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Une fenêtre un auteur… Angélique Villeneuve

Par Antigone

Pendant cette période spéciale de confinement et d’annulations de salons littéraires, j’ai eu l’idée d’interviewer quelques auteurs. De quoi nous changer les idées et leur donner une visibilité supplémentaire.

Angélique Villeneuve a bien voulu répondre à mes questions et m’a fait un très beau cadeau (scoop inside).

Une fenêtre un auteur… Angélique Villeneuve
 
Une fenêtre un auteur… Angélique Villeneuve
Une fenêtre un auteur… Angélique Villeneuve

Bonjour Angélique Villeneuve,

Vous êtes familière des salons du livre de Bretagne, comme celui de Quintin par exemple, salon dont la tenue a été annulée comme de nombreux autres événements du Printemps.

Vous avez bien voulu répondre à quelques questions pour le club des lecteurs yonnais.

Antigone : Vous avez écrit Un territoire, un roman publié en 2012, qui m’avait beaucoup marqué, où il est question de l’enfermement dans une des pièces d’une maison d’une femme par ses deux enfants. Une histoire terrible et pourtant très belle. Mais le public vous a surtout découverte grâce au roman Les fleurs d’hiver, publié chez Phébus en 2014, couronné de nombreux prix. Ce roman raconte l’histoire de Toussaint, de retour à la maison après des années de guerre et un long séjour à l’Hôpital du Val-de-Grâce. Jeanne et sa fille font une place à ce grand homme silencieux, qui porte jour et nuit un bandeau sur le visage, mais le chemin pour se retrouver vraiment est long et laborieux. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui vous a incité à choisir ce thème pour ce roman ? Et comment vous avez vécu l’accueil enthousiaste qui lui a été fait ?
Angélique Villeneuve : Je me souviens du moment précis où l’idée de ce livre est née. Ça n’est pas si souvent le cas. Sur les 8 romans que j’ai écrits, c’est arrivé pour celui-ci et pour le prochain. Les autres sujets sont montés lentement.
Je me trouvais alors à un salon du livre, près de Mâcon, c’était en octobre 2012. À côté de moi se trouvait l’auteure Virginie Ollagnier, et je me suis mise à parcourir la 4e de couverture de son premier roman, Toutes ces choses qu’on abandonne, que vous avez peut-être lu. Il raconte l’histoire d’une jeune novice pendant la guerre de 14, en charge d’un blessé revenu catatonique des combats. Et alors que depuis des semaines je cherchais en vain un sujet – Un territoire venait de sortir, il fallait me remettre à l’établi, comme dit Marie-Hélène Lafon-, j’ai su ce que j’allais faire : écrire sur la peau, sur la blessure et la force du désir. Aussitôt, j’ai visualisé une gueule cassée et, comme toujours, une femme d’origine modeste au centre de tout cela. J’en ai parlé avec Virginie, qui, adorable, m’a poussée dans cette voie.
Nous étions toutes logées (il y avait beaucoup de femmes, à ce salon) chez l’habitant. J’aime beaucoup ça, dormir chez l’habitant. Ceux qui reçoivent les auteurs sont toujours des gens charmants. La dame qui m’hébergeait habitait le village de Replonges. Et chez elle, à la nuit, -pendant laquelle, d’ailleurs, je n’ai pas beaucoup dormi- s’est échafaudé, sous la couette Snoopy de ses petits-enfants, tout le squelette du roman. Il y aurait donc une femme, une ouvrière, dont le mari rentrerait de guerre avec la figure dévastée. Il serait rétréci, empêché, et elle, elle ne se laisserait pas faire.
Au matin, l’embryon des Fleurs d’hiver était là. Jeanne et Toussaint n’avaient pas encore de nom, mais nous avions déjà passé une nuit ensemble… En souvenir de ces heures fécondes j’ai donné, dans le livre, le nom de Replonges au village de l’Ain dont Jeanne est originaire.
Lorsqu’un an plus tard j’ai rendu mon manuscrit à mon éditeur, chez Phébus, j’étais persuadée, va savoir pourquoi, -disons que je suis souvent dans le doute, et ce n’est pas une si mauvaise chose, quand on écrit, le doute – qu’il allait le refuser. Ça n’a pas été le cas, il a même été enthousiaste, et le livre a fait une jolie route par la suite. Il a obtenu quelques prix, dont certains de lecteurs et de libraires – mes préférés. Et ça me rend fière. Quelques années plus tard il est paru en poche, une très bonne nouvelle, car le poche prolonge la vie des textes en les rendant plus abordables (et puis j’aime beaucoup ma nouvelle couverture Libretto !).
C’était un sacré défi, de m’attaquer à ce sujet, quand j’y pense. Je ne suis pas historienne, et ce que vit Jeanne est très éloigné, bien sûr, de mon expérience personnelle. Pourtant, il me semble, si j’en crois les retours, que j’ai réussi à lui donner corps. Ça m’émeut beaucoup. Lorsque je lis un commentaire favorable sur l’un de mes livres, ou que je reçois un prix, c’est toujours à mes personnages que je pense en premier. Comme si, pendant une minute, j’étais à leur hauteur. C’est une façon de rendre honneur à ce qu’ils sont, comme êtres humains. Quand j’ai su, par exemple, que j’avais le grand prix SGDL de fiction pour mon roman Maria, je me suis retournée, aussitôt, dans l’élan. Je savais que Maria, la femme, se tenait derrière moi. Je l’ai prise dans mes bras.
En réalité, j’ai souvent l’impression de ne presque rien inventer des histoires que j’écris. Elles préexistent. Je dois juste gratter la terre pour les trouver. Et les personnages apparaissent, bien vivants et plus forts que moi. Je ne fais que travailler l’écriture de leur corps.

