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Une histoire de haut-parleur et de colère

Publié le 04 avril 2020 par Moodstep

Début 2016, je viens m'installer à Port-Louis, petit joyau entouré d'eau, où mes grand-parents paternels vivaient, où mon grand-père maternel est né. Vivre ici, c'était renouer avec mes racines et me rapprocher de ma mère après une vie de voyages. Dans mon nid d'aigle, au cœur de la cité, cernée par la mairie et le presbytère, avec pour seul vis-à-vis Notre-Dame et son horloge jamais vraiment à l'heure, je vivais la vie de mes rêves. Mon plaisir, descendre et savoir que je vais croiser des visages connus, avoir la sensation de faire partie d'une communauté faite d'artistes, de retraités, de gueules cassées, de bougons et de joyeux lurons.

En 2018, je vis aux cotés de mon ami Charles, les moments les plus bouleversants de ma vie. Changement de cap, mon bonheur confortable n'a rien d'un bonheur engagé, pleinement en adéquation avec ce en quoi je crois. Je change la ligne éditoriale de mon podcast et je construirai dorénavent les contours de mon utopie, toujours par l'enquête et le questionnement. Cependant au bout de quelques épisodes, je sens que je me perds dans la complexité des questionnements sur nos systèmes. J'ai le sentiment de ne faire qu'ajouter au brouhaha ambiant de tant d'opinions et voix qui s'expriment dans le monde. J'arrête et retourne à mon petit confort. Il faut gagner sa vie, vendre le Talentoscope.

Je déteste vendre ou même avoir une démarche qui a pour but de vendre. Mais il faut bien vivre comme on me le répète à l'envie et je me rassure en me disant qu'animer des Talentoscopes, ça fait du bien juste en observant l'engagement des participants. J'en ressors toujours regonflée.

Je me suis persuadée que oui, c'est un compromis acceptable que de vivre dans un système que je trouve morbide en faisant quelque chose que j'aime. Je me raccroche au fait que chaque jour je peux vivre l'émerveillement d'être vivante, de pouvoir observer la beauté de ce monde, des êtres que je croise, et que cela devra suffire car je n'ai pas le pouvoir de changer le fonctionnement de la société.

2019. Faisceau de hasards jusqu'en Auvergne où l'on me parle des méthodes employées à la mairie de Port-Louis apparemment connues de beaucoup mais tant que ça roule, qui se soucie des risques psycho-sociaux ! Cela ne nous regarde pas, ils font le taff ! Parralèlement, je suis contactée par la Bascule à Pontivy pour intervenir à l'un de leurs événements. Finalement on se retrouve en quasi petit comité d'une centaine de participants avec un thème central, les municipales. Daniel Cueff, Damien Carême, Delphine Batho, Tristan Rechid ... et je me reprends de passion pour le municipalisme. La coconstruction, sortir des querelles de clochers, de celui qui criera le plus fort, de la compétition et de l'infantilisation. Houra ! Me voilà à grande allure, prête à créer le nouveau monde. Une réunion ! Une réunion, et je remise mon fier destrier à l'écurie. Je me suis enflammée un peu vite. Ce type de démarche demande un changement culturel profond qui n'advient pas n'importe où et surtout pas en un claquement de doigt.

Janvier 2020. La municipalité a décidé, en accord avec les commerçants, d'utiliser les haut-parleurs du centre ville (deux rues) pour diffuser des messages enregistrés faisant la promotion d'événements culturels. Samedi matin, 9h, le haut-parleur donnant sur mes fenêtres, m'annonce en musique qu'il ne faut pas que je manque Jazz Miniature le 24, 25, 26. Une voix enregistrée dans mon salon, dans ma chambre, qui me rappelle à intervalles réguliers qu'il ne faut décidément pas que je rate ça. Je ne peux pas complètement expliquer pourquoi je n'ai jamais été dérangée par les cloches, les marchés nocturnes en été avec une foule sous mes fenêtres, ou cette femme qui hurlait la nuit prise de je ne sais quelle folie, rien de tout ça ne m'a émue. Alors pourquoi dès le premier message de ce haut-parleur la colère est montée en moi à ce point.

