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(Notes de lecture) Sereine Berlottier, Ciels, visage, par Pierre Vinclair

Par Florence Trocmé

(Notes de lecture) Sereine Berlottier, Ciels, visage, par Pierre VinclairCiels, visage
propose, en autant de séquences qu'il y a de saisons dans une année, un ensemble de poèmes qui tournent autour de la grossesse et de l'enfantement - ils " tournent autour " (plus qu'ils ne " traitent de "), car les vers qui s'offrent ici ne font pas de ces thèmes des objets stables, vers lesquels une langue au repos enverrait ses flèches référentielles. Au contraire, les simples choses montent dans la langue au milieu des images complexes, sans qu'on puisse toujours distinguer le propre du figuré et l'anecdote de l'ordalie :
quelque chose soulève
lit au bord d'une flamme, soufflet attise
les majuscules tombent [...]
la bûche est dans le mauvais sens

L'épigraphe, extraite de Partition rouge, nous avait mis en garde : " Dans les rêves d'un chaman se trouvent les noms des enfants à naître. " Ciels, visage est ainsi un livre ouvrant et disséquant le territoire d'un rêve que Sereine Berlottier voit et donne à voir, dans la langue. Une langue tenue, maîtrisée, au scalpel - mais aussi consciente de ses gestes jusqu'à la facétie :
sur le chemin discrète
inclination de la preuve
(ne pas lire pieuvre car tout peut couler à l'envers)
ou encore :

ton crâne en transparence sous l'adresse
dont je suis la demeure
(verbe d'action)
et sous la peau discrète respiration visible à l'œil nu

Mouvements à la fois littéraux et symboliques, les poèmes ressemblent aux visages des enfants qui naissent aux corps des femmes : on en reconnait les traits, on en identifie certaines expressions, on les aime sans les rabattre sur l'office d'une signification. Que veut dire un visage ? Il est fait de lignes, de gestes, moins que des signes ; son expression tient au mouvement de quelques plis, partition sur fond blanc. Un blanc qui fait partie intégrante du drame, menaçant les vers, suspendant le souffle - mais aussi, laissant la place à l'événement (ainsi un enfant peut-il naitre dans l'espace qui sépare la deuxième et la troisième partie du livre).
L'enfantement est un objet assez courant de la poésie même récente. C'est à raison : quoi de mieux que la nervosité du poème, pour saisir la joie et le mystère d'une existence soudain apparue ? Quoi de mieux que l'intensité d'une telle expérience pour innerver les lignes du poème ? Mais Ciels, visage est un livre singulier, parce que pèsent sur la joie, attendue, des ombres récurrentes. Est-ce parce que donner la vie revient aussi à donner la mort - " graines de disparition / plantées / chaque jour " et " bien sûr la peur / de l'ombre qui va et vient sur la page / ocellée, malicieuse " ? Les raisons de cette peur ne nous sont pas données : la quatrième de couverture avait prévenu : " tout ne sera pas dit. " C'est que Sereine Berlottier s'intéresse sans doute moins à la psychologie qu'à la dramaturgie de l'affect, et à la cause circonstancielle qu'à l'imaginaire (aussi peu confortable soit-il) que le travail du vers en tire. Les dates s'effacent, ne restent que les figures, libres dansant aux ciels comme un visage changeant de forme au gré du souffle.
et soudain un silence
net et frais comme une eau de rivière
où la langue traverse
ne nage pas
apprends la rature
la petite solitude du poème
même si je note la date
cette tige de glace très froide
qui goutte et fond dans mes mains
je tremble et je ne bouge pas [...].

Pierre Vinclair

Sereine Berlottier, Ciels, visage, Lanskine, 2019, 88 p., 14€

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