Devenir aveugle lui ouvre les yeux

Par Afust

Tout fout le camp, même Paris-Match !
Paris-Match c'est, visiblement c'était, "le poids des mots, le choc des photos"
Et là quel titre nous proposent-ils ?
"La biodynamie : une ode à la vie" ?
Sérieusement ?C'est n'importe quoi ce titre ! sur les mêmes bases le premier stagiaire venu t'en fait une grosse (12 douzaines) qui fonctionnent aussi bien. Démonstration :

"La choucroute garnie : une ode à la vie",
"La musique baroque : une ode à la vie",
"Les soirées foot sur TF1 : une ode à la vie",
"La machine à la laver la vaisselle : une ode à la vie",
"La procréation assistée : une ode à la vie", ...
Bien sur lorsque la presse en vient à la biodynamie, nul n'y est tenu d'avoir fait l'école du titre afin de proposer des œuvres aussi abouties que mon : "Le cosmique de répétition" (En Magnum 4) ou, dans la même veine et sur un sujet proche : "La farce cachée des pesticides" (En Magnum 12).

De là à commettre "La biodynamie : une ode à la vie" il y a de la marge !
Ce laisser aller est d'autant plus fâcheux que Paris Match a raté une occasion en or !
L'article commence en effet par l'édifiante histoire d'Eugène Meyer qui, je cite, perd la vue par la faute des pesticides, se soigne à l'homéopathie (si pour les titres ils sont à la ramasse, en revanche du côté des oxymorons çà envoie du lourd !), découvre la biodynamie et y adhère.

Léon Cladel, "N'a-qu'un-œil" (1883)


Alors si tu veux du titre, en voilà :
"Devenir aveugle lui ouvre les yeux"
Ne me remerciez pas, c'est avec plaisir.
Il fallait d'autant moins se rater sur le titre que l'histoire est connue de longue date :
Jésus vit, en passant, un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui firent cette question : Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle? Jésus répondit : Ce n'est pas que lui ou ses parents aient péché; mais c'est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. Il faut que je fasse, tandis qu'il est jour, les œuvres de celui qui m'a envoyé; la nuit vient, où personne ne peut travailler. Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. Après avoir dit cela, il cracha à terre, et fit de la boue avec sa salive. Puis il appliqua cette boue sur les yeux de l'aveugle, et lui dit : Va, et lave-toi au réservoir de Siloé. Il y alla, se lava, et s'en retourna voyant clair.
        Évangile selon Saint Jean (9. 1-12) 

Je passe beaucoup de temps sur le titre ?
En effet.C'est qu'il y a - au moins - deux bonnes raisons à cela :
- un bon titre c'est la clef, si tu veux générer du clic. Alors çà ne supporte pas l'improvisation.
- au delà du titre il n'y a pas grand chose de nouveau à dire de cet article puisqu'on nous y ressort encore une fois les mêmes joyeusetés.

Ce désert argumentatif vaut dès la légende de la photo où nous apprenons, ébahis, que : "Le principe de cette agriculture : intensifier la vie organique de la vigne et relier celle-ci à la roche-mère (par les racines) et à la lumière (par les feuilles)"
Ben ouais : sans la biodynamie c'est le bordel car la plante n'est pas reliée au sol par ses racines ni à la lumière par ses feuilles.
C'est tellement con, une vigne.

Nous n'échappons pas, non plus, au couplet anxiogène sur l'agriculture intensive qui utilise les stocks d'armes chimiques de la première guerre mondiale, situation dénoncée par Rudolf Steiner, ce scientifique.
Sur la formation de Rudolf Steiner et l'adéquation du qualificatif de scientifique qui lui est si souvent accolé je vous renvoie à un précédent billet dans lequel j'abordais la question.
Pour le reste on est (aussi) en plein fantasme.
Car utiliser les stocks d'armes chimiques de la Première Guerre Mondiale dans le cadre de l'agriculture intensive voudrait dire que l'on aurait alors épandu de l'ypérite, du chlore ou du phosgène dans les champs et les vignes.
Rien que çà.
Vas-y garçon : épands du chlore ou du phosgène sur les jardinières de ton balcon et après reviens causer agriculture.
Si tes jardinières et toi êtes encore là.
Rappels :
Le développement de l'agriculture intensive remonte à Justus von Liebig et à ses travaux sur la nutrition azotée des plantes publiés au milieu du XIXème siècle. S'ensuit une productivité très nettement accrue ... et la recherche de guano qui est la ressource idéale et, alors, la seule disponible (aujourd'hui les héritiers de Liebig utilisent du guano de chauve-souris et çà vaut le détour) encore que rapidement menacée d'épuisement.
On se tourne donc vers l'azote de l'air que les travaux de Faber permettent d'exploiter industriellement afin de fabriquer, à bas prix, des engrais à partir d'une ressource abondante : l'air.
En 1909, Faber vend son brevet à BASF qui améliore le procédé avant de se lancer dans la production industrielle.
On est alors dans une logique de régulation et augmentation de la production agricole afin de nourrir une population mondiale dont la croissance devient trop importante au regard de la productivité agricole.
Mais la guerre arrive et, en effet, si l'ammoniac permet la production d'engrais il permet aussi celle d'explosifs (on doit bien encore arriver à trouver un tutoriel expliquant comment fabriquer un explosif à partir d'un engrais agricole ?).
Après la guerre on reviendra à la production d'engrais.
Restent les gaz toxiques.
Ces gaz toxiques ont tellement été épandus sur les terres agricoles que depuis la fin de la 1ère Guerre Mondiale ils étaient stockés dans le camp de Suippes (la bagatelle de 230 tonnes de munitions chimiques !) dans l'attente du démarrage effectif du projet Secoia (2012) sur la base de Mailly. Un projet visant (enfin) à leur destruction pure et simple.

Ensuite Paris Match sort l'arme absolue : Aubert de Vilaine, la Romanée-Conti et la biodynamie ... je lui réponds donc à l'identique. C'est le principe de base de la guerre NBC (nucléaire, bactériologique et chimique) : l'équilibre de la terreur.
On pourra lire son propos dans "En Magnum 4" que j'ai déjà évoqué :

"Quand on lutte de cette manière-là contre les maladies de la vigne, on est forcément un peu vaincu, on a de la perte, mais c'est un facteur de qualité important. L'éclaircissage par ces maladies apporte aux raisins qui restent une maturité complémentaire, c'est comme çà qu'on arrive à une finesse de maturité supérieure."


Ne reste plus que les figures imposées, parmi lesquelles le bon sens paysan enfin retrouvé, et l'impact des cycles lunaires sur les plantes.
Le début de l'article nous apprenait que Rudolf Steiner a, je cite, inventé la biodynamie qui est donc un concept récent (et non pas ancestral) puisqu'il remonte aux conférences données à Koberwitz en 1924 à des agriculteurs membres du mouvement anthroposophe.

Rudolf Steiner, "Le cours aux agriculteurs".
Editions Novalis (2013)

Un concept récent que j'avoue avoir du mal à lier, même de loin, au fameux bon sens paysan (je passe sur les cycles lunaires déjà évoqués tant dans "En Magnum 4" que dans ce billet).
Il se trouve que j'ai, comme nombre de gens, une multitude d'ancêtres paysans. Que je sache aucun d'entre eux n'a jamais éviscéré un cerf afin d'en récupérer la vessie avant de la bourrer d'achilée millefeuilles.
En outre on me permettra de douter que cette activité relève d'un quelconque bon sens.