Une fenêtre un auteur… Angélique Villeneuve
           
Une fenêtre un auteur… Angélique Villeneuve

Antigone : Nuit de septembre raconte la perte brutale de votre fils en 2014. Pendant que vous l’écriviez, je me souviens que vous postiez des photographies colorées de légumes et autres plantes sur les réseaux sociaux. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous a apporté facebook par exemple, particulièrement à ce moment là, mais également ce qu’il vous apporte encore aujourd’hui ?
Angélique Villeneuve : Ah, des images de légumes et des fleurs ? Ça me fait sourire aujourd’hui, mais c’est sûrement vrai ! Et réconfortant, dans une certaine mesure. Je n’ai jamais utilisé Facebook pour raconter ma vie personnelle, et ce n’est pas avec la mort d’un fils que j’allais commencer. Si j’essaie de me souvenir, il me semble que juste après l’enterrement, j’ai simplement posté une petite fleur d’hortensia que j’avais prise sur le cercueil puis photographiée, posée sur la commode de ma chambre. J’ai dû écrire quelques mots, je ne me rappelle plus, quelque chose de banal qui pouvait passer inaperçu, du genre Avec lui. Plus tard, je m’en souviens, j’ai recopié une phrase des Fleurs d’hiver, écrite bien avant sa mort même si le livre venait de sortir. Je vais la chercher, tiens. C’est vers la fin. Ah, la voilà. Elle serre les dents et tous les muscles de sa figure, reprend sa marche lente. Elle a perdu sa vie d’avant, elle le sait. Il faudra pourtant trouver un moyen. Elle ferme les paupières. À ses épaules, d’autres épaules qui la portent.
Les fleurs et la cuisine, c’est tout ce que j’aime, avec les livres et les gens, alors c’est vrai que c’est présent sur ma page Facebook. À tous les moments de ma vie. La beauté. La joie. Le partage. Et les épaules, qu’on serre contre celles des autres pour s’aider à tenir debout.
Pour moi, Facebook est un outil formidable pour annoncer les rencontres autour des livres, pour se réjouir ensemble des bonnes nouvelles, des articles ou des billets de blog qui paraissent. Et aussi pour permettre aux lecteurs qui le souhaitent d’entrer facilement en contact avec moi. Après la publication de Nuit de septembre, qui, je crois, est un texte de deuil à la fois intime et littéraire, mais aussi pudique, j’ai ainsi été approchée par plusieurs femmes qui, elles aussi, étaient dans la douleur. Je me suis dit qu’elles trouvaient là un soulagement, même minuscule. Et c’était bien. Pour elles, peut-être, pour moi sûrement. Le lien, toujours le lien.