Je fulminais chez moi et je suis donc descendue à la mairie, ma voisine. La dame de l'accueil m'écoute gracieusement mais n'y peut pas grand chose. Direction le QG de campagne du maire qui est occupé. Il me rattrape plus tard au milieu de la grande rue et m'explique qu'il va régler mon problème en shintant le haut-parleur donnant chez moi. Je lui rétorque que je ne cherche pas de réponse clientéliste mais que c'est bien le principe même de diffuser des messages dans la rue et donc chez les riverains que je trouve révoltant. Le ton monte.

Pendant trois semaines, j'ai été prise de maux de ventre et de clignements intempestifs des paupières. Je ne pouvais accepter de m'être comportée ainsi, d'avoir été tout ce que je déteste, une gueularde. J'en tire vite la conclusion, qu'aux vues de mes réactions, heureusement que je ne suis pas entrée dans l'arène politique. Deuxième effet pervers, je découvre les jugements à l'emporte pièce qui se propagent et circulent jusqu'aux oreilles amies.

L'esprit des lieux si romantique n'était que le regard superficiel et naïf que je posai sur Port-Louis, ville péninsule que je vois femme, coquette et enrubannée d'eaux scintillantes. Mais l'esprit d'une ville transcende-t-il celui de ses habitants ?

Après un retour aux essentiels auprès de ma tante et de mon oncle, lui-même à son troisième mandat de maire, je me résous à aller m'excuser auprès de mon chef de commune pour me libérer de cette culpabilité qui rapetissait mon monde. Peu à peu, le malaise se dissipe.

Mars 2020. La France vient d'entrer en hibernation forcée. Steeve me contacte et me demande de faire une interview sur " les stratégies pour mieux vivre son confinement " avec Bernard Anselme qu'il a découvert lors d' une de mes interviews et qu'il suit avec engouement depuis. " ok. Et si on le faisait en direct et tu modères ? " . Ils acceptent. Je leur avoue avant l'interview que je crains de paraitre trop désinvolte car j'ai une énergie débordante et joyeuse. La solitude n'a jamais été un problème mais plutôt un lieu de ressourcement depuis toujours. De plus, ce rendez-vous en direct avec tant de personnes que j'ai croisés, avec qui j'ai échangé lors de ces années d'interviews n'a fait qu'amplifier ma joie. Je vous laisse découvrir l'interview.

J'ai constaté un phénomène étrange. Quand je manque d'empathie ou que je me sens au dessus d'un problème, j'y suis confrontée dans les heures où les jours qui suivent.

Le lendemain matin, 9h, ambiance orwellienne. Toutes les 15 minutes, mon appartement s'emplit de la litanie des gestes à ne surtout pas faire. Ne pas se toucher, ne pas s'embrasser, ne pas, ne pas, ne ... Confinée, bloquée, je débloque. Impossible de me calmer. Accepté il a dit. Mieux vivre son confinement, accepter. Accepter. Accepter que l'on lessive nos cerveaux, que l'on ajoute une dose de psychose à la peur qui est déjà palpable partout. Je fulmine. Je vois ma colère impuissante chercher une porte de sortie mais 15 minutes plus tard, la même rythmique, le même ton et comme un relent de camp soviet. De mon deuxième étage, ulcérée, je demande à la crêpière si elle ne trouve pas ça choquant. Regard noir, elle me tourne le dos.

Je passe ma journée sous ma couette à chercher un échappatoire à mon esprit qui ronge son os, qui se déchaine. Sûrement pas le meilleur endroit pour trouver une sortie, mais s'enfoncer dans la caverne pour regarder le monstre, les yeux dans les yeux, était la seule chose que je voulais faire. En bas, dans le tréfonds de mes tripes, j'ai vu de la rage et une colère immense, une mer d'amertume. Je crois vivre sans regrets, audacieuse, émerveillée mais c'est un mensonge. Je vis de compromissions, terrifiée à l'idée de déplaire. Mon impuissance face à ce haut-parleur qui vient chez moi, au cœur de mon refuge, scandé ce message qu'il faudra bien que je bouffe que je le veuille ou non, je n'en prendrai pas une bouchée de plus. D'autres modes de vie, avec un rapport à l'environnement et au commun, existent. Ils sont protéiformes et en invention perpétuelle. Pour sortir de cette impuissance que je ressens face à la violence du monde que nous alimentons, je me prépare un périple à travers la Bretagne et j'aimerais comme au bon vieux temps vous embarquer avec moi. Une enquête mais pas que dans la tête, une enquête pour construire mon utopie sans encore savoir si elle sera solitaire ou collective. Une enquête où il me faudra encore plus comprendre ma nature et la nature du monde pour faire des choix durables.

