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Battling le ténébreux d'Alexandre Vialatte

Par Sylvie

gaAlexandre Vialatte (1901-1971)

Battling le ténébreux d'Alexandre Vialatte

Editions Gallimard, "L'imaginaire", 1928
Se disant lui-même "notoirement méconnu", Alexandre Vialatte fut à la fois romancier, traducteur et journaliste. C'est ainsi grâce à lui que Kafka fut traduit et découvert en France. Il traduisit également Nietzsche et Thomas Mann. Ce fin germaniste n'écrivit que 3 romans et fut chroniqueur de La montagne, le journal de l'Auvergne, sa région d'origine.
Son premier roman Battling le ténébreuxfut notamment remarqué par Malraux qui éprouva à sa lecture "le même ordre de plaisir qu'à celle de Nerval". Il est vrai que l'on retrouve "les ingrédients" nervaliens dans cette chronique dramatique de l'adolescence : une ambiance entre rêve et réalité, une femme inaccessible et des amours déçues...

L'intrigue se déroule au pays des amitiés et amours adolescentes. Le narrateur nous conte ses souvenirs dans un lycée d'Auvergne des années 30. Il y a Manuel, le romantique insolent qui n'hésite pas à démontrer la bêtise et l'outrecuidance des enseignants et Battling le ténébreux, un adolescent hypersensible à l'enfance malheureuse qui navigue entre rêves, dégoût de soi et recherche de la souffrance. Le quotidien du lycée et de ces deux amis va être bouleversé par l'arrivée dans la petite ville auvergnate d'une sculptrice allemande, Erna Schnorr, qui suscite dans le village de multiples ragots. Une artiste ne peut être qu'une croqueuse d'hommes dans un village de commerçants et fonctionnaires provinciaux...Mais justement, étant malade, elle est venue rechercher l'anonymat, la normalité, le réel...
Mais elle introduit un vent de fantaisie et de miracle lorsqu'elle apparaît dans le jardin en face de la cour de récréation...
Battling en tombe éperdument amoureux sans pour autant se déclarer. Il se complaît  dans une souffrance de désirs refoulés. Un jour, il apprend que Manuel a des rendez-vous secrets avec Erna. Une vengeance tragique est en marche...
Une intrigue somme toute classique : jalousie des amours adolescentes, amitié trahie...
Mais Vialatte nous raconte cela d'une manière magnifique et l'histoire prend la dimension d'un conte romantique tragique. L'auteur saisit les émotions, les hésitations des jeunes garçons à fleur de peau. La narration, basée sur les souvenirs d'enfance, ne fait que renforcer l'impression de nostalgie et de douleur.
Bien plus, c'est le description de l'environnement, des paysages, de l'atmosphère qui donne sa dimension poétique au texte. Souvent, Vialatte frise avec le fantastique, d'où la comparaison avec Gérard de Nerval. Tout n'est qu'apparition et rêve. L'auteur nous décrit souvent un campagne nocturne où s'éveillent des pantins désarticulés qui ressemblent aux professeurs du lycée. Finalement, Battling est lui-même une créature fantomatique ; son âme est contradictoire et obscure, sans-doute faite pour un autre monde...
Ce personnage ambivalent, cherchant sa propre souffrance et celle des autres, est profondément touchant. Une ode à l'enfance sacrifiée.

Je vous laisse découvrir quelques extraits :

" Dans un coin du préau, tout pâle, Battling, seul avec son coeur aux abois, ses complications et son épouvante que les paroles de ces chansons n'expliquaient pas, ressemblait à quelque gigantesque fleur lunaire éclose là pour donner un sens aigu à cette soirée terrestre ; sur l'air des accordéons de village, il s'évadait de plus en plus loin de ce monde de chanteuses perfides, de camarades envahissants et de poètes impassibles. n'y avait-il pas, quelque part, sur une route surnaturelle, près d'un tournant dans les sapins, au bord des prairies, un bal rustique où l'on entendait monter ces valses comme un souvenir de la terre, sur une montagne en dehors du temps ? Mais où trouver la clef du domaine? "
"Ce ne fut que vers onze heures que le délire de Battling commença vraiment. il le cueillit au seuil de la rue des Merveilles, l'étrange rue du livre d'images qu'avait donné l'homme au melon gris...Battling descendit sur l'aile du vent la rue pleine de marchants turcs et de lanternes vénitiennes ; vous savez bien, cette rue bizarre où Erna Schnorr vend des morues sèches et des billes d'agate chez un petit épicier méfiant, la rue grasse, pesante et noire, où l'on glisse, de boîte en boîte, en passant par l'Alhambra, de Victor Hugo, qui jongle avec des poids de fonte, et le Petit Panthéon de Céline -qui nettoie les vieux fusils - vers l'Agence Cook des départs définitifs : le principal, derrière un guichet, vous y délivre un ticket jaune pour un voyage plus étrange que tous ceux du marin Sindbad, et les professeurs du collège, alignés au garde à vous sur la jetée, sonnent du clairon sous la lune quand le Mexico met à la voile dans la nuit pleine de feux follets".


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