Quatrième de couverture :
Chargée d’écrire une préface pour l’extraordinaire journal que Marie Curie a tenu après la mort de Pierre Curie, Rosa Montero s’est vue prise dans un tourbillon de mots. Au fil de son récit du parcours extraordinaire et largement méconnu de cette femme hors normes, elle construit un livre à mi-chemin entre les souvenirs personnels et la mémoire collective, entre l’analyse de notre époque et l’évocation intime. Elle nous parle du dépassement de la douleur, de la perte de l’homme aimé qu’elle vient elle-même de vivre, du deuil, de la reconstruction de soi, des relations entre les hommes et les femmes, de la splendeur du sexe, de la bonne mort et de la belle vie, de la science et de l’ignorance, de la force salvatrice de la littérature et de la sagesse de ceux qui apprennent à jouir de l’existence avec plénitude et légèreté.
Alors qu’elle a perdu son compagnon avec qui elle a vécu une vingtaine d’années, Rosa Montero se voit confier par son éditrice le journal que Marie Curie a tenu pendant un an après la mort de son mari Pierre. « Tu en feras ce que tu veux, peut-être peux-tu au moins le préfacer ? » demande l’éditrice, qui a sans doute compris intuitivement que cette lecture ferai du bien à la romancière endeuillée. Et c’est ainsi que Rosa Montero découvre le deuil de Marie Curie, s’intéresse à sa vie et met en miroir sa propre histoire d’amour et celle de Pierre et Marie.
Mais ce n’est pas un texte nombriliste qu’elle nous livre. C’est l’occasion de (re)découvrir Marie Curie, première femme à avoir reçu le prix Nobel de chimie (avec son mari, ce qui n’est pas négligeable pour l’époque) et seule femme à l’avoir obtenu deux fois. Marie, devenue une icône dans le combat des femmes pour accéder à la connaissance, à la reconnaissance, mais Rosa Montero nous la montre aussi dans sa vie de tous les jours, dans ses difficultés à concilier vie de femme, de mère et vie professionnelle, vie scientifique. Dans ce récit, Marie Curie est vraiment humaine, c’est une femme, tout simplement.
Et puis c’est une magnifique réflexion sur la vie et la mort, l’intimité du couple, le chagrin, le deuil, la résilience (si je puis me permettre ce mot un peu galvaudé par les temps qui courent). Sur les femmes et leur place dans la société par rapport aux hommes. Et bien sûr sur la littérature, sorte d’alchimie qui transforme les événements vécus, les joies, les peines au creuset de la parole écrite.
« Nous avons tous besoin de beauté pour que la vie soit supportable. Fernando Pessoa l’a très bien exprimé: » La littérature, comme toute forme d’art, est l’aveu que la vie ne suffit pas ». Elle ne suffit pas, non. C’est pour ça que je suis entrain d’écrire ce livre. C’est pour ça que vous êtes entrain de le lire. » (p. 31)
« A l’époque de Marie Curie, prétendre briller par soi-même était une chose anormale, présomptueuse et même ridicule. Et ainsi, sans modèles à regarder et contre le courant général, il est très difficile d’aller de l’avant, même quand vous avez une vocation, même quand vous êtes convaincue de votre valeur, parce que tout l’entourage vous répète encore et encore que vous êtes une intruse, que vous n’êtes pas faite pour ça, que vous n’avez pas le droit d’être là, à côté des hommes. Que vous êtes une #Mutante, un échec en tant que femme et un monstre en tant qu’homme. »
(p. 47)
« Et maintenant écoutez ! Ce que je viens de faire est le plus vieux truc de l’Humanité face à l’horreur. La créativité est précisément ça: une tentative alchimique de transmuer la souffrance en beauté. L’art en général, et la littérature en particulier, sont des armes puissantes contre le Mal et la Douleur. Les romans ne vainquent pas (ils sont invincibles), mais ils nous consolent de l’effroi. En premier lieu, parce qu’ils nous unissent au reste de l’humanité: la littérature fait de nous une partie du tout et, dans le tout, la douleur individuelle semble faire un peu moins mal. » (p. 103)
« Je veux dire que le véritable sexe faible, c’est le masculin. ça n’est pas vrai de tous les hommes et pas toujours, mais puisqu’on en est à parler d’une faiblesse de genre, les hommes remportent la palme. Et de toute façon, nous les femmes, nous les croyons faibles et nous les traitons, dès lors, avec des égards et une surprotection hallucinants. Peut-être que c’est dû à l’instinct maternel, qui est une pulsion incontestablement puissante, mais le fait est que nous dorlotons souvent les hommes comme si c’étaient des enfants et nous prenons délicatement soin de ne pas blesser leur fierté, leur estime de soi, leur fragile vanité. »
« Mais la littérature, ou l’art en général, ne peut pas atteindre cet espace intérieur. La littérature s’applique à tourner autour du trou. Avec de la chance et avec du talent, peut-être qu’on parviendra à jeter à l’intérieur un coup d’oeil rapide comme l’éclair. Ce flash illumine les ténèbres, mais de manière si brève qu’il n’y a qu’une intuition, pas une vision. En outre, plus vous vous approchez de l’essentiel, moins vous pouvez le nommer. La moelle des livres se trouve au coin des mots. Le plus important des bons romans s’amasse dans les ellipses, dans l’air qui circule entre les personnages, dans les petites phrases. C’est pour ça, que je crois, que je ne peux rien dire de plus sur Pablo : sa place est au centre du silence. » (p. 165)
Rosa MONTERO, L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir, traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse, Métailié, 2015