de François Bégaudeau
Roman - 270 pages
Editions Verticales - Janvier 2006
Edition poche Folio - Mars 2007
Journal tout en dialogues d'un professeur d'un collège de l'est parisien. Entre salle des profs où beaucoup exultent, se plaignent, comparent leurs classes attribuées, et la salle de cours où les élèves dissipés, assidus, insolents ou perdus se lancent des vannes, des insultes... Notre professeur de lettres anime avec énergie cette classe qui participe avec véhémence, qui questionne sans relâche, par provocation ou légitimité... L'année s'écoule, la vie de classe laisse une large part aux échanges, aux débats, aux (ré-)explications des bases grammaticales mais le savoir se transmet tant bien que mal, et pour les classes de troisième, il y a le brevet à passer en fin d'année...
J'ai été très sensible à ce récit du monde scolaire actuel, sûrement parce que j'ai été collégienne dans une ZEP du dix-neuvième arrondissement également... On s'y croirait, je m'y revois sans peine dans ces classes agitées, violentes et tendres à la fois, entre ces murs familiers.
"- M'sieur, pourquoi dans les exemples c'est toujours Véronique et jamais, j'sais pas, Fatimah ou quoi qu'ce soit.- C'est joli Véronique, comme prénom. Non ? Véronique Jeannot elle était jolie.- ???Né le 15 août 88, Mohammed n'a pas oublié de s'en mêler, bandeau Swade pour éponger nulle sueur.
- Fatimah aussi c'est joli. C'est le prénom de ma grand-mère. Elle fait des gâteaux, m'sieur, sur ma vie c'est les meilleurs gâteaux du Maghreb.- Dans ce cas, ceux qui veulent mettre Fatimah mettent Fatimah. Vous pouvez même mettre Brigitte, Naomie ou Robert, moi c'qui m'intéresse c'est que vous mettiez -ée à la fin du participe.Bamoussa était tout bouleversé.- Mais m'sieur si c'est Robert ça prend pas -ée, parce que c'est un garçon.- Ah pardon, oui bien sûr, vous m'embrouillez avec vos histoires. Donc on met Fatimah, Brigitte, Naomie, mais pas Robert. Qu'est-ce qu'il y a Hakim ?- On peut mettre Delphine ?- Non, pas Delphine.Le ciel sur la tête.
- Ben pourquoi ?- Parce que. Delphine c'est pas possible. Dans mon cours, il ne sera jamais question d'une Delphine, ou alors il faudra me passer dessus."
François Bégaudeau relate ces instants scolaires avec justesse, transcrit à merveille les paroles d'adolescents urbains. Sans jamais tomber dans l'attitude moralisante ou de celui déplorant l'état de l'Education Nationale, il livre fidèlement les faits, les incidents qui peuvent conduire les professeurs à sentir la moutarde leur monter au nez, ou ouvrir une fiche de dysfonctionnement ou encore décider l'exclusion définituve d'un élève. En classe il enseigne en s'adaptant, tente de se faire 'respecter' sans s'empêcher d'envoyer balader ceux qui jouent l'insolence. Il n'est pas entouré d'élèves modèles ; il ne se comporte pas non plus en prof modèle. Il commet des erreurs, agit selon son tempérament. C'est bien ou c'est mal, peu lui importe : c'est comme ça. D'autres craqueraient, lui gère de sa manière les conflits, les fossés de niveau qu'il existe entre ses élèves. Néanmoins, il semble plus à l'aise dans sa classe agitée que dans cette salle de profs où se succèdent des membres du corps enseignant au bout du rouleau, qui cherchent sans relâche une oreille attentive - du moins présente - pour lui déverser ses torrents de plaintes, de ras-le-bol, de quête de valorisation aussi.
Dans ce journal où les épisodes se suivent entre les murs, notre professeur s'efface au profit des élèves et de leurs interventions. Bien sûr, il enseigne, dicte, évoque, signale, démontre, mais nous dévoile peu de lui, de sa vie privée. Il est seulement professeur. Il est un professeur, comme il n'en existe qu'un, dans une classe singulière par ses élèves mais une classe qui pourra en évoquer beaucoup d'autres... Beaucoup de vérité et de rires, de provocation et de tendresse. C'est vivant, violent, pudique. J'ai beaucoup aimé.
Et vous n'êtes pas sans savoir que l'adaptation par Laurent Cantet de ce livre au cinéma a donné le film primé à Cannes cette année. Il sera sur nos écrans en octobre...
Thom méprise cette daube - Entre les lignes
Lisa l'a dévoré - A mon humble avis
Alain s'est régalé en le lisant à voix haute - La mer pour horizon