Antigone : Maria, sorti en 2018, cette fois-ci chez Grasset comme votre précédent livre, nous livre le regard d’une grand-mère sur le choix de sa fille d’élever ses enfants hors du déterminisme de genre. Pour ce faire, les parents cachent à tout le monde le sexe de leur second bébé. Ce choix crée un tsunami dans la vie de cette grand-mère. J’ai aimé que votre livre ne prenne pas parti et laisse le lecteur se faire sa propre idée sur le sujet. Comment les lecteurs ont-ils réagi dans l’ensemble à ce roman ?
Angélique Villeneuve : Je suis heureuse que vous ayez noté ça. Je ne prends pas parti. Les questions sont souvent plus intéressantes que les réponses, pas vrai ? Et ô combien je suis consciente de n’avoir aucune réponse. Écrire c’est chercher, ce n’est pas savoir.
Il était clair, cependant, lorsque je suis tombée sur un article racontant l’histoire de ce couple canadien qui avait pris la décision de tenir caché le sexe de leur enfant, que je ne pouvais avoir la mère pour personnage principal. Je ne serais pas parvenue à l’incarner moi-même. Et puis, comme toujours, je préfère écrire sur les femmes qui se trouvent dans la pénombre, à la périphérie des histoires. Celles qui n’ont pas de voix. Maria, modeste coiffeuse, était cette femme en laquelle il était possible de se couler.
Mais ce roman, finalement, tel que je le ressens moi, ne traite pas tant de cette affaire –très contemporaine – du genre. C’est une histoire de lien. Comment il se construit, et se tisse, et s’entretient. Comment on aime un enfant, un petit-enfant, ce qu’on est prêt, par amour, à supporter et donner.

Une fenêtre un auteur… Angélique Villeneuve
       
Une fenêtre un auteur… Angélique Villeneuve

Antigone : Vous écrivez également pour la jeunesse. Je vous ai découverte dans ce registre avec Le festin de Citronnette, chez Sarbacanne. Est-ce différent d’écrire de tels albums ? Est-ce que cela peut s’apparenter à une récréation d’écriture quand on écrit par ailleurs des romans si forts émotionnellement ?
Angélique Villeneuve : J’ai écrit un roman pour ado (un texte comique, de loin le plus drôle de tout ce que j’ai écrit, et qui éclaire une facette que peu de mes lecteurs connaissent : j’adore dire des bêtises. J’allais écrire des conneries. (Oui, c’est ça, allez, j’adore dire des conneries), je suis quelqu’un de joyeux, et c’est dans A la recherche du paon perdu (Éditions Les Grandes personnes) que ça se voit le plus !). Mon 8e album, Piccolo, devait sortir début mai chez Sarbacane, illustré par Amélie Videlo. C’est la deuxième fois que nous travaillons ensemble. Avec la crise sanitaire du corona, je ne sais pas si la date va être maintenue, vraisemblablement pas, on verra bien.
Écrire pour la jeunesse, c’est un grand plaisir. Et quelque chose d’important, de sérieux. Car c’est petit qu’on apprend à lire ; je veux dire devenir lecteur, apprécier la langue. On se découvre rarement grand lecteur de littérature tout à coup, à 40 ans. Ça s’apprend, et le plus tôt est le mieux. Les enfants méritent le meilleur, ils sont sensibles à la musique de la langue, à la poésie, j’en suis témoin chaque fois que je les rencontre, et les parents le savent très bien. Je le savais moi aussi quand mes propres enfants -j’en ai trois- étaient petits. Ils comprennent ce qu’on écrit entre les lignes. On peut parler de tout avec eux.
Par exemple, j’ai imaginé l’album Le doudou des bois deux mois après la mort de mon fils. C’est la seule chose que j’aie réussi à écrire à ce moment-là, et ça n’était pas si mal, après tout. Surtout, ce qui a été formidable, c’est que les enfants l’ont vraiment aimé, à trois ou quatre ans, alors qu’au fond c’est une histoire de deuil. Georgette perd son doudou dans la forêt et décide, toute seule, de trouver quelque chose pour le remplacer, au lieu de se lamenter ou de compter sur les adultes pour régler son problème. Je voulais dire aux enfants qu’on peut survivre à la perte, surtout en étant l’acteur de sa vie. Et puis j’aime parler de la beauté de la forêt et des vers de terre. Et les gouaches d’Amélie Videlo ! Magnifiques.
Écrire pour les enfants, c’est une entreprise littéraire et un excellent exercice de construction narrative. Et puis ! Quand je vais dans les classes, ensuite ! L’accueil des enfants ! Leurs yeux ! Ce qu’ils donnent ! Je ne m’en remets pas. (Et qui va encore me dire T’es trop belle, Angélique Villeneuve si ce n’est un enfant de moyenne section ?)

