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Antonio Machado – Portrait

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Antonio Machado – PortraitEnfance, souvenirs d’un patio de Séville
d’un clair jardin où mûrit le citronnier ;
ma jeunesse, vingt ans en terre de Castille ;
Mon histoire, quelques faits que je ne veux pas rappeler.

Ni un séducteur Manara, ni un Marquis de Bradomin,
vous connaissez mon piètre accoutrement — ;
mais j’ai reçu la flèche que me destina Cupidon,
et j’ai aimé tout ce qu’elles ont d’accueillant.

Il coule dans mes veines du sang de jacobin,
mais mon vers jaillit d’une source sereine ;
et plus d’un homme à la mode qui sait son catéchisme,
je suis, dans le bon sens du mot, un homme bon.

J’adore la beauté et, dans la moderne esthétique,
J’ai cueilli les anciennes roses du jardin de Ronsard ;
mais je n’aime pas les fards de l’actuelle cosmétique
ni ne suis un de ces oiseaux au nouveau gazouillis.

Méprisant la romance des ténors à voix creuse
et le chœur des grillons qui chantent à la lune,
je cherche à démêler les voix des échos ;
parmi toutes les voix, je n’en écoute qu’une.

Classique ou romantique ? Je ne sais. Je voudrais
Laisser mon poème, ainsi que son épée le capitaine :
fameuse par la main virile qui la brandissait
et non pour l’art savant du forgeur appréciée.

Je converse avec l’homme qui toujours m’accompagne
– qui parle seul espère à Dieu parler un jour — ;
mon soliloque est entretien avec ce bon ami
qui m’apprit le secret de la philanthropie.

Après tout, je ne vous dois rien ; c’est vous qui me devez ce que j’ai écrit.
J’accomplis mon labeur, de mes deniers je paie
l’habit qui me couvre, la demeure où j’habite,
le pain qui me nourrit, la couche où je repose.

Et quand viendra le jour du dernier voyage,
quand partira la nef qui jamais ne revient,
vous me verrez à bord, et mon maigre bagage,
quasiment nu, comme les enfants de la mer.

*

Retrato

Mi infancia son recuerdos de un patio de Sevilla,
y un huerto claro donde madura el limonero;
mi juventud, veinte años en tierras de Castilla;
mi historia, algunos casos que recordar no quiero.

Ni un seductor Mañara, ni un Bradomín he sido
—ya conocéis mi torpe aliño indumentario—,
más recibí la flecha que me asignó Cupido,
y amé cuanto ellas puedan tener de hospitalario.

Hay en mis venas gotas de sangre jacobina,
pero mi verso brota de manantial sereno;
y, más que un hombre al uso que sabe su doctrina,
soy, en el buen sentido de la palabra, bueno.

Adoro la hermosura, y en la moderna estética
corté las viejas rosas del huerto de Ronsard;
mas no amo los afeites de la actual cosmética,
ni soy un ave de esas del nuevo gay-trinar.

Desdeño las romanzas de los tenores huecos
y el coro de los grillos que cantan a la luna.
A distinguir me paro las voces de los ecos,
y escucho solamente, entre las voces, una.

¿Soy clásico o romántico? No sé. Dejar quisiera
mi verso, como deja el capitán su espada:
famosa por la mano viril que la blandiera,
no por el docto oficio del forjador preciada.

Converso con el hombre que siempre va conmigo
—quien habla solo espera hablar a Dios un día—;
mi soliloquio es plática con ese buen amigo
que me enseñó el secreto de la filantropía.

Y al cabo, nada os debo; debéisme cuanto he escrito.
A mi trabajo acudo, con mi dinero pago
el traje que me cubre y la mansión que habito,
el pan que me alimenta y el lecho en donde yago.

Y cuando llegue el día del último vïaje,
y esté al partir la nave que nunca ha de tornar,
me encontraréis a bordo ligero de equipaje,
casi desnudo, como los hijos de la mar.

*

Portrait

My childhood is memories of a patio in Sevilla
and a shining orchard where the lemon tree ripens.
My youth, twenty years on the earth of Castilla,
my life, a few events that I prefer forgotten.

Not a seducing Don Juan or a Bradomín—
by now you know the shabby plainness of my dress—
but I was hit by Cupid’s arrow and have been
in love whenever women fed me welcomeness.

Coursing my veins are drops of Jacobinic blood,
and yet my poems issue from a tranquil fountain;
more than an upright man who knows his doctrine,
I am, in the good meaning of the word, good.

I love beauty and in tune with modern aesthetics,
have plucked old roses from the garden of Ronsard,
but I don’t love the rouge of contrived cosmetics,
and am no chirping bird in the latest garb.

I scorn the ballads of loud tenors as hollow
as a choir of crickets singing to the moon.
I stop to note the voices from their echo
and among those voices listen to only one.

Am I romantic or classical? I don’t know.
I’d like to leave my verse as a captain his blade,
known for the iron hand that made it glow,
not for the maker’s celebrated mark or trade.

I chat with a companion with me to the end—
who speaks alone may hope to speak to God one day,
and my soliloquy is chat with that good friend
who showed me secrets of a philanthropic way.

And in the end I owe you nothing. For what I write
you owe « me ». I go to work, pay for the house I rent,
the suit that covers me, the cot I lie on at night,
and the plain bread that gives me nourishment.

And when the day for my final voyage arrives,
and the ship, never to return, is set to leave,
you will find me on board, light on supplies,
and almost naked like the children of the sea.

1906

***

Antonio Machado (1875-1939)Campos de Castilla (1907-1917) – Champs de Castille (Gallimard, 1973) – Traduit de l’espagnol par Sylvie Léger et Bernard Sesé.- Border of a Dream: Selected Poems (Copper Canyon Press, 2003) – Translated by Willis Barnstone.


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