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Cheryl Itanda : Ilots de tendresse

Par Gangoueus @lareus

Cheryl Itanda : Ilots de tendresse
Je continue mes lectures en printemps confiné des poètes. Je continue de lire de la poésie. On devrait se poser au bord d’un lac ou de la Seine et profiter du bon temps pour lire à haute voix de la poésie et savourer le propos d’une plume exquise…
Celle de Chéryl Itanda est précise, précieuse. Je souligne cela, en jouant comme le poète  avec les mots même si je dois l’avouer, l’homme de lettres gabonais fait preuve d’une certaine dextérité en les utilisant. La poésie est un art. L’art n’est pas donné à tous. On peut le percevoir. Cheryl Itanda est un artiste. Dans Sos Motem, il nous transportait déjà, par un texte aux accents très poétiques, au coeur de la révolte et du désir d’alternance démocratique de nombreux gabonais. Un texte très exigeant par sa forme mettant déjà en scène le personnage d’Oyembo. Dans Ilots de tendresse, Cheryl Itanda change complètement de registre en proposant aux lecteurs une exploration d’un érotisme métaphorique.
Il pose un cadre incertain. La métaphore. Un cadre incertain pour la lecture et l’interprétation. Une approche de style avec laquelle Cheryl Itanda joue pour mettre en scène un érotisme dont il amortit dès le départ la portée par la séquence suivante : « Me vient alors cette interrogation : que serait le poète, seul sur sa rive, scrutant le fleuve de son monde transportant les horreurs de son temps, sans cette poésie lui permettant de regarder le monde d’un autre œil, dans tout ce qu’il pourrait être de plus absolu : tendresse et beauté ? Elle apparait alors utile pour ce dernier : une compagne, une épouse fidèle et métamorphe qui l’accompagne sur le fil d’une vie ». Ngondé, la belle à laquelle s’adresse Oyembo est-elle faite de chair et de courbures fermes ou serait-ce une représentation de la poésie ? 
« Ngondè, la belle des clairs de lune se confond
Dans le miroir d’un ruisseau :
Ô vous Oyembo
Qui maniez si bien les mots,
Je n'ai plus pour habitude de me reluire dans une poésie en orbite sur mes astres. Suis-je à vos yeux un être réel que vous souhaitez toucher, caresser et aimer ? »
Extrait de: Cheryl Itanda. « Îlots de tendresse. » Nouvelles Editions Numériques Africaines, 2020, p.41 
La poésie peut donc sous cet angle être pensée comme lieu de retraite, un espace de recul pour amortir l’impact du monde, de l’histoire, de la violence sur le poète. Un lieu d’exaltation, de redimensionnement, de restructuration. Comme Sos Motem l’a été pour Cheryl Itanda. Comment définir cette relation ?
« Ô Ngondè, ramenez-moi au céleste
Souvenir de votre jeunesse
Et, mes paupières accablées
Ne connaîtront plus la tristesse »
Extrait de: Cheryl Itanda. « Îlots de tendresse. » Nouvelles Editions Numériques Africaines, 2020.

Pourtant, il est question de corps aussi et surtout. Il est question d’une âme insaisissable, changeante car lunatique. Plus complexe à cerner ? Plus désirable ? Ngondé, c’est la lune avec  ses humeurs, ses sautes d’humeur. Oyembo est conquérant dans son désir d’aller vers Ngondé. S’il est question d’érotisme, j’ai envie de dire que la sensualité est beaucoup moins présente que dans un texte de Leïlaji Marmelade. Ilots de tendresse est un texte très technique. En cela, Chéryl Itanda n’hésite pas à indiquer ses sources d’inspiration sur ce thème en évoquant les poètes Guillaume Apollinaire et René Depestre. Avec une préférence pour le poète haïtien. Je ne connais pas l'érotisme solaire de Depestre tel qu’il le traite dans sa poésie. Mais j’en ai une idée au travers de deux de ses romans Hadriana de tous mes rêves ou Alléluia pour une femme jardin.  Je pense à d'autres références haïtiennes, comme Jean-Claude Fignolé et son roman à spirales Les possédés de la pleine lune avec une figure énigmatique de la femme.
Je pense que Chéryl Itanda explique assez bien sa quête dans l’avant propos de son ouvrage. Asséché par les événements, c’est dans cet autre qu’il peut se reconstruire et proposer son discours. Explorer cet érotisme est  donc une démarche très intéressante pour le poète.
« Il en est de même du poète brûlé par son monde. Quelle beauté pourrait-il offrir à la face du monde s’il s’en est dépossédé ? » […] « En un mot, peut-on lui interdire de sonder l’horizon de ces merveilles qui suscitent le désir sexuel et jumellent les corps ? »
Extrait de: Cheryl Itanda. « Îlots de tendresse. » Nouvelles Editions Numériques Africaines, 2020, p.15
Quand à l’érotisme à proprement dit de Chéryl Itanda, je vous laisse le découvrir. Annoncé comme métaphorique, il emprunte à la fois sa culture myéné, à Pierre Claver Akendengué, au Gabon, aux poètes que j’ai cités plus haut. Bonne lecture !  
Cheryl Itanda : Ilots de tendresseNouvelles Editions Numériques Africaines, 2020
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