La vie est un roman
commence comme un thriller, avec la disparition de Carrie, la fille de Flora
Conway, trois ans, alors qu’elle jouait à cache-cache avec sa mère dans leur
appartement de Williamsburg, New York. Situation impossible : la pièce est
restée fermée, et pourtant il faut se rendre à l’évidence, la petite n’est plus
là. On n’oubliera pas de signaler au passage que Flora Conway est romancière –
elle a reçu le prestigieux prix Franz Kafka en 2009 après son troisième livre,
elle n’apparaît pas dans les médias, son éditrice Fantine de Vilatte gère sa
carrière pour elle et la représente dans les grandes occasions, comme ce fut le
cas à Prague pour la remise de ce prix littéraire.
Guillaume Musso, on le sait (et, si vous ne le saviez pas,
apprenez-le), a l’habitude d’appeler à la rescousse les signatures les plus
connues et reconnues. Avant qu’il soit question du prix Kafka, Simenon avait
déjà pointé le nez avec une citation extraite de Quand j’étais vieux, je vous épargne tout ce qui va suivre comme
références mais c’est, dirais-je, digne de la bibliothèque d’un honnête homme
soucieux de se cultiver, à moins que cela ressemble à un trompe-l’œil dans le
genre d’une collection de la Bibliothèque de la Pléiade affichée derrière la
personne qui vous reçoit chez elle et veut paraître cultivée – encore heureux,
ce ne sont pas des reliures achetées au mètre courant.
Donc, Flora Conway, dépressive après la disparition de sa
fille, on la comprend, vaguement suicidaire, puis de plus en plus précisément
et, au moment où elle va commettre le geste fatal, voilà que…
Le suspense est insoutenable (ne riez pas) : voilà qu’elle
se révèle être l’héroïne d’un roman qu’écrit, en France, Romain Ozorski,
écrivain à succès, vague double de Guillaume Musso himself, voyez comment la création s’éparpille, se reflète dans des
miroirs, et pourquoi on en arrivera à « La troisième face du miroir »
dans l’avant-dernière partie.
Si vous n’avez pas lâché avant, car rien de tout cela, outre
le fait que ce n’est ni écrit ni à écrire, ne tient vraiment debout à moins d’une
lecture très inattentive, vous arriverez alors au cœur de la bibliothèque :
les quarante sources des citations rencontrées au fil des pages, à quoi il faut
ajouter encore la liste des « autres auteurs, artistes et œuvres évoqués »,
car il insiste avec insistance (c’est assez ?), Guillaume Musso, il ne lit
pas n’importe quoi.
Mais pourquoi, alors, pratique-t-il une phrase si plate ?
On pourrait se poser la même question à propos de Joël
Dicker, découvert et porté vers le succès par le grand Bernard de Fallois.
Celui-ci, disparu il y a deux ans, a notamment été l’éditeur d’inédits de
Proust – Jean Santeuil et Contre Sainte-Beuve. C’était il y a
longtemps, Joël Dicker n’était pas né mais il s’en souvient si bien que le
chauffeur et majordome de Macaire Ebezner, l’un des personnages principaux de
son nouveau livre, s’appelle Alfred Agostinelli, comme le secrétaire de Proust…
Donc, le romancier populaire Joël Dicker met en scène, vous
l’aurez deviné, un écrivain publié par Bernard de Fallois et qui souffre, outre
de la mort de celui-ci, d’une rupture sentimentale. Besoin de changer d’air ?
Un hôtel suisse (car j’ai oublié de vous dire que L’énigme de la chambre 622 se déroule en Suisse, il est vrai que
cela n’a guère d’importance sinon pour le monde bancaire où se passent les
événements) l’accueille, où il est troublé par l’absence de chambre 622 – la 621bis
suit la 621 avant la 623. Troublant mystère, de quoi revenir sur un meurtre qui
s’est produit là alors que les cadors d’une banque privée y étaient réunis pour
choisir leur nouveau mâle alpha.
Un jeu de yoyo plus épuisant qu’hypnotique commence alors,
entre notre époque où enquête « l’écrivain », comme on appelle respectueusement
le Joël du roman, et celle du meurtre – avec des rappels chronologiques
incessants, de peur qu’on s’égare (mais on s’égare quand même) : « 7
jours avant le meurtre », puis « 6 jours avant le meurtre », ou
quelques mois avant, ou quelque temps après…
L’affaire est embrouillée et Joël Dicker tient beaucoup à
montrer à quel point elle l’est. Il narre (car, dans ces cas-là, on ne raconte
pas, on narre) les moindres péripéties avec moult détails superflus, même et
surtout quand elles ne présentent pas le moindre intérêt pour le récit, il
caricature sans nuance la manière dont parle Arma, l’employée de maison de
Macaire et de son épouse Anastasia, pour qui ses patrons sont « Moussieu »
et « Médème », il aligne les poncifs du polar sans savoir qu’en faire
d’autre que de les placer les uns derrière les autres.
Franchement, je me suis ennuyé. Cela ne me dérange pas de
lire un roman de 576 pages, cela me dérange quand j’ai l’impression qu’il
aurait eu une meilleure tenue dans un volume deux fois moindre. Mais alors, qui
pour l’écrire ? Je vous le demande…
Pas Guillaume Musso ni Joël
Dicker, en tout cas !