Ce matin, un samedi matin, j'attends le perroquet de l'angoisse avec ma camera et mon micro. Mon aventure partira de là, de ce point si dérisoire pour les autres mais qui a ouvert une brèche dans mon esprit.

Une gendarmette me voit à ma fenêtre perchée et me dit qu'on lui a rapporté que j'étais gênée par les haut-parleurs. Sujet sensible dont j'ai du mal à parler sans tension. Malgré ma nervosité, la jeune femme reste calme et me dit qu'elle peut comprendre mais que les autres habitants félicitent pourtant l'équipe municipale pour cette initiative salutaire. Je sens qu'elle cherche un compromis qui pourrait m'aider à mieux accepter cet état de fait mais c'est sans compter sur l'arrivée du maire. Le ton monte. Bonne nouvelle, je n'ai probablement pas le coronavirus, car je peux projeter la voix à plein poumons. Un passant soutient le maire et me hurle que je ne suis pas républicaine. Merci lui lance le maire. Puis face à ma véhémence, le maire ordonne à la gendarme de me sanctionner. J'attends la paperasse et surtout le motif puisque ma mère m'a bien élevée et jamais je n'ai proféré menaces ou insultes, le tout bien enregistré sur la prise de son que je faisais pour mon film à venir.

En refermant ma fenêtre, je me suis dit " c'est ainsi ". Pas de tourment. J'entendais bien les échos d'une histoire de haut-parleur, contée à qui voulait bien prêter l'oreille, par la marchande postée sous mes fenêtres, mais la honte n'y aurait rien changé. Il n'a pas fallu bien longtemps pourtant après cette accalmie pour que les tortures mentales reprenne. Après tout, j'avais été hystérique et même à mes yeux, ce n'est pas acceptable.

Tout l'objet de cet article de blog et de son interview était d'identifier des stratégies pour mieux vivre son confinement alors voici mes apprentissages de ces quelques jours :

  1. Nous sommes samedi soir, enfin je suis samedi soir car vous devez être, vous, dans un espace temps complètement différent. Vous êtes peut-être demain ou l'année prochaine. Vu de chez vous, de votre époque, de votre géographie, tout ça est comme un point du néant même si c'est impossible car il n'y a pas de point dans le néant. Première stratégie, enjamber l'espace qui nous sépare pour que moi aussi je puisse voir tout ça de loin là où la marée a déjà lissé le sable.
  2. Appeler une oreille attentive et non partisane. Elle est psychologue mais c'est sans sa casquette qu'elle m'a écoutée. Quand au bout des sanglots, elle a parlé, le calme ne m'a plus quittée. Elle m'a rappelé entre autre que nous sommes tous un peu bancals, que cette colère qui me fait si peur, elle n'est pas si vilaine. Chaque mot, sans apologie, me rappelait que je suis humaine tout simplement. Imparfaite mais pas moins aimable et il en va de même pour le maire ou la crêpière.
  3. Choisir un lieu d'observation et d'émerveillement. En l'occurrence, cet après midi, toute tiraillée d'émotions, je suis allée me planter dans un grand jardin potager voisin, où pendant deux heures, j'ai regardé un cerisier en fleurs. Entorse à l'enfermement, ma peau a bu le soleil d'été précoce. Les fleurs, les araignées tout terrain, les fourmis, l'herbe, le ciel bleu, les oiseaux, la vie grouille de plaisir.
  4. Écrire. Pour soi ou comme une bouteille à la mer, écrire pour sortir de soi. Mettre à distance pour voir le tableau plutôt que de rester coincée dans un bout d'histoire. Une histoire qui n'est qu'une autre occasion d'apprendre et d'évoluer même si ça écorne la vision que l'on voudrait avoir de soi.

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