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#2020RacontePasTaVie - jour 87, P3

Publié le 28 mars 2020 par Aymeric

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Je ne sais plus si je vous en ai déjà parlé mais je suis P3.

Plus exactement, je fus mis à la porte de l’armée pour « problèmes psychologiques incompatibles » avec cette dernière.
Mais laissez-moi vous raconter cela plus en détail (en même temps, si vous êtes là, c’est qu’a priori vous me laissez généralement bavasser un minimum).

Bien.
Tout commence en mai 1993. Mon bac approche, il est même tout proche, trop proche, et le stress à son propos commence à monter doucement.
Nous somme samedi [voix de Pierre Bellemare] et l’après-midi vient tout juste de commencer.
La sonnerie se fait entendre.
Deux gendarmes sont à la porte.

« Bonjour. C’est bien ici qu’habite Aymeric Morillon ? Voici pour lui une convocation pour ses trois jours à la caserne de Rennes dans laquelle il est attendu la semaine prochaine dans la mesure où il ne s’est pas fait recenser pour le service militaire obligatoire. »

Meeeeeeerde !
J’ai complètement oublié ce machin.
Autant j’ai pensé à m’inscrire sur les listes électorales, autant le service…

Bref, me voilà une poignée de jours plus tard dans un train en direction de Rennes m’imaginant déjà, boule à zéro, en partance pour Baden-Baden ou Mourmelon-le-Grand dans quelques dizaines d’heures.

Je suis arrivé à la caserne dans un état d’angoisse dans le rouge (au point qu’il me semble me souvenir – mais avec le recul, je pense que mon inquiétude me faisait quasi délirer, même si je ne suis pas le seul à avoir eu cette impression sur le moment – d’un soldat tirant vaguement, à blanc bien entendu, dans notre direction).

La principale impression que m’aura laissée ces trois jours qui n’auront en fait duré que la moitié c’est celle d’une attente permanente. La longueur entre deux choses à faire me semblait durer un temps infini.

Il a d’abord fallu – enfin si mes souvenirs, lointains, sont exacts, passer par une série de tests pour évaluer les compétences intellectuelles des futurs soldats. L’occasion pour moi de constater que parmi les aptes d’office – ceux que ne s’étaient pas fait recenser, donc – il y avait une part d’illettrés puisqu’un bon tiers de la salle a levé la main pour dire qu’ils ne pouvaient pas répondre au QCM qu’on nous proposait faute de savoir le déchiffrer.
(L’armée ayant tout prévu, les personnes en question étaient dirigés vers une autre salle où l’évaluation se faisait à base d’écrans et de manettes.)

Ensuite est venu le temps des tests psycho-physiques.
L’occasion pour moi de constater au fur et mesure de ceux-ci que ma vue ultra défaillante, un daltonisme confirmé – peut-être vous en reparlerai-je – un dos pas vraiment droit et une tension hors des clous m’offraient déjà un service militaire à forte tendance bureaucratique, fut-ce à Baden-Baden ou à Mourmelon-le-Grand.

Et puis il a fallu passer devant le psychologue.

- Bonjour vous allez bien ?
- Oui, merci, ça va beaucoup mieux. Maintenant.
- Ah bon ? Parlez-moi un peu de ça. Ça va mieux comment ?

Là, je peux dérouler.
La multitude de mes TOCs que je parviens à contrôler autant que faire se peut – la porte est bien fermée ? Oui, j’ai déjà vérifié trois fois mais étais-je bien conscient à chaque vérification ? Les interrupteurs allumés et éteints deux ou trois fois de suite sinon QUELQUE CHOSE DE TERRIBLE VA ARRIVER – les catastrophes potentielles, souvent multiples, que je décèle à chaque occasion, même la plus bénigne, mes difficultés à ne pas considérer une interaction comme un risque majeur.
Le tout débité sur le rythme d’un fusil d’assaut de la manufacture d'armes de Saint-Étienne non enrayé.
Bref une sorte de version bêta et condensée d’un #RacontePasTaVie.
Interrompue brutalement par le jeune médecin militaire en blouse blanche qui me fait face :

- Euh.. Pardonnez moi si je suis un peu brutal mais, si la vie militaire et celle de policier ou de pompier ne vous était pas accessible, jamais, vous ne le vivriez pas comme un drame ?

Et c’est ainsi que j’ai pu retourner chez moi, sans passer par un long séjour à Baden-Baden ou Mourmelon-le-Grand et ne plus stresser que pour mon bac.

Il me faut ajouter que lors du temps et surtout de la nuit passés à la caserne j’ai été fort touché par la sollicitude et la sympathie qu’ont manifestés la plupart de mes camarades aptes d’office qui ont bien perçu mon niveau d’anxiété et n’ont fait que vouloir me rassurer et, d’une certain manière, me protéger.
Ce fut une des rares occasions de ma vie durant laquelle j’ai ressenti une immense foi et affection dans l’humanité.
Mais peut-être est-ce de ma faute si c’est si rare, que je suis, dans mon armure d’habitudes et de méfiances, injuste, peut-être que… mais le temps presse et votre patience s’use.


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