,
Comme tu m’ouvres ta robe.
Que nous ont-ils dit là-bas ?
Il pleuvait de la lumière,
Et c’était la coutumière
Fête. Mais notre sabbat
À nous c’est la lampe jaune,
Déesse de cette alcôve,
Et c’est ton corps frais et fauve,
Et c’est ta royale aumône.
C’est ce rectangle noir
Que découpe la fenêtre,
Et c’est ce que j’ai fait naître
De douleur – pour moi – ce soir.
*
Bohême

IV
Tu veux un bouquet de jonquilles,
   On te l’accorde et l’on
 Danse autour de l’accordéon.
   Famuche joue aux quilles.
Dodo cessant d’être rétif
   Tend la peau de son rable
Afin qu’un tatouage admirable
   Azure un cœur votif.
Ce cœur qu’à droite de la flamme
   Un trait vient de percer
Réponds, Dodo, quel nom de femme
   Y feras-tu tracer ?
Veux-tu Méloche, la Sans-Honte,
   La Rose du Poteau,
Et devrais-je, sous ton couteau ?…
   Dansons. L’aurore monte…
*
Octobre !

Octobre ! Une chambre d’hôtel…
Sur la douteuse courtepointe,
De quels baisers m’as-tu pas ointe,
Ô Douce ? Je le vois bien tel,
Ce garni… Le désir m’accointe
De votre corps, brumeux pastel,
Près du mien, suc brun de bétel,
De ma bouche à la vôtre jointe.
Un jour… et ce nous fut assez.
Mais, de ces souvenirs tassés,
Des joies que nous avons connues,
Ne gardez-vous que le décor,
Dites ? Jouerons-nous pas, encor,
À Mesdames-les-Toutes-Nues ?
Jean Pellerin, Le Bouquet inutile (1923), recueil poétique mis en forme par Francis Carco, réédition en 1954 avec des notes d'Yves-Gérard Le Dantec.
Victor Hugo

Le vieillard parle

(Légende des Siècles)

Vous voici réunis, souverains d’Italie,
Ducs, papes, assassins, monarques de folie
Et de crimes, soudards efféminés et bas.
Fiers dans les trahisons, lâches dans les combats !
Te voilà, Quésacco, baron de frittomiste,
Qui n’ayant pas su prendre Orgone à l’improviste
As fui piteusement devant quatre bâtons.
Mes maîtres, vos palais qui portent aux frontons
Des devises d’orgueil, soulevant les huées,
Sont remplis de gitons et de prostituées.
(…)
(Première strophe d’un pastiche de la Légende des Siècles, Le copiste indiscret de Hugo, Vigny, Barbey d'Aurevilly, Albert Samain, Rimbaud, Jules Renard, Anatole France,... etc., pastiches (1919). Paris : A. Michel, [1919].)
Choix et présentation de Chantal Bizzini


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