Magazine Culture
« Plus loin que la route, c’est les arbres… Plus loin encore, c’est les pays inconnus… Et puis rien du tout. » (L-F C) 1.5 mars 2020.- Pluie légère, mais sinistre (11°C). Le virus prolifère au rythme des néo-morales, je suis ému par Artaud dans les mémoires de Nadeau, mon thé refroidit.6 mars 2020.- Ciel monochrome, gris souris, gris suicide (11°C). Le 27 mai 1918 vers sept heures du soir devant Vailly-sur-Aisne, une balle entre par l'épaule droite du lieutenant Joë Bousquet, lui troue quatre fois les poumons puis la colonne vertébrale. On entend deux cris, l'un un peu sourd, celui du blessé, l’autre atroce : « Quel malheur ! le lieutenant est tué ! » Pourtant, le lieutenant n'est pas tué, c'est son corps qui est tué ! Voilà une paraplégie, une immobilité qui deviendra légendaire ! Bousquet raconte tout cela – bien mieux que moi – dans une lettre adressée à Maurice Nadeau le 13 juillet 1945. Dans cette même lettre, il évoque également ses relations avec le gratin surréaliste : Eluard, Breton, Tanguy, Max Ernst… Ce même Max Ernst qui, drôle d'ironie, était lui aussi sur le champ de bataille de Vailly-sur-Aisne, de l'autre côté, du côté allemand : « Mes soldats ont voulu me sauver. J’ai inutilement exigé qu’ils me laissent sur place, qu’ils me laissent à ma commençante agonie. Ils m’ont arraché malgré moi au champ de bataille… Eh bien, Nadeau, écoutez-moi avec attention. Mes soldats m’ont emporté au milieu des coups de feu. Max Ernst allait passer. Max passait. Max Ernst, lieutenant d’artillerie dans l’armée allemande, mais accompagnant un bataillon d’assaut, sortait de Vailly, que j’avais reçu l’ordre de reprendre, avec les vagues victorieuses… »Voilà pour Bousquet… et Nadeau. Sinon demain je pense croquer dans le Dictionnaire de Littérature à l'usage des snobs de Fabrice Gaignault. C'est certainement un peu « grande presse », Gaignault n'est pas « rédacteur en chef Culture » chez Marie Claire pour rien, je ne vais peut-être pas apprendre grand-chose, mais le menu est tout de même assez appétissant. D'ailleurs à ce titre, je vous laisse, l'abbé Mugnier vient de me faire un clin d’œil.7 mars 2020.- Temps globalement nuageux (9°C. Le Dictionnaire de littérature à l'usage des snobs de Fabrice Gaignault n'est pas si mal écrit que ça et contrairement à ce que j'ai pu affirmer hier j'y ai découvert un peu plus deux trois spécimens dont je n’ignorais pas vraiment les noms, mais qui étaient tout de même un peu flous à mes yeux (Harold Acton, Max Aub, Alain Bonnand, Bernard Delvaille…) Dans les mémoires de Nadeau émouvant portrait de Jean Reverzy. Lyonnais, résistant, « médecin des pauvres », écrivain conséquent très éloigné du marigot germanopratin. Sa mort soudaine, brutale, trop précoce à l’âge de 45 ans sera un déchirement pour Nadeau. Il descendra entre Saône et Rhône et verra le corps de Reverzy reposé sur un lit, habillé du complet qu'il portait pour recevoir le Prix Renaudot. Il le trouvera « un peu plus pâle qu’ à l'ordinaire sous ses cheveux noirs ». Plus tard il prononcera quelques mots émus au bord de sa tombe. Tout cela est bien triste et fort peu parisien. (Nadeau trouvant dans le recueil de nouvelles Le Regard quelque chose des allégories kafkaïennes. Reverzy lui rétorquera que non pas vraiment, que tout cela est sa condition, son exacte condition, qu'il ne s'est livré à aucune « débauche d’imagination ».)8 mars 2020.