Partager la publication "[Critique] BIRDY"
Titre original : Birdy
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Alan Parker
Distribution: Nicolas Cage, Matthew Modine, John Harkins, Bruno Kirby, Karen Young, Sandy Baron, George Buck…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 22 Mai 1985
Le Pitch :
Tous deux blessés au Vietnam, Al rend visite à son ami « Birdy » à l’hôpital psychiatrique militaire, ou il végète dans un état de torpeur permanent depuis son rapatriement. Al entreprend d’évoquer leurs souvenirs de jeunesse, et notamment sa passion pour les oiseaux et son obsession de pouvoir voler, pour tenter de provoquer une quelconque réaction chez son ami…
La Critique de Birdy :
Dire qu’il fut un temps pas si lointain (les années 80) ou la critique et même le public attendaient le « prochain Alan Parker », ce réalisateur anglais à la filmographie dont l’éclectisme n’a d’égal que la maîtrise et la passion qu’il mettait au service de chacun de ses projets. Jugez-en par vous-même: Bugsy Malone, Midnight Express, Fame, Pink Floyd: The Wall, Birdy, Angel Heart, Mississippi Burning, Bienvenue au Paradis, Les Commitments, Evita, Les Cendres d’Angela, pour finir avec La vie de David Gale en en 2003. Alan Parker fut un grand, à la façon de Milos Forman, Oliver Stone ou encore John Boorman. Mais la volonté de proposer des drames grand-public (mais adultes) sur des sujets politiques ou de société qui faisaient autrefois toute la valeur de son œuvre, s’est retournée contre lui à l’aube des années 2000, les exécutifs des studios étant désormais plus intéressés par les franchises que les films « à sujet ». Alan Parker prend donc une retraite précoce en 2003.
L’éclosion
Alan Parker reçoit une première épreuve de Birdy, écrit par un certain William Wharton en 1978. Il se montre intéressé par le sujet mais le style très littéraire, poétique, sans réelle narration, le pousse à passer la main. Le projet semble tué dans l’œuf jusqu’à ce que l’éphémère studio A&M (filiale de la célèbre compagnie de disques) ne commande un scénario à deux jeunes acteurs/scénaristes/techniciens, Sandy Kroopf et Jack Behr, dont ce sera le seul crédit notable dans une carrière condamnée à l’anonymat des plateaux de cinéma. Ils opèrent deux changements importants : d’abord en transposant l’histoire dans l’après Vietnam et non plus la seconde guerre mondiale. Ensuite, en refondant la structure linéaire du roman en une série de flashback illustrant les différentes tentatives de Al pour que Birdy se remémore leurs souvenirs communs.
Le roman étant raconté à la première personne par Al, le film ne trahit donc pas le point de vue original. Les flashbacks ajoutent aussi une dimension nostalgique aux événements, avant que le Vietnam n’anéantisse toute notion d’innocence et d’insouciance.
Drôles d’oiseaux
Âgé d’à peine 25 quand il auditionne pour le rôle de Al, Matthew Modine est le premier surpris lorsque Alan Parker le rappelle pour lui proposer le rôle de Birdy (dont le nom n’est jamais dévoilé dans le film, nous y reviendrons). Alors que Modine se voyait jouer le plus « grande gueule » des deux personnages, Parker voit en lui une réserve et une capacité à intérioriser les choses qui le convainquent de miser sur lui pour le rôle-titre. Et ce qui permet aussi au réalisateur d’engager Nicolas Cage, dont il ignore encore qu’il est le neveu de Don Coppola, qu’il imagine tout de suite en Al, le coureur de jupons musculeux et bagarreur. Pas encore devenu une auto-caricature, le Nicolas Cage des débuts n’en est pas moins un acteur qui se donne à fond. Pour avoir l’air cabossé d’un blessé de guerre, il perd tout d’abord quelques 8 kilos (la routine chez les acteurs « method ») mais surtout, il se fait retirer deux incisives.
Lors de l’introduction de son personnage tout juste rapatrié du Vietnam suite à de sérieuses blessures, le retrait des bandages, à contre-jour, évoque la révélation du monstre de Frankenstein; la scène suivante dans le train enfonce le clou, avec cette petite fille plus curieuse qu’effrayée par le faciès déformé du « monstre » comme dans le film de James Whale.
Birdy est rêveur et asocial, ascendant autiste. Al se prend d’amitié pour ce garçon dont la passion et le savoir encyclopédique des oiseaux représentent in fine ni plus ni moins qu’un moyen d’échapper à la triste réalité de son quotidien. Le quartier populaire et délabré de Philadelphie dans lequel les ils grandissent est un trou noir duquel ils doivent s’extirper. L’enrôlement dans l’armée pour servir le pays est une façon pour Al de grandir et s’émanciper. Pour Birdy, son obsession pour les oiseaux et leur capacité à voler, bien que pathologique, est sa seule porte de sortie.
Un chapitre du roman racontait le fantasme d’un rapport charnel entre Birdy et Perta, son oiseau préféré. Devant la difficulté/impossibilité de porter cette scène à l’écran, Parker se contente de montrer Birdy se réveillant un matin d’un « rêve humide » plus suggestif, mais signifiant clairement l’état d’aliénation du personnage.
