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(Feuilleton) Jeunes et vivants de Patrice Maltaverne, 1/11

Par Florence Trocmé


Cinq semqines en ballonEn « hommage » à Ivar Ch'Vavar qui avait publié des textes de lui en 2003 dans sa revue Le Jardin ouvrier et en hommage à Jules Verne (beaucoup lu à la maison par son père), ainsi qu’à la ville d’Amiens,  Patrice Maltaverne a écrit ce texte que Poezibao a découpé en onze épisodes de feuilleton, à paraître sur le site les lundi, mercredi et vendredi.
L’ensemble s’intitule « Jeunes et vivants », comme les héros de Jules Verne ;
- 77 poèmes car Jules Verne a vécu 77 ans, cela recouvre presque tous les Voyages extraordinaires (avec les nouvelles d’un volume comptées séparément) ;
- 31 vers par poème car c’est une totalité (le tour d’un mois comme le tour d’une semaine ou d’un monde, pourquoi pas) ;
- les poèmes sont à peu près justifiés, en référence à Ivar Ch’Vavar, mais pas complètement, la contrainte étant déjà suffisante pour l’écriture ;
- la plupart des poèmes sont inspirés d’un passage des romans ou nouvelles de Jules Verne, il y a même une citation dans chaque poème (non matérialisée), qu’il n’est pas si important de reconnaître.
Patrice Maltaverne anime l’association Le Citron Gare ;
revue Traction-brabant, Le Citron gare, ou encore ce blog ou celui-là, dédié aux revues.

Premier épisode, poèmes 1 à 7

CINQ SEMAINES EN BALLON
Ils sont rares les instants où l’on profite de l’étendue
Coincés dans la nacelle rien que du précaire pourtant
Les respirations ralentissent au souffle du chalumeau
Qui est celui d’un chameau le tableau tient à l’endroit
Longtemps l’air balance quelques instants pas à dire
Gaffe aux trous pour le moment les piscines d’en bas
Coûtent cher et pour les autres les champs prennent
Une apparence d’échantillons de diverses couleurs
Les monuments sont tournés vers l’extase religieuse
On n’aurait jamais cru voir leurs angles si lentement
Comme si le monde historique était pétrifié malgré
Le beau temps il y a trop d’air là-haut aux sommets
De la grisaille cette paix curieuse ne s’étirera guère
La perte d’équilibre offre les corps tels des paquets
Comme des poupées russes dans un azur subliminal
La tristesse vient de ce qu’il faut soudain descendre
Il faut se séparer d’un tas de choses que l’on a rien
Alors que quelques heures avant les biens restaient
À portée de main dans une maison planquée que l’on
Désigne au milieu d’un pâté de cubes nous n’avons
Plus peur mais la vie part si vite dans une déchirure
Telle la respiration supprimée à force de se baigner
Dans un grand bol est-ce que Dieu habite au-dessus
Des filets qui enserrent la machine soufflant solitaire
Il se cache peut-être derrière la toile du ballon ébloui
Il nous ferait peur si un visage paraissait par surprise
Combien de temps demeure-t-on dans cette quiétude ?
Personne ne prend jamais de temps de dire le temps
Ne passe pas si vite se posant sur cette étendue d’air
Cela fait tout bzarre de savoir que l’on s’abimera plus
Quelques minutes après aura lieu un précipité de terre
VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE
Ça y est le voyage va commencer nous venons
D’être liés à nos sièges ce nautonier sans eau
Contrôle que notre harnachement est correct
J’observe mes voisins ils restent dans l’attente
De ce qu’ils vont regarder devant leur vaisseau
Pour une dégringolade aux entrailles de la terre
Pour l’instant aucun liquide ne suinte des parois
Les génies du souffre illuminent leur palais je ne
Me suis sans doute pas assez couvert pour cette
Sortie à l’intérieur les comparses ont des tenues
Plus modernes de toute façon je n’ai pas le choix
Il me semble que je ne pourrai même pas sauter
De ces rails j’en garderais la honte de toute façon
Mais la curiosité a gagné et donc les fumigènes
Crachent alors les cris des plus jeunes surgissent
De leurs gosiers comme des grottes ils devraient
Montrer plus de respect pour cette descente aux
Enfers le nautonier décrit stalactites stalagmites
Il raconte que dans ce bas monde les créatures
Préhistoriques n’ont pas disparu d’ailleurs les
Parois à présent respirent la sueur dans l’effroi
Dans un guet-apens les gens tremblent de plaisir
À l’apparition du premier monstre si l’on chutait
Définitivement dans le noir et que l’électricité
S’interrompait rirait bien qui dirait le dernier
À guetter la réaction de mes copains je pense
Que nous vivons dans un monde trop stupide
Où seule compte l’apparence de fêtes foraines
Nous tournons sur le même axe tout à l’heure
Je suis venu essayer cette installation sociale
Courage avant la remontée du jour qui revient