- Solides éclaircies (14°C). Un peu trop bu ce midi, conséquence : une longue sieste réparatrice effectuée en extérieur face à un soleil de bon aloi. Je dois dire qu'au moment où j'écris ces lignes mon corps en encore assez flottant et mon esprit pas vraiment totalement réveillé. Mes épanchements syntaxiques seront donc apathiques quand ils ne seront pas décousus.Les écrivains finissent souvent mal. Ainsi Pierre Herbart, ce « dandy magnifique » finira dans la fosse commune de Grasse. C'est ce que rappelle Nadeau dans ses mémoires. Beau portrait encore. La jeunesse d’ Herbart, son amitié avec Cocteau, Malraux, Camus, Gide surtout. Quelques bons romans, la résistance sous le nom de Le Vigan (ce qui ne s'invente pas), quelques panouilles, un vague oubli et puis cette retraite sous le soleil où il vivra dans des conditions de plus en plus précaires avant de mourir dans une indifférence glacée. Comme tout est dans tout, Herbart est aussi dans le dico snob de Gaignault qui lui nous explique que pour celui qui avait tout de même libéré la ville de Rennes « la résistance était le seul endroit où l'on pouvait se procurer de la cocaïne gratuitement ». Évidemment, cette boutade est certes drôle, mais elle résume Herbart à son laconisme et nous fait un peu oublier que c'était un vrai type courageux. En dehors de cette réserve, le bouquin de Gaignault est très agréable à lire, il aime vraiment ceux dont il parle et c'est parfois suffisant pour faire un bon livre.9 mars 2020.- Weather mostly cloudy (11°C). Dans son dictionnaire Gaignault tourne aimablement autour de la duchesse de Devonshire, cette « copine » de Patrick Leigh Fermor et du prince Charles, certes un peu toquée, mais qui fut aussi un monument d'humour anglais, une P. G. Wodehouse en jupons as du jardinage et maîtresse dans l'art de descendre des Gin Fizz tout en se déhanchant lascivement sur le dernier tube d'Elvis. Ah oui ! en dehors de tout ça La duchesse de Devonshire était aussi la plus jeune des sœurs Mitford, un sacré aréopage de croquigolettes en goguette. Jugez par vous-même : Nancy, parangon upper class et grande romancière snob à l'humour mordant. Unity aime intime d'Adolf Hitler qui rendra Eva Braun folle de jalousie. Diana jolie fasciste mariée à Oswald Mosley, le Furher anglais. Jessica, communiste qui après avoir fait la nouba avec les républicains espagnols, deviendra citoyenne américaine, syndicaliste et journaliste d'investigation. Pamela, grande défenderesse de la cause animale qui mariée six fois et divorcée six fois finira par vivre en couple avec son écuyère. Il y a un frère, Thomas mort en Birmanie à la fin de la Seconde Guerre mondiale.10 mars 2020.- Humidité prégnante et très peu relative (9°C). La pandémie progresse, je toussote tout en lisant ces vers de Maurice Rollinat (grand toqué devant l'éternel) :Pour jardins, je voudrais deux ou trois cimetièresOù je pourrais tout seul rôder des nuits entières ;Je m’y promènerais lugubre et triomphant,
Escorté de lézards gros comme ceux du Tigre.— Oh ! fumer l’opium dans un crâne d’enfant,Les pieds nonchalamment appuyés sur un tigre !Rien d'autre.12 mars 2020.- Nuages et virus (17°C). « L’épidémie est unanimisante. C’est ce qui en fait la sœur jumelle de la fête. » (Philippe Muray)13 mars 2020.- Soleil bien inutile (14°C). En ce vendredi 13 de pandémie, je constate que les files d'attente de l'Euromillion ne respectent pas du tout les « espacements de courtoisie » imposés par l'État macroniste. Rien d'autre.14 mars 2020.- Belles soleillées (17°C). Virus, écoles fermées, inquiétude latente, déprime… Retour dans le Journal de Mathieu Galey. Visite de Washington et de ses monuments en saindoux, la Maison Blanche le palais d'un petit roi balkanique de l'entre-deux-guerres, une capitale de province élue par hasard. Rentré à Paris plusieurs visites aux veilles branches Aragon et Green et puis le souvenir du Larbaud hémiplégique celui qui ne pouvait plus dire qu'une phrase : « Bonsoir les choses d'ici-bas ».15 mars 2020.