Lena Paugam est exceptionnelle en parvenant à interpréter tous les personnages : le narrateur, la femme, l’homme et l’enfant.
C’est une excellente idée d’une part parce que théâtralement cela révèle une grande comédienne mais d’autre part surtout parce que cela montre que les choses ne sont pas binaires dans un couple. La différence est ténue entre le bourreau et sa victime et je ne dis pas pour autant que la victime soit consentante en pleine conscience.
Il y a comme l'écrit si précisément Sigrid Carré Lecoindre, un moment de la vie où on perd le pourquoi du comment de ce qu'on fait.
Pour résumer la pièce on peut dire que c’est une histoire d’amour comme il y en a tant, une histoire ordinaire qui se contorsionne et part à la dérive. De petites peurs en grandes humiliations, on raconte le récit d’Hedda, une de celles dont on dit qu’elles sont restées, malgré le premier coup et malgré ce qui a suivi.
Initialement, à l'automne 2016, le projet devait s'intituler Bégayer sa vie / Au bout du plongeoir pour signifier d'une part la difficulté de Lena Paugam à faire un choix pour soi-même, à l'instar de quelqu'un qui ne pourrait se décider entre le désir de plonger et l’empêchement de le faire. Elle a souhaité ensuite aborder la question du mutisme et de la solitude des femmes qui vivent dans la terreur de leur compagnon et qui ne savent pas comment ni à qui en parler.
Elle a donc proposé à Sigrid de poursuivre en orientant l’écriture sur une fiction autour de la violence dans le cadre secret du couple, en s'inspirant de la vie d'Hedda Nussbaum, une femme américaine née en 1942, dont le nom fut rendu célèbre en 1987 suite à une affaire judiciaire où elle fut accusée par son mari Joël Steinberg d’avoir tué sa fille adoptive, Lisa Steinberg. Ses défenseurs furent nombreux à la présenter comme victime de violences physiques et psychologiques exercées sur elle par son mari. Elle a écrit le livre Surviving Intimate Terrorism, paru en 2005.
Cependant Hedda n’est pas (seulement) un spectacle sur les violences faites aux femmes car il raconte également l’histoire d’un homme qui se découvre monstrueusement violent et ne parvient pas à maîtriser ses colères et ses frustrations. Si au départ la relation entre les amoureux est équilibrée on la voit basculer et provoquer l'autodestruction.
Il s'agissait ensuite de montrer comment le théâtre, par le biais de la tragédie, pourrait penser la présence du monstrueux en puissance en chacun, sans se situer dans une voie moralisante. L'homme est en quelque sorte autant victime que la femme.Le décor est d’une grande simplicité mais tout à fait fonctionnel laissant apparaître dès le début du spectacle la salle de bains où aura lieu le drame. Les lumières sont essentielles et très réussies. Les choses se font petit à petit. C’est peut-être pour cela que l’engrenage des violences conjugales est si tragique.
Parce que cette histoire de domination s'installe sous le prétexte inverse. L'homme lui laisse entendre qu'il va l'aider à se faire respecter tout en insistant sur le fait que cela ressort de sa responsabilité à elle d'y parvenir. Au final c’est d’abord l’histoire d’une rencontre amoureuse dans laquelle petit à petit naît la violence. Comme le dit la comédienne dans une terrible parole : cet homme qui perd les pédales, je l'aime. Çà aurait pu être vous.En alternant les voix parlée, chuchotée, dites avec ou sans micro, Lena Paugam se place et nous place face à chacun des protagonistes. On comprend que l'amour sera plus fort que tout, et qu'aucune horreur ne conduirait la femme à renier l'homme.
Mention spéciale pour les costumes avec un rouge exprimant l’amour, la passion et le drame.
A signaler que le texte de la pièce (plus long que celui du spectacle) a été publié.Hedda de Sigrid Carré Lecoindre
Mise en scène et interprétation Lena Paugam
Dramaturgie Sigrid Carré Lecoindre, Lucas Lelièvre, Lena Paugam
Création sonore Lucas Lelièvre
Chorégraphie Bastien Lefèvre
Scénographie Juliette Azémar
Création Lumières Jennifer Montesantos
Jusqu’au 29 mars 2020
A 15, 19, 19 h 30 ou 21 h 15 selon les jours
Au Théâtre de Belleville
16 passage Piver - 75011 Paris - 01 48 06 72 34
Et parallèlement en tournée le 6 février Maison du Théâtre (Amiens)
5 mars Théâtre des Jacobins (Dinan)
2 avril L’Agora, Scène Nationale de l’Essonne (Evry)
7, 8 & 9 avril Le Liberté, Scène Nationale de Toulon
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Pauline Le Goff