Il était encore enfant quand sa mère l’a embarqué pour Paris, quittant son père, qu’elle décrit comme un bon à rien. Père qui n’accordera pas à son fils le regard qu’il viendra chercher quelques années plus tard au Cameroun. C’est donc au souvenir d’un oncle qu’il va s’attacher, un oncle parti en Louisiane et « mort dans des circonstances mystérieuses ». Il part un peu au hasard et nous entraîne dans son errance. La Louisiane, à travers les récits qu’on lui faits, on en découvre l’histoire violente, sanglante, qui « ne connaît pas le pardon ». Même les arbres en pleurent. C’est Nathan qui s’exprime, à la première personne, passant d’un langage à un autre selon les rencontres. Parfois truculent, parfois amer et douloureux. Mais ce qui se dévoile dans ce roman, c’est cette difficulté d’être soi-même quand on est, comme Nathan, Noir, perdu dans les images qu’on se fait de ses origines : l’Afrique. C’est ainsi qu’il est accueilli en Amérique : un Africain. Il est Français ; à Paris, il a laissé sa « partenaire », Jeanne. Mais, dans ce pays qui a souffert de l’esclavage, les mains saignant pour le coton, et les catastrophes naturelles, comme Katrina, il est confronté à plus que lui-même. « Je verrais devant moi la mort jerker avec la mort (…) je comprendrais que l’Amérique n’est pas un pays neuf, mais un vieux monde qui n’a jamais été lavé ». Et dans ce pays, Nathan va voir arriver non pas l’histoire de son oncle mais la sienne propre, Cameroun, Afrique, France, Amérique, Haïti, Louisiane. « Depuis plus de deux siècles Haïti et la Louisiane chaloupaient ensemble ». Je pense au texte d’Aimé Césaire : « Et je me dis Bordeaux et Nantes et Liverpool et New York et San Francisco / pas un bout de ce monde qui ne porte mon empreinte digitale / et mon calcanéum sur le dos des gratte-ciel et ma crasse / dans le scintillement des gemmes ! / Qui peut se vanter d’avoir mieux que moi ? » Voilà ce qu’il va vivre, Nathan, au bord de la mort, dans la touffeur humide de la Louisiane. L’écriture de Fabienne Kanor s’accélère au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans le pays, quand il entend naître le jazz et qu’il comprend dans la nuit du bayou qu’il y a là une place pour lui.