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Coronavirus et soins intensifs: projections pour la Suisse

Par Julien Sansonnens
Coronavirus et soins intensifs: projections pour la Suisse

Cet article n'a pas vocation a être "alarmiste" ou "rassurant", mais à présenter le plus rationnellement possible la situation actuelle et à court terme.

La plus grande crainte concernant la pandémie de COVID-19 en cours concerne moins la létalité intrinsèque de la maladie que la saturation du système hospitalier qu'elle peut entraîner, en particulier les services de soins intensifs (SI).

Au jour de l'écriture de cet article, la Suisse déclare 2200 personnes testées positives au COVID-19. Dans la mesure où des tests ne sont pas (ou plus) systématiquement effectués, ce nombre est vraisemblablement largement sous-estimé. Des projections évoquent un nombre proche de 10'000 cas au 13 mars.

Un article de la RTS indique qu'on compte 82 unités de soins intensifs en Suisse, pour un total de 750 places avec respirateur pour la prise en charge d'adultes. A l'heure actuelle, des mesures sont prises afin d'augmenter autant que possible ce nombre de lits, néanmoins la haute technicité de ce type de prise en charge nécessite un personnel formé et expérimenté qui, lui, ne pourra que difficilement être augmenté rapidement. Les mesures déjà prises (annulation des vacances du personnel, appel à des médecins et infirmiers de réserve, étudiants, retraités ou personnel militaire) ne permettront vraisemblablement pas d'augmenter massivement l'offre en lits avec respirateurs. Il faut par ailleurs souligner que le coût de fonctionnement d'un service de SI impose que celui-ci fonctionne habituellement en flux quasi tendu afin de ne pas avoir trop de lits inoccupés : il n'y a donc potentiellement que peu de réserve de capacités pour les cas COVID-19. Néanmoins, des places pourront être libérées par le report des opérations non urgentes et marginalement par la baisse de l'activité sociale générale (par exemple: pistes de ski fermées, donc moins d'accidents, moins d'accidents de la route, etc.)

Quant au personnel frontalier des hôpitaux, on comprend pourquoi la fermeture des frontières ne peut pas concerner à ce stade cette catégorie de travailleurs. Si la frontière leur reste ouverte, il faut aussi prendre en compte que ce personnel a des impératifs familiaux (garde des enfants) comme le reste de la population, et qu'une partie, qu'on espère la plus marginale possible, ne pourra pas répondre présent, du moins pas immédiatement. La disponibilité du personnel constitue la variable la plus importante de l'équation en matière de fonctionnement d'un service de SI: le risque d'une contamination des soignants, malgré des protocoles rigoureux (comme cela s'est vu en Chine, où 12% des contaminés étaient des soignants), ainsi qu'une fatigue physique et psychologique va entraîner progressivement une diminution de la capacité de prise en charge des patients, la question de la rotation des équipes devenant particulièrement épineuse.

Considérons, pour la Suisse, un total de 750 lits avec respirateurs disponibles en service de soins intensifs. Une partie de ces lits sont déjà (et continueront d'être) occupés par des patients nécessitant une prise en charge pour d'autres pathologies (AVC, accidents de la route, pneumonies, septicémie, etc.). Coronavirus ou non, ce type de patient continuera d'arriver régulièrement aux soins intensifs et, potentiellement, d'avoir besoin d'équipements de respirations artificielle ainsi que du personnel soignant.

Comment la crise de coronavirus risque d'elle d'impacter les SI ? J'ai cherché à l'estimer en effectuant quelques calculs simples. Je précise ici que je ne suis pas médecin ni statisticien, et ne prétends posséder aucune compétence particulière en infectiologie. Les projections présentées ci-dessous n'ont pas prétention à être exactes mais à permettre de prendre compte de la gravité du problème et de l'urgence absolue de la situation. Les chiffres en eux-mêmes, forcément imprécis, n'ont pas beaucoup d'importance, il faut se concentrer sur les ordres de grandeur.

Estimation du nombre de patients en unités de soins intensifs en Suisse par jour (situation au 16 mars 2020)

L'estimation de l'utilisation des SI par des patients souffrant du COVID-19 repose sur un certain nombre d'hypothèses. Ces hypothèses sont évidemment discutables: j'ai cherché à rester le plus cohérent possible et le plus proche de la littérature scientifique.

  • Hypothèse 1 : seuls 2/3 des lits (soit 500) en unités de SI seront disponibles pour le COVID-19, le dernier tiers restant "attribué" aux autres cas.
  • Hypothèse 2 : entre 5% et 10% des patients souffrant du COVID-19 nécessitent une prise en charge aux soins intensifs. A des fins de simplification, j'ai utilisé le chiffre de 8%, retenu dans la littérature médicale.
  • Hypothèse 3 : la moitié des patients admis en SI décède à j+7, l'autre moitié sort des SI guéris à J+14. (Cette hypothèse d'une sortie à j+14 apparaît particulièrement optimiste).

Les données de projection pour les jours des 17, 19 et 21 mars sont issues des travaux du Prof. Antoine Flahaut, publiées sur son fil twitter.

Je suis évidemment preneur de tout commentaire sur la méthode utilisée, en particulier venant de gens plus compétents et spécialisés que moi.

Coronavirus et soins intensifs: projections pour la Suisse
Nombre de lits disponibles pour patients COVID-19 en Suisse (avec projection): Légende: * = projection Télécharger les données sources (Microsoft Excel, .xlsx) Conclusion

Les services de soins intensifs du pays seront soumis à une charge très importante et cela dans un délai très court. Le modèle présenté ici montre qu'un dépassement des capacités pourrait être atteint d'ici 3 jours. Ce nombre de jours est imprécis et ne doit pas être interprété strictement, il donne seulement une indication de l'urgence de la situation.

Par effet de ricochet, la pandémie de COVID-19 aboutira à une diminution importante du nombre de lits en SI disponibles pour la prise en charge des autres pathologies, avec les risques sanitaires que cela peut représenter, diminution partiellement compensée par le report des opérations non urgentes. Si les personnes âgées sont particulièrement à risque concernant le COVID-19, cet effet induit un risque pour l'ensemble de la "population générale" des SI.

On comprend donc qu'il est extrêmement important de diminuer la progression exponentielle des nouvelles contaminations, notamment en appliquant strictement les consignes d'isolement social. Les personnes les plus vulnérables, celles qui ont le plus de risque de nécessiter une prise en charge aux SI, ne devraient pas sortir de chez elles. Un durcissement des mesures est à prévoir à court terme afin de gagner du temps et permettre au système de santé de s'adapter autant que possible à la situation.

Sources:


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