1994.
J'avais 22 ans. Pour l'anniversaire de ma conjointe (la même aujourd'hui), j'avais pensé lui acheter un billet (2), pour assister au spectacle du Cirque du Soleil d'alors. C'était Saltimbanco. Nous étions tous deux étudiants. Elle était à Montréal depuis peu. 1992-1993, elle était surtout à Québec et moi, à Montréal. Mais depuis peu, elle habitait Montréal. Avec une amie. Dont le conjoint était mon co-locataire d'alors. Et nous habitions l'appartement voisin. C'est l'arrangement qu'on s'était trouvé, 4 bêtes d'apprivoisant doucement. Et qui échangions de logements plus que régulièrement.
Je travaillais alors dans un magasin de musique du 450. En finissant un quart de travail, je traverse la rue et me rend à la salle de théâtre tout près, qui est aussi une billetterie pour des spectacles ailleurs. Dont Saltimbanco du Cirque du Soleil. Je m'étais rendu jusqu'au comptoir avant d'être terrorisé par le prix. Paralysé même. Puis vaincu.
Étudiants sans le sou que nous étions, je n'avais pas du tout les moyens de me payer ne serais-ce qu'un seul billet. Nous ne nous qualifions pas, alors, pour des cartes de crédit. C'était deux billets ou le loyer. Ou congé d'épicerie. Je me souviens en avoir été lourdement peiné. De ne pouvoir gâter ma chouette comme je l'avais voulu.
Je me souviens aussi d'avoir pensé que ce trip était celui d'un autre. D'une autre génération même.
Le clivage intergénérationnel m'avait paru si louuuuuuuuuuuuuuurd. Le Cirque du Soleil c'était comme Céline à Vegas, c'était du même moule. Un trip de boomer. Je n'ai jamais vu un spectacle du Cirque du Soleil. Depuis cette impossibilité d'acheter deux billets en 1994, je n'ai jamais senti que nous y étions tout à fait invité. Ce qui était pourtant faux. Cinq ans plus tard, on pouvait se le permettre. Mais ça ne nous as jamais appelé par la suite.
Est-ce que Le Cirque du Soleil devait être gouvernementalement sauvé? Je ne crois pas. Parce que c'est un "fleuron"? Comme Bombardier? Connerie.
La mécanique économique devenue usuelle est de placer dans les filiales des paradis fiscaux. Ça aussi, c'est peut-être utopique, ça me semble d'une toute autre époque. Et ça sonne toujours TOUJOURS faux. De la musique avec un equalizer pour la voix.
On a offert des millions à un milliardaire. Ça sonnera toujours faux. Toujours. Guy Laliberté est fort intelligent. Il a vendu tout juste avant les déboires. Les États-Unis ont foiré avec Le Cirque du Soleil, l'a plongé dans le rouge. 900 millions dans le trou. Décoté deux fois. On va éponger la dette, remettre sur 15-20 ans, le Cirque sur pied. Cracher le cash. Puis les États-Unis vont racheter quand ce sera payant. C'est ça le fleuron? L'éponge oui.
Je reste très inconfortable à l'idée que nos gouvernements, au nom du principe de fierté nationale, investissent des millions pour sauver les incompétents ou les millionnaires/milliardaires. Laliberté pourrait racheter, disait-il. Mais pour payer le 900 millions dans le trou, personne ne lève la main.
Et ça devient en partie notre responsabilité de s'en occuper.
Y a encore beaucoup de l'étudiant ne pouvant pas se payer le billet en moi en 1994 qui existe encore.
Et j'ai le curieux feeling qu'un jour, mes propres enfants, qui eux, ont vu le Cirque du Soleil, invités par mes parents, parleront du Cirque du Soleil comme du trip de leur "parents".
Même pas celui de leurs grands-parents. Ce qui serait plus juste.
Y a des consensus comme ça qui n'en sont pas pour moi. Tout le monde écoute TVA. Pas moi.
Tout le monde aime Céline. Pas moi. Tout le monde veut sauver le Cirque du Soleil.
Pas moi.
Une génération qui pellette ses dettes dans la cour des deux générations suivantes, c'est toujours un irritant.
Quand j'ai quitté Sillery, à 19 ans, je quittais pour trois raisons.
1-Apprendre à me débrouiller tout seul
2-Quitter ma ville de fonctionnaires pour quelque chose qui bouge davantage.
3-Quitter le vestiaire des boomers et joindre la piste de danse de la vie.
Ironiquement, cette semaine, je voyais le gouvernement promettre des salaires de 21$ de l'heure pour qualifier de nouveaux préposés aux bénéficiaires.
Pour s'occuper des vieillissants baby boomers...
Un job de vestiaire si peu gratifiant qu'on refuse de le payer.
La distribution des rôles est discutable dans ce cirque.