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Il est des hommes qui se perdront toujours, de Rebecca Lighieri

Publié le 02 avril 2020 par Onarretetout

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Qui a tué mon père ? C’est le titre du premier chapitre. Il y a un point d’interrogation. La question restera suspendue dans les pages suivantes. « JVTMP », les trois enfants de la fratrie savent ce que veulent dire ces cinq lettres. Et, même si on le devine, on ne le saura qu’au terme d’un parcours douloureux, pourtant plein de la vitalité de celle et ceux qui n’ont rien que la violence dans leur quotidien : Karel, Hendricka et Mohand, le seul qui n’ait pas dans son prénom le K initial du prénom de leur père, Karl, un Belge dont on se demande ce qu’il est venu faire à Marseille et qui y vit de minables trafics dont on ne saura pas grand chose. Ils habitent Cité Artaud, oui le nom du poète Antonin Artaud. Ils en connaissent un rayon sur la folie, celle de leur père, celle, différente, de leur mère. La cité envoie des musiques, des chansons, et ce sont là leurs amours, leurs espoirs. Rebecca Lighieri magnifie la culture populaire dans ce livre. Les images de Philippe Lavil, de Marvin Gaye, de Michael Jackson, les paroles de IAM, se suivent et forment quelque chose de puissant, quelque chose qui permet de vivre, qui donne envie de s’envoler quand on pourrait dégringoler. Des chansons qui « parlent de nous, c’est-à-dire de types mal barrés, qui vont mal tourner et surtout mal finir ». Et qui confirment qu’on « pense pas à demain parce que demain c’est loin ». Entre le passage 50 où vit une famille de gitans et l’Amérique du cinéma, Karel est écartelé, entre ses désirs et cette violence qui gronde en lui quand il ne s’y attend pas. Qu’est-ce qu’être un homme dans ce contexte ? Il devient aide-soignant parce qu’il veut travailler la nuit. Aide-soignant peut-être parce qu’il n’a pas su protéger son « petit frère » (un titre de IAM), qu’il n’a pas su s’opposer à son père. Peut-être seulement parce qu’il est de ceux qui acceptent de nettoyer la merde des autres… La mort annoncée viendra. Elle ne libère que notre attente. Et on sort de ce livre estomaqué. 

Je pense à cet autre livre, Que dire ?, signé aussi de Rebecca Lighieri, avec Jean-Marc Pontier, et qui se passe aussi à Marseille, autour du Palais Longchamp qu’elle nous fait encore traverser dans celui-ci.

Emmanuelle Bayamack-Tam (qui signe ces deux livres du pseudonyme Rebecca Lighieri) est née à Marseille, comme Antonin Artaud et comme René Fregni, auteur d’un roman intitulé Où se perdent les hommes ?, et qui fut un temps aide-soignant dans un hôpital marseillais, à qui elle rend ici, discrètement, hommage.


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