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Rions un peu en attendant la fin du monde (10)

Publié le 05 avril 2020 par Powwow
Par exemple, le dimanche sur France 5, tu vois un documentaire sur des squelettes de dinosaures.  Le dimanche c'est journée squelette sur France 5.  Ou météore.  On voit un type, un russe souvent, qui se promenait dans la toundra par hasard à un moment donné, peut-être la balade du dimanche dans la toundra après le repas on sait pas, il se balade et son pied bute contre un objet, il ne sait pas ce dont il s'agit, mais il le déterre parce qu'il trouve que déterré ça fait moins enterré d'une part, et par esprit de curiosité sans doute il l'exhume du sol, donc.  Il s'aperçoit que c'est en fait un os de dix centimètres de long.  Persuadé d'avoir découvert quelque chose d'extraordinaire, il enfourche son vélo, parce qu'il se baladait en vélo, et revient à toute berzingue au village où l'attend une équipe de spécialistes des os qu'on retrouve en se promenant dans la toundra à vélo.  Le gars leur fait part de sa découverte tout excité, leur propose de leur montrer l'endroit exact contre une bouteille de vodka, et tous s'équipent et montent dans une petite colonne de véhicules à chenilles dont le moteur chauffait en attendant, en fait on se demande si c'est pas un peu préparé comme documentaire. Après un petit périple de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres, loin de tout, ils arrivent sur le lieu de la trouvaille, mais il est tard alors ils montent un campement de base et prennent un repas en buvant de la vodka et en chantant des chansons russes très tristes avec un accordéon et après ils vont se coucher complètement torchés, c'est des russes c'est pour ça. Le lendemain matin, le soleil se lève sur la toundra, on distingue enfin le paysage, il n'y a rien sur des centaines de kilomètres à la ronde, c'est la toundra quoi, y a des mousses et du lichen, bon c'est déjà bien, faut bien la remplir la toundra et le lichen c'est pas cher comme revêtement de toundra, c'est moins cher que le lino.  Je sais j'ai vu le prix du lino chez But. Là le gars montre aux scientifiques en anorak le lieu où il a trouvé le fossile, mais en moins de trente secondes on s'aperçoit qu'il y a là un squelette de faisan qui s'est fait bouffer la veille ou l'avant-veille par un renard de la toundra, et que le fossile est en fait un pilon de faisan de la toundra, d'où quiproquo.  Les scientifiques à chapka pittoresque en poil de martre mordorée d'Ekaterinbourg sont dépités et énervés.  Comme tout le monde a petit-déjeuné à la vodka et qu'ils sont déjà tous pompettes, ils commencent à se foutre sur le trognon, ça dégénère.  Bon ça se bourre à coups de poings, ça envoie du pâté, mais au moins ça réchauffe. Jusqu'à ce qu'un des protagonistes tombe au sol et se cogne la tête sur quelque chose de dur.  Il a une grosse bobiche et on lui soigne à la vodka.  C'est alors qu'on remarque que ce sur quoi s'est bobiné le gars et qui émerge du sol est bien étrange.  On entreprend d'y regarder de plus près, on le déterre. C'est un fémur de dix-huit mètres de long. Soit c'est un très gros faisan de la toundra, soit c'est autre chose, se disent les scientifiques à bottes en fourrure de loup bigarré de Sverdlovsk.  En prospectant un peu à l'entour, ils découvrent d'autres vestiges qui émergent, découvrent les restes d'un crâne de quatre mètres d'envergure, quatre mètres, à peu près de là à là, bon j'exagère, de là à là.  Après un rapide passage en revue de leurs connaissances, on en déduit qu'il ne peut s'agir d'un faisan de la toundra, tout bien considéré, même dopé à mort aux stéroïdes.  Après j'ai pas suivi, je me suis endormi.  Y a des docs bizarres sur France 5. Ce récit palpitant n'est donc pas un ouvrage sur la préhistoire disais-je, et on peut le déplorer, à certains égards.  Et pas à d'autres, ça dépend des égards qu'on préfère, j'oblige personne à rien, c'est ça qu'est bien avec ce récit, c'est qu'on n'est même pas forcé de le lire, on peut s'en passer d'ailleurs, le monde ne s'arrêtera pas de tourner pour autant rassurez-vous, on peut juste s'en servir pour caler un meuble si on veut, on peut arracher les pages, après les avoir imprimées, et se les fourrer dans le nez si on saigne du nez, les mettre dans le fond de la cage du lapin car, grâce à leur haut pouvoir absorbant et à leur composition spécifique qui neutralise les odeurs, elle sont un allié indispensable à l'hygiène du lapin.  Le livre ne doit pas seulement être un bel objet, s'il est utile par ailleurs, c'est un plus.  Mon éditeur, car j'ai trouvé un éditeur compatissant, m'a dit, sans détour: -Il faut que tu te demandes à quoi va servir ton livre, concrètement, pour le lecteur. C'est un projet global et prenant tu sais, tu dois avoir une vision claire de ton travail avec un objectif tangible, un propos clair et une construction linéaire parfaite. -Ah zut, j'avais pas pensé à ça. Tu es sûr? Je veux bien te croire après tout, tu n'as pas l'air d'être plus incompétent qu'un autre. Alors concrètement? Un objectif global et prenant? Une vision linéaire parfaite tu dis? Allons bon. Eh bien écoute...mmmm... mon livre, alors je parle concrètement concrètement hein...concrètement donc, mon livre...concrètement parlant...on peut envisager, au pire...qu'il puisse servir...mmmm...à l'hygiène du lapin, imprimé sur du papier buvard, pour rendre service aux gens, c'est plus hygiénique que le foin comme litière. -Attends attends attends...figure-toi que là tout de suite, je me demande si l'on n'est pas en train de se fourvoyer complètement et si tu es de taille pour ce projet... -Si je suis de taille? Elle est bonne celle-là! Il me demande si je suis de taille! Un grand gaillard comme moi! Tiens regarde, et debout comme ça, tu en penses quoi? Je suis pas de taille là? Je suis même plus haut que toi, oui mais toi tu triches, tu es assis! » À suivre...

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