DE LA TERRE À LA LUNE

Pas besoin d’aller sur la lune si j’allais marcher dessus
Il n’y aurait plus que la terre à se mirer en un mystère
Il s’agit plutôt de tendre avec amour vers un arc en ciel
En choisissant l’endroit où observer un coin de lune
Monter dans le ciel étoilé comme un cargo de la nuit
Qui avance avec le temps ressemblant à une tanière
Voire à un point de vue dégagé tel un front de penseur
Avec quelques buissons pour se livrer à l’ivresse de la
Voir venir Ô lune toujours propre sur elle d’un cachet
Dont la blancheur nous exploserait la gueule d’émail
Que nos parures fluo seraient à mettre à la poubelle
Imaginer que l’on s’extrait de la litanie des tentations
De la ville qui nous crame rejoindre le sec et le froid
Attendre le dépouillement de nos années d’enfance
Accéder à cet endroit et ne plus pleurer à l’angoisse
De se retrouver seul face à ce monstre sans yeux bloc
De matière immatérielle car touché qu’avec le regard
Les profondeurs du ciel sont sondées aux dernières
Limites omettant qu’ils se prennent les pieds dans la
Glaise durcie de notre poussière de sépulcre oubliée
Par la philosophie imaginaire tant pis je me hausse
Sur les pieds j’ouvre grand ce qui me reste de vision
Plus qu’à régler la lunette plus qu’à la braquer vers
L’ouvert infiniment en pensant aux petites culottes
Laissées derrière pour lorsque la soif de laisser choir
Son regard blafard se détachera d’une tâche immense
Quand les chevilles fatigueront que la lune montrera
Sa face cachée qui n’est que l’envers de nous-mêmes
Une envie nulle de tourner dans le ventre de sa mère
Elle qui ne comptait pas tant que le temps fonctionnait
Et que l’on retrouve enfin à l’extérieur de toute entrave

VOYAGES ET AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

Au début la neige fait rire seules les étendues neigeuses
Elles ne s’arrêtent jamais d’abord respect et obéissance
Une paire d’yeux la suit le corps prend le relais retardé
La neige aide les ondulations à se produire avec grâce
Pas moyen elle n’épargne pas les contours les plus durs
Mais elle qui est douceur triomphe de l’énigme du lieu
Sans explications avec le déni des réalités elle couvre
Des trous et les puits fermés la neige promet toujours
D’être douce sauf qu’elle nous trompe surtout qu’elle
Est l’alliée du froid au début charmeur souvenir de Noël
Il pousse à bout les extrémités sans se retirer de la terre
C’est la guerre avec soi-même bientôt le corps mouillé
Se plaint d’avoir perdu au change en sortant se mettre
Dans ce merveilleux paysage enfoui qu’il est dès le début
Par la neige inexplicable qui fond sur les doigts mais les
Refroidit davantage le voyage se prolonge malgré tout
La neige rend les choses plus indistinctes partout il y a
Quelque part des courbes de niveaux une atmosphère
De risque spécial car si doux si emplumé par des habits
Qui étouffent gaffe à ne pas glisser dans ce qui devient
Une tombe remplie d’eau expression vaseuse de réalité
La neige n’est plus blanche elle devient noire le manque
De couleurs s’inverse vite cet éclat uniforme écœurant
Se situe à l’intérieur du chalet aux trois quarts enfoui
À peine habité par des nains avec au milieu un brasero
D’enfer les couleurs des flammes deviennent obsédantes
On voudrait y plonger ses mains mais elles brûlent déjà
Les mains rentrées planent de froid la neige se ralentit
Au-delà de l’expression de visage voilà une disparition
Plus grande se fait nuit en son sein de guerre lasse glisse
Jusqu’à ne plus paraître qu’un point chu en soi-même
LES ENFANTS DU CAPITAINE GRANT
Parfois une bouteille rejetée par la mer arrive
Jusqu’à nous et c’est un début d’aventure je dis
Bouteille je n’en ai jamais vu de vides receler
Un message une chance sur mille pour qu’il y ait
Malchance la bouteille roule sonore sur le pont
Elle dévale jusqu’à nous et délivre son énigme
C’est un contenu libéré et le début de l’angoisse
Quel hasard faudrait-il déjà pour que soit délivré
Un au-secours ? Existe-t-il encore un endroit vide
Pour qu’un individu ait besoin d’autres hommes ?
La vérité qui se ferait jour par un simple papier
Tient du hasard miraculeux dès lors que toutes
Les pistes se brouillent il n’est pas de coïncidence
Aussi troublante seuls les enfants se font piéger
Bêtement  par un jeu de rôles plutôt intellectuel
Puis ça se poursuit par des aventures incroyables
Mais il faut être patient avec les bouteilles garder
Son calme face à des mots humides seuls des fous
Balancent leur destin à des gens attentifs est-ce
Que je sais saisir les signes m’écartant de la route ?
Certainement pas le pauvre offrant sa sauvegarde
À la bouteille tombe sur des êtres de supermarché
Et il mourrait de faim dans sa solitude ayant voulu
Jouer avec des gens qui ne sont pas habitués à jouer
Le coup de dés virulente déflagration à vrai dire
Finirait dans l’impasse des gens obtus il n’y aurait
Pas d’aventure jamais d’aventure quel homme bête
Ferait confiance à une lettre pour avoir quelqu’un
Qui l’écoute C’est une folie démodée une naïveté
J’aimerais revoir cela un jour des êtres s’agitent
Pas pour rire ils lancent une expédition textuelle

VINGT MILLE LIEUES SOUS LES MERS
Un autre monde évolue en profondeur plus bas
Que sous nos pieds il se propage comme tache
D’huile sans odeur nimbé d’une aura increvable
De couleur bleue il démarre au moment où tous
Les autres mondes cessent il passe plus bas que
Sous la porte il faut excaver plusieurs tonnes de
Décombres balayer toute la poussière ôter ce
Qui empêche de sentir le liquide nous prendre
De court sans vouloir c’est comme un continent
Qui passe par-dessus nous une ambiance feutrée
Privée de moyens de communication qui fait fuir
Des dents dont l’empreinte s’est incrustée dans le
Métal il n’est plus besoin de se dissimuler nous
Ne savons pas si le calme nous évalue nous nous
Laissons aussi aller à le découvrir se laisser aller
La lumière semble venir d’en haut comme Dieu
C’est comme si l’on était pendu par les pieds sans
Y être à voir ces soucoupes volantes filiformes
Glisser sans effort sur nos yeux sans les heurter
Les fonds marins sont très en paix libérant juste
Des craquements sous les pieds et des geysers et
Sans salir l’aire de perception les fonds marins
Sont funéraires et pourtant si l’on met en route
L’orgue pour rythmer les ondoiements de la faune
Ce n’est pas dire la messe elle avance toute seule
Au-delà de nous étant enfermés derrière la vitre
Comme au cinéma un film très pur qui avantage
Les numéros de ballet roues gélatineuses de paons
Une force qui pousse sans nous à aller plus profond
Vers un enterrement qui est enfin une sépulture
En or véritable l’écrin d’un cil à l’ouverture d’église

AUTOUR DE LA LUNE

On est dans une boule qui nous permet de respirer
L’émoi vient pour secouer ces images anormales
Elles avancent sans jamais rentrer dans les têtes
Se passent de son elles ne coupent pas les couleurs
Les images nous attaquent de front pour mordre
Un quartier de lune à manger qui nous mange c’est
Bizarre quoiqu’ici le satellite ne soit pas détectable
Trop près nous sommes trop près de lui nous savons
Que l’équilibre ne joue plus pareil existe la tentation
De descendre de là où nous sommes et d’aller y voir
De plus près la station verticale nous ne l’avons plus
Nous ne disposons plus que de la lucidité sans fond
De nos yeux disponibles depuis le début de l’existence
Dans un ralentissement tel que l’on voit progresser
Les paysages de la nuit comme un cargo enfoncé
Dans un autre promontoire suffit de reconnaître
Les formes nulle part le mouvement nulle végétation
Sans être proche des autres humains on n’ose plus
Imaginer comment ils n’agiraient pas alors que nous
Sommes les privilégiés de cette aventure si seuls que
Nos yeux ne communiquent pas entre eux puis nous
Cherchons la présence humaine telle un petit pois
Émergeant au milieu d’un cratère de telles visions
Nous appartenons toujours aux reliefs mouvants
Nous substituant comme si la seule position possible
Était celle de corps posant dans la manœuvre du coït
Grossi par nos espoirs de nous fondre pour l’éternité
Dans ce qui est déjà éternel à défaut d’être vivifiant
Car rien à faire malgré cette beauté toute répandue
Il n’y a que le minerai pour se jouer de nous à travers
Ses poussières des colorants mortels dans du sable
[prochaine épisode vendredi 19 juin]


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