Antigone : Le salon du livre de Caractère de Quintin devait se dérouler du 14 au 15 mars 2020. Que représente ce festival pour vous ? Pouvez-vous nous raconter ce que vous apportent ces rencontres avec d’autres auteurs , et les lecteurs ?
Angélique Villeneuve : L’annonce de l’annulation du salon de Quintin m’a remplie de tristesse. Elle est venue avant et après d’autres, bien sûr. Mais si j’étais déçue, c’est que je sais –non, je ne sais pas, je n’ai jamais été à leur place, disons que j’entrevois une toute petite partie de ce que ça représente, et que cette petite partie m’impressionne beaucoup – la masse de travail et l’investissement, en temps, en émotions, du montage d’un salon. Si j’aime particulièrement celui-ci, c’est sans doute qu’il a été créé par une personne que j’aime, comme femme et comme auteure : Fabienne Juhel, qui vit à Quintin. C’est quelqu’un d’incroyablement généreux, talentueux, et fidèle. Une femme de caractère. C’est drôle, car c’est au salon dont je parlais plus haut, celui où j’ai eu l’idée des Fleurs d’hiver, que nous nous sommes rencontrées. C’était donc il y a 8 ans, mon dieu. Depuis on ne s’est pas lâchées. La boucle est bouclée, car c’est à Quintin que le livre sur Jeanne et Toussaint a été récompensé par un prix de lecteurs, celui du Livre de caractère (justement !). Et puis au salon de Quintin 2020, étaient invités beaucoup d’auteurs que j’apprécie. Et le libraire est formidable. Voici de nombreuses raisons pour lesquelles j’espère que la manifestation sera reportée. De manière générale, je trouve les lecteurs bretons ouverts, curieux. Géniaux !
Certains auteurs n’aiment pas trop faire les salons. C’est vrai que c’est fatigant, ça mord sur le temps d’écriture ou celui qu’on voudrait consacrer aux gens qu’on aime. Mais j’adore ça quand même. Rencontrer d’autres écrivains, des libraires, des lecteurs, des bénévoles. Chaque fois, je suis stupéfiée par la rapidité et l’évidence des liens qui s’y tissent. On a passé deux jours ensemble, on s’aime sinon pour la vie, du moins pour longtemps. On se revoit, on s’écrit. On se lit. Ah, les livres ! Ils sont forts. Et puis j’aime tant apercevoir mes lecteurs. Les revoir, surtout.
Les bloggeuses sont des lectrices particulières. Il m’arrive d’en croiser. Elles me fascinent, je l’avoue. Jamais je n’arriverais à faire ce qu’elles font ! Pour commencer, malheureusement, je ne lis pas autant qu’elles, et je ne sais pas argumenter. J’aime lire leurs billets, qu’ils concernent d’autres livres ou les miens, y compris si elles n’ont pas aimé l’un d’entre eux. J’ai de la chance, ça ne m’est pas arrivé trop souvent (un peu, seulement, et cela a donné lieu à des échanges enrichissants, et surtout sans tension ! Je comprends bien qu’on n’aime pas mon travail, et les bloggeuses ne sont pas des pestes).
Je vais donner un petit scoop, le titre de mon prochain roman, qui sort fin août aux Éditions le Passage. Ça s’appelle La belle lumière. J’y ai passé deux ans et demi, dont une année entière pour les recherches, et ce sera mon « roman américain ». J’espère tellement, mais tellement, que vous l’aimerez ! On s’en reparle bientôt.

Antigone : Un grand merci à vous Angélique Villeneuve.


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