« Ouvrez ouvrez la cage aux oiseaux »
Avec un tel sujet, Alan Parker ne pouvait manquer de jouer avec la notion d’emprisonnement et de cage (NDR: non, pas Nicolas). Le plan d’ouverture montre un ciel bleu délavé; s’ensuit un fondu sur un grillage. La caméra recule et révèle Birdy, immobile, assis dans le coin d’une chambre d’asile psychiatrique, fixant l’extérieur à travers la grille apposée à sa seule fenêtre.
Durant les flashbacks, Birdy s’enferme dans sa volière avec ses oiseaux, pour y trouver refuge et communier avec eux. Cet enfermement volontaire et la volonté de fuir sa propre condition humaine renforcent le caractère inadapté de Birdy et sa perception du monde.
Le ciel et la terre sont en opposition; la notion d’élévation représentant évidemment la libération, même si celle-ci peut être synonyme de mort, tel le mythe d’Icare qui se brûla les ailes en volant trop près du soleil.
À l’arrivée de Al au centre de ré-éducation, il observe un soldat amputé des jambes monter à la corde et le plan en contre-plongée montre Al levant la tête pour contempler cet exploit dont l’unique raison d’être est le handicap causé par la guerre.
Symbolique également, le flashback durant lequel Birdy tente de voler avec un système mécanique digne de Léonard de Vinci. Les essais et le (court) baptême de l’air ont lieu dans une décharge. Voir cet homme-oiseau tenter de voler au-dessus des amas d’ordures résume parfaitement toute la condition du personnage.
S’envoyer en l’air…
Trois séquences de vol parsèment le film, reflétant l’évolution de l’état d’esprit de Birdy. Pour visualiser ces séquences du point de vue subjectif souhaité par Alan Parker, il faut inventer un nouvel outil de prise de vue. Garret Brown, déjà inventeur du steadycam dix ans plus tôt propose sa skycam, un système de caméra suspendue entre quatre grues, que les cables peuvent déplacer dans tous les axes avec une totale liberté de mouvement.
Hélas, l’installation de cet équipement est fastidieuse, ses performances encore aléatoires, et seul un plan survivra au montage: celui ou la caméra « vole » au ras-du-sol avant de s’élever au-dessus du terrain vague ou des jeunes jouent au base-ball. Tout le début de la séquence, ou l’on vole au milieu des arrières-cours sera tourné avec une simple steady-cam.
La skycam est encore utilisée aujourd’hui même si les drones l’auront bientôt rendue complètement obsolète au cinéma. En revanche, on la retrouve dans les stades, notamment pour les concerts, ou elle permet de capturer des images impressionnantes de survol au-dessous de la foule.
…avec un archange
L’onirisme du film, en particulier durant les séquences de vol, est renforcé par la musique de Peter Gabriel qui signait là sa première bande originale. Alan Parker était convaincu que ce précurseur de la world music et de la musique synthétique serait l’homme de la situation. Malheureusement coincé par des délais trop courts et la production de son nouvel album, Parker et Gabriel se contentent de recycler des morceaux existants en version instrumentale. Les textures sonores apportent une couleur originale au film, suggérant l’introspection et l’aliénation de Birdy au travers de rythmiques et de samples torturés, en lieu et place des envolées mélodiques et orchestrales attendues dans un drame.
Deux pour le prix d’un
En raison des choix d’adaptation d’un scénario qui se devait de transformer une matière première très littéraire et poétique en un scénario plus cinématographique, Alan Parker veut s’assurer que l’auteur du roman original, William Wharton, ne se sente pas trahi. Lors d’une projection privée en avant-première, ce dernier se tourne vers le réalisateur et ses scénaristes et les rassure: « j’ai beaucoup aimé mais pourquoi avoir fait de Birdy et Al deux personnages différents? ». Car le roman, écrit du point de vue de Al, s’avère être le récit thérapeutique durant lequel il se projette dans cet alter-ego imaginaire qu’est Birdy, pour se libérer des démons de son enfance et de la guerre. Une interprétation que Wharton explique par le fait que son vrai nom soit en fait Albert Duaime. Lorsqu’il était jeune, alors que la majorité des gens l’appelaient par son diminutif « Al », d’autres l’appelait « Bertie ». Soit, en phonétique et avec l’accent américain: « Birdy ».
Mais tant pis si Parker rate ce point à priori fondamental car l’alchimie et la complicité de Nicolas Cage et Matthew Modine à l’écran parvient au même résultat, leur complémentarité ne faisant aucun doute, comme les deux faces d’une même pièce. Preuve qu’une adaptation peut se démarquer du roman sans en trahir l’essence et le message.
En Bref…
Birdy est un grand film bizarrement tombé dans l’oubli, la faute tout simplement à son statut de production indépendante initialement distribuée par Columbia Tristan mais qui en a depuis perdu les droits, la privant de toute exposition ou ressortie (en vidéo ou en salles, voire sur une plate-forme de streaming). C’est d’autant plus dommage qu’il s’agit d’un film abouti, tant du point de vue du scénario, des acteurs, de la photo ou de la musique. Alan Parker filme ses personnages sans chercher à verser dans le pathos ou les effets de manche des films taillés pour les Oscars. Et sous ses allures de film austère, Birdy s’avère être un film évident et prenant dès les premières minutes. Ce qu’on appelle un classique.
@ Jérôme Muslewski