- Les temps sont lourds, mais le soleil donne (18°C). Conditions lectorales parfaites, soleil printanier, vent léger et, surtout, un silence de monastère cistercien (certainement les sourds effets de la pandémie en marche). Toujours dans les souvenirs de Maurice Nadeau qui sont vraiment très bien. Tout d'abord parce qu'il sont écrits dans un style fort simple où ne perce jamais le moindre ricanement, ensuite parce que ce qui y est raconté est toujours passionnant. La jeunesse de Nadeau, son communisme qui vire au trotskisme lorsqu'il ouvre un peu les yeux. Sa fréquentation des surréalistes...Tout cela nous donne une suite de portraits immanquablement épatants, quand ils ne sont pas émouvants… Nadeau croise Pierre Naville, Trotski (le Vieux), Benjamin Péret, Aragon, Éluard ( qui en prend pour son grade, c’est mérité), Breton (Nadeau réhabilite son œuvre poétique, on n'y voyant la légèreté qu'il n’y'a plus chez le théoricien), d'autres… j'en oublie.Mort de Genesis P-Orridge, terroriste sonore capable des pires douceurs, qu'il, ou elle, repose en guerre.16 mars 2020.- Vague soleil (16°C). Étant d'un naturel un tantinet asocial les confinements divers et variés ne m'effrayent pas plus qu'une chiquenaude sur le lobe de l'oreille gauche. Cependant comme les choses s'avèrent parfois mal faites, je suis aussi très hypocondriaque. En ces temps de claustration et de pandémie la peur que je n’éprouve pas d'un côté et donc contrebalancée par la peur que j'éprouve de l'autre côté. En somme, l'opération est nulle.Nouvelles acquisitions : Monotobio - Chevillard, Remarques – Ramuz.17 mars 2020.- Beau temps gâché (19°C). Confinement jour 1. Lever 2H45. 3h30 3 kilomètres à pied. 4h00 labeur (désigné par mes pairs, je nourris la France). 11h30 3 kilomètres à pied (dans l'autre sens). 12H00, repas frugal. 12H30 sieste patibulaire à défaut d'être crapuleuse. 14H00 profitant des conditions climatiques assez favorables je sors un pied timide dans mon semblant de jardin en espérant lire quelques pages de l’impeccable Maurice Nadeau. 14H02 mes voisins n'ont visiblement pas compris le sens du mot « confinement » et pratiquent un genre de « barbecue alternatif », à 10 et en chantant. 14h03 je me fais une raison et retourne dans mon petit intérieur. 14h04 mon Nadeau ne me dit plus grand-chose, je fais la vaisselle puis je m'affale sur mon canapé tel un bulot désabusé. 15h30 après quelques longues minutes d'intense non-réflexion, j'allume mon poste de télévision sur lequel, à la demande, je regarde un épisode de la série Bones (S8E17). Voilà j'en suis là, ou presque.18 mars 2020.- La température est agréable, mais le fond de l'air est lourd (20°C). Je n'ai jamais vu autant de joggers passer devant mes fenêtres. Quant aux trottinettes, n'en parlons pas. Certainement les effets du confinement imposé par les autorités.19 mars 2020.- Météo splendide, pour rien (22°C). La pollution atmosphérique descend, le silence monte, les joggers passent.Deux trois broutilles un peu confinées de l'ambassadeur Claudel, nothing else.20 mars 2020.- Ciel dégagé, vague tiédeur (22°C). Les temps de pandémie et de claustration imposée que nous traversons semblent laisser fleurir une foule de journaux intimes dans le Landerneau littéraire parisien. Tout cela est presque drôle et frôle pour ainsi dire le pelucheux. Quant à moi qui suis un éternel cloîtré volontaire, je n'en pense pas moins, et je me gausse.Chez Nadeau bisbille avec Paulhan, mais dans le respect mutuel.2.21 mars 2020.- Temps printanier belle douceur, cependant voilà quelques nuages en amorce (20°C). En ce cinquième jour de confinement, les cohortes de joggers auront été remplacées par une myriade de camionnettes livrant une multitude de denrées alimentaires. C’est ce que nous connaissions jadis dans nos campagnes les plus reculées, la modernité n'invente jamais rien.Pour le reste, je suis morose, comme tout le monde. Lu Les Merveilleux Nuages de l'entité à frange Sagan. C'est un genre de court soap-opéra où des bourgeois un peu imbibés se débattent moelleusement dans de vagues incertitudes sentimentales. Pas mal d'ennui, mais cependant un petit charme, le petit charme des années cinquante finissantes, le petit charme de la politesse et d'un certain savoir-vivre. Ah oui aussi le style de Sagan, pas compliqué, épuré.Plus tard un tour dans le Journal de Galey. Le vieux Jouhandeau, Louis Guilloux, un peu miteux, mais délicieux, Julien Green, très sage, trop sage ? Encore, et toujours, la longue litanie des partenaires sexuels de Galey. Pour tout dire, on s'en fiche.22 mars 2020.- Le soleil se voile, la température baisse (13°C). Le confinement sans les voisins : le paradis. Le confinement avec les voisins : une idée de l'enfer. Malgré le brouhaha environnant, je picore dans les souvenirs de Maurice Nadeau. Superbe éloge de Pascal Pia, résistant, esprit libre, grand costaud qui verra son corps se résumer. Un modèle en tout et surtout en fidélité : « Quand Malraux meurt, on ne voit pas Pia se joindre au chœur des lamentations officielles. Quand le bruit en est retombé, il se rend, seul, sur la tombe du compagnon de jeunesse, pour y déposer des fleurs. Pascal meurt à son tour. Suzanne me demande d’inventorier ce qu’il a laissé. Je trouve vides tiroirs, rayons et placards de toute correspondance ou notes intimes. Seul un petit billet arraché à une page de carnet a échappé à la destruction. C’est une confirmation de rendez-vous, fort ancienne, dans un café. Elle est signée “André "». Dans le Journal de Galey on « baise » toujours beaucoup. Un auto-stoppeur, un canadien, un barman, un allemand père de famille, un homme-enfant, un Martiniquais de passage « aux fesses comme des mappemondes ». Bref, ça n'arrête pas.23 mars 2020.- Plaisantes éclaircies (14°C). Lever précoce. Transport en commun. Labeur. Transport en commun. Un barrage sur la route. Sieste. Confinement. Sombre litanie.24 mars 2020.- Soleil glaçée (11°C). La pandémie progresse, les nouvelles anxiogènes aussi. Morts du jour : Gabi Delgado, Manu Dibango, Albert Uderzo, Michel Hidalgo.25 mars 2020.- Rares nuages, plus de fraîcheur (11°C). Feuilleté le Dictionnaire Amoureux de l'Italie de Dominique Fernandez. Très juste, sur Pasolini tout du moins me semble-t-il. Otherwise : l'évitant social est en passe de devenir le super-héros des temps pandémiques que nous traversons, reste à lui trouver un costume saillant.26 mars 2020.- Le soleil brille, mais le fond de l'air est frais (10°C). Dans ses mémoires littéraires – que je n'ai toujours pas fini, je chemine chichement –, Nadeau raconte sa découverte de Varlam Chalamov, la publication des Récits de la Kolyma dans les Lettres Nouvelles, l'incessante lutte qu'il fallut mener contre les nervis de la pensée stalinienne. Tout cela et puis l'émotion, les mémoires de Nadeau sont très émouvantes, pour preuve la fin de Chalamov : «(Il) a passé les limites de l’humain. Il ne reviendra plus en arrière. Il se réfugie peu à peu dans le mutisme, rompt avec les uns et les autres, ferme sa porte même à ses amis. Pour seul compagnon il n’a plus qu’un chat. Un voisin tue ce chat d’un coup de fusil, il en conserve le cadavre dans un sac de plastique qu’il place dans un réfrigérateur. Dans un état de délabrement extrême, il meurt enfin… »28 mars 2020.- Beau temps, frais puis doux (18°C). Un silence monacal, seul le diable doit savoir où ont bien pu passer mes voisins. Assis sur ma fidèle chaise de jardin face à un soleil raisonnable je viens de finir la lecture de Grâce leur soient rendues les mémoires de Maurice Nadeau. C'est un livre dans lequel j'aurais picoré par petites becquetées gourmandes, mais dans un désordre choisi, m'attachant tout d'abord à ce et ceux qui m’intéressait vraiment, par goût, par capillarité : Joë Bousquet, Pascal Pia, Armand Robin, Raymond Guérin, Pierre Herbart, Verlam Chalamov…, délaissant un peu les autres, par a priori, par paresse : Sartre, Mauriac, Paulhan, le Nouveau Roman, Breton, Gide… Finalement, j'ai tout lu, tout becqueté et je peux vous certifier sans trembler que ce tout est très bon, le style est fort simple, ce qui est raconté est plus passionnant qu'à son tour et surtout, je le répète, c'est très émouvant.Demain je compte enchaîner avec le Campo Santo de W. G. Sebald, c'est un fond de tiroir, mais un fond de tiroir de Sebald ne saurait décevoir.29 mars 2020.- Météo sinistre, chape grisâtre vent mauvais et retour de froideur (5°C). La pandémie progresse, le nombre de victimes aussi. Sebald, Campo Santo, la mort : « …dans les conurbations de la fin du XXe siècle, où chacun est remplaçable dans l'instant, et en fait superflu dès sa naissance, il importe de jeter sans cesse du lest par-dessus bord, d'oublier sans réserve tout ce dont on pourrait se souvenir, la jeunesse, l'enfance, l'origine, les aïeux et les ancêtres. Pendant un certain temps il y aura encore ce “Memorial Grove” qui vient d'être instauré récemment sur Internet, où l'on pourra ensevelir et visiter électroniquement ceux qui vous étaient particulièrement proches. Mais ensuite ce virtual cemetery lui aussi se dissoudra dans l'éther, et tout le passé se diluera en une masse informe, non identifiable et muette. Et issus d'un présent sans mémoire, confrontés à un présent que la raison d'un seul individu ne peut plus saisir, nous finirons par quitter nous-mêmes la vie sans éprouver le besoin de rester encore ne serait-ce qu'un instant, ou de revenir à l'occasion »30 mars 2020.- Heure d'été, goût hivernal (8°C). Le Campo Santo de Sebald est loin d'être joyeux, il est même ton sur ton avec les temps sinistres que nous traversons. Il y a bien un peu de lumière dans les cinq courts textes consacrés à la Corse (qui donnent leur titre à l’ensemble et sont les magnifiques prémices d'une œuvre qui ne verra jamais le jour), mais le reste est bien sombre, très sombre. Il n'y est question que de la disparition de la canopée, de destruction, de mort et de construction du deuil. Günther Grass, Peter Handke, Peter Weiss sont convoqués, c'est parfois très beau, mais c'est toujours un peu sinistre, plombé-plombant, guère réjouissant pour tout dire. Au moment où l'épidémie que vous n’ ignorez pas laisse tomber les morts comme des dominos, j'ai, nous n'avons, certainement pas besoin de ça.31 mars 2020.- Beau temps frais (10°C). Hier j'ai certainement été trop injuste avec Sebald, ce n'est pas son Campo Santo qui est sinistre, c'est moi. Pour tout vous dire, c'est même un livre magnifique et surtout lorsque l'autobiographique et l'intime rejoignent la grande Histoire et se mêlent à elle. C'est la spécialité de Sebald que cette coalescence là. L'émotion monte au détour d'un paragraphe sur Kafka, sur Ernst Herbeck, sur Jean Amery, il suffit qu'une simple phrase affiche de courtes concordances avec l'alta voce de celui qui l'a écrite pour qu'un tremblement une infime fibrillation commence à poindre chez le lecteur. Mélangeons donc l’intime, le vécu, avec la grande Histoire, les petites histoires. Quitter les rivages du romanesque me semble aujourd'hui le seul biais possible pour la littérature (où tout a été dit, été fait). Mon Sebald fini et posé, je n'ai pas perdu de temps pour entreprendre la lecture d'un nouvel ouvrage. Il s'agit d'une petite chose d'Alain Gerber, Frankie Le Sultan des Pâmoisons. On aura compris qu'il est ici question de Frank Sinatra. C'est une biographie romancée, une suite de monologues intérieurs où un Gerber un poil schizophrène entre tout à tour dans la tête de Dolly, la mère de Sinatra, d'Ava Gardner, de Sinatra lui-même. Bon le résultat est assez artificiel, concédant au romanesque, mais en apprend deux trois chose sur l'entité chantante d'Hoboken. Il faut dire que, as usual, Gerber connaît et maîtrise parfaitement son sujet.1er avril 2020.- Ciel limpide, douceur printanière (18°C). Aujourd'hui mes velléités de lecture en extérieur auront été tuées dans l’œuf par un voisinage, qui confiné par la pandémie, n'a pas su faire autre chose que d’ hasarder son museau dehors tout en pérorant à l'unisson. Grâce à un adroit subterfuge, en fait de la musique entre les oreilles couvrant les discutions diverses et avariés, je suis parvenu à lire une cinquantaine de pages du Sinatra/Gerber entamé hier. Malheureusement, je ne suis pas allez plus loin que ça. Chacun sait que lire en musique pose d'inextricables problèmes, au bout d'un moment la concentration s'échappe, les phrases se dissipent, les mots se dérobent aux yeux du lecteur qui se retrouve le nez en l'air, tandis que ses pieds tapent la mesure. C'est une expérience que ne saurait durer bien longtemps, la musique gagne toujours sur le livre que l'on est censé lire. C'est ce qui m'est arrivé cet après-midi. Bon j'ai tout de même pu constater que malgré son parti pris romanesque le livre de Gerber n'était pas si mal que ça. Rien ne nous est caché, les relations de Sinatra avec la mafia, ses scènes de ménage homériques avec Ava Gardner, ses faux suicides au petit matin, les journalistes tabassés, les musiciens méprisés, les costumes bien repassés et un soutien indéfectible au Parti Démocrate. Bizarrement, rien sur ses voisins.2 avril 2020.- Soleil vaguement printanier (16°C). Ce matin j'ai mis mon masque et enfilé mes gants et suis parti à l'aventure, direction la supérette. Là dans une ambiance tendue et suspicieuse j'ai fait l'acquisition de quelques victuailles puis je suis rentré chez moi cahin-caha où j'ai fini la lecture du Frankie de Gerber. Quelques simples constats : le Sinatra fréquentant la mafia n'était pas très sympathique, Sam Giancana était un horrible olibrius, les frères Kennedy n'étaient pas loin d'êtres horribles eux aussi quant à la fin de Marilyn Monroe, si elle s'est bien déroulée comme Gerber le raconte, disons qu'elle fut abominable voire plus.3 avril 2020.- Douceur relative, ciel dégagé (12°C). Conditions lectorales altérées, voisinage bruyant (contres mesures Radio Birdman/Dream Syndicate). Je lis Nuit sombre et sacré nouvel opus polareux où l'entité écrivante Connelly tente de rassembler deux de ses héros récurrents, ce bon vieux Harry Bosch et la plus récente et fraîche Renée Ballard. Le résultat est presque réussi, l'intrigue concède peut-être un peu trop à l'air du temps, à #MeToo et à ce genre de choses, mais elle reste raisonnablement captivante et on retrouve l'essentiel des qualités de Connelly. Que demander de plus ?4 avril 2020.- Beau temps doux (19°C). Dix-septième jour de confinement, rien à en tirer, l'inspiration est en berne. Du côté des choses écrites, j'ai tout de même boulotté en moins de deux jours, les quatre cents pages du dernier Connelly (c'est une forme d'exploit, ma vitesse de lecture en généralement plus lente). Le livre part un peu dans tous les sens, il y a un surplus de micros intrigues qui finissent par s’enchevêtrer un peu artificiellement, mais c'est tout de même très distrayant (le mot est lâché ). Le couple formé par Ballard et Bosch fonctionne bien et offre une genre d'anabiose et en tous les cas un peu de genus femininum (tendance #MeToo) dans l'univers de Connelly (Conditions lectorales moyennes. Contres mesures : Blue Öyster Cult, Sebadoh).To be continued.