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Pourquoi l'Ashtanga Yoga n'aime-t'il pas les femmes ?

Publié le 14 mars 2020 par Anargala
Depuis quelques années, le monde du yoga est secoué par des scandales.
Les maîtres sont remis en question.

Face à des événements troublants, réaction la plus commune est de designer comme responsable tel ou tel individu, sans questionner le yoga lui-même. De vrai, pareil questionnement des sources serait sans doute perçu comme suicidaire par la plupart des professeurs et par tous ceux pour qui le yoga est un commerce.

Pourtant, et sans nier les responsabilités individuelles, ne serait-il pas judicieux d'interroger le yoga lui-même ? Ainsi des gens comme Matthew Remski ont entrepris cette démarche critique. Dans le même temps, l'histoire du yoga et mieux connue, en particulier celle du Hatha Yoga, le yoga à l'origine de tous les styles actuels. On sait aujourd'hui qu'il existe bien des familles différentes de yoga. Patanjali et ses sûtras restent la seule référence pour le grand public (dont font partie les professeurs et les formateurs, malheureusement), mais nous savons depuis longtemps déjà que cette vision est erronée.

Quoi qu'il en soit, le style de yoga le plus pratiqué aujourd'hui est l'Ashtanga Yoga, dont la source est un Indien mort en 1989, Krishnamcharya (ci-après, "K"). Or, celui-ci nous a livré sa vision du yoga sous une forme traditionnelle, dans le Yoga-rahasya, le "secret du yoga" dont le contenu lui aurait été enseigné dans une vision surnaturelle par un saint du Xème siècle, appartenant à la tradition tantrique vaishnava (l'une des religions de l'Inde), un certain Nâthamuni. Cette fable sert bien entendu a donner de l'autorité a la vision de K. Je cite la traduction publiée aux éditions Âgamât, avec quelques modifications.


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K.

Quelle est la vision du yoga que nous transmet ce "maître des maîtres" que K fût et reste ?

Trois traits nous frappent :

1 . Une vision négative du corps de la femme

Quand il décrit la vie du fœtus dans le corps de sa mère, K en parle en ces termes, citant avec dévotion le Vishnu Purâna :

""Dans l’utérus, l'être au corps tendre est entouré d'insectes (kîta) et d’impuretés (mala)." I, J

"...le fœtus gît, en proie a tous ces tourments, proche des excréments et de l'urine.(...) Il repose dans l’utérus et ressent beaucoup de souffrances. L'enfant prêt à naître est entoure de matières fécales." Ibid.

Il s'agit donc d'un long passage du Vishnu Purâna, l'une des Écritures de la religion de K. Ce qui nous amène au second point :

2. Une vision sectaire et religieuse du yoga

On affirme souvent que le yoga de K, et donc l'Ashtanga, le Vinyâsa et autres dérivés, ne sont pas religieux. Ce seraient des pratiques non sectaires, dépourvues de toute empreinte idéologique, juste des méthodes de bien-être, modernes et pragmatiques. C'est parfaitement faux. Tout l'Ashtanga est présenté dans le cadre entièrement religieux de la religion vaishnava de K :

"Ceux qui n'ont rien compris au Suprême parlent des nombreux mantras avec beaucoup de conviction. Ils débattent pour savoir quel dieu est supérieur : Shiva, Vishnu ou Brahma." I, 110

En ne lisant que ces paroles, on pourrait croire a une critique du sectarisme et a une invitation a la tolérance.

Mais on déchante au verset suivant :

"Cependant, toutes les Upanishads (=les textes révélés) proclament que Vishnu est le Seigneur suprême parmi tous (les dieux), qu'il est le seul (eka eva)." I, 111

Dans l'enseignement de K, tous est présenté comme venant de Vishnu. Même Patanjali est considéré comme une incarnation d'Ananta, le serpent qui sert de matelas a Vishnu.


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Nâthamuni

Dans cette optique, on ne s’étonnera pas de constater que K est véritablement obsédé par la pureté, une valeur qui se trouve au cœur du puritanisme de sa religion de naissance. Au temps pour le "sage libre de tout conditionnement". En fait, c'est plutôt l'inverse : qu'est-ce donc qui n'est pas conditionné dans "son" enseignement ? Et cette obsession de la pureté, avec son corollaire le dégoût du corps, se confirme dans le troisième trait caractérisant son son discours :

3. La femme est instable et incapable


"Les femmes en ce monde sont généralement affligées par la timidité et la crainte, (ce qui es une bonne chose, car la femme ne doit jamais être indépendante). Mais elles se laissent aller a des bavardages inutiles, sont pleines d'illusions et ont un mental instable." Chapitre "de la réflexion" (vimarshana), 24

... Heureusement, il y a des femmes exceptionnelles. Mais... "c'est un miracle (vicitra-gati) du Soi" ! 26

Pour K, la femme est par nature instable. Mais comme Dieu est tout puissant, certaines femmes peuvent, par sa grâce, transcender leur nature impure et infantile, incapables de "suivre leur devoir (svadharma)", 25.

Dans ces conditions, doit-on encore s’étonner de voir tant de professeurs de yoga abuser de leurs élèves ? Un Pattabhi Jois ne suit-il pas l'enseignement de son guru K ?

Voici un échantillon de ce "maître de yoga" en train de "stabiliser" des femmes. A vous de juger :


Bien entendu, K a enseigné aux femmes. Et il le dit dans son Secret du yoga : les femmes peuvent pratiquer. Mais il présente cela comme un miracle divin (vicitra-gati), si incroyable qu'il appelle a la foi ses bon disciples. Si les femmes peuvent pratiquer le yoga, dit-il, ça n'est pas parce qu'elles sont les égales des hommes, mais parce que Dieu peut tout (27).

Mépris du corps, de la chair, obsession de pureté, sectarisme, misogynie... L'Ashtanga Yoga n'aime pas les femmes. Si les yoginîs veulent vraiment trouver leur bien-être dans ce yoga (et ses dérivés), elles doivent se le réapproprier, au prix d'un travail